L'éducation musicale au Mali
Par Kevin Eze
Le but de l’éducation musicale est d'équiper les personnes avec des connaissances et des compétences musicales afin de leur permettre de fonctionner avec succès dans un environnement musical. Le Mali est célèbre pour sa tradition musicale dynamique. Qu’est ce qui soutient cette tradition ? Y-a-t-il un type d’institution particulier qui soutient ce dynamisme musical ? La réponse se trouve probablement dans l'éducation musicale que possède ce pays.
Comme les autres formes d'arts, le patrimoine musical du Mali a d'abord été soutenu par l’éducation traditionnelle et informelle, et ensuite par l’éducation moderne formelle. Il est le produit du mode de vie pastorale qui y prévaut. Au début, il y avait la tradition orale qui embrassait toutes les formes d'arts, la musique et la littérature en particulier. Le lien entre cette tradition orale dans la musique et l'art du conte au Mali est symbolisé dans Amkoullel l’enfant Peul d’Amadou Hampaté Bâ. (Actes Sud, 1991). L’importance de l'apprentissage de la musique traditionnelle au Mali trouve son expression dans le célèbre dicton d’Hampaté Bâ qui dit : « Je suis diplômé de la grande université de la Parole, enseignée à l'ombre des baobabs. »
Contexte
La musique du Mali remonte à l'ancien empire malien, l’empire Mandingue (1230 - 1600) qui englobait divers groupes ethniques et régions[i]. La musique malienne comprend donc une variété de musique ethnique, bien que liées par la même origine. La tradition orale est le moyen par lequel les messages ou témoignages sont transmis oralement, par la parole ou la chanson, et peut prendre diverses formes par exemple, le conte, les dictons, les ballades ou le chant[ii]. C’est ainsi qu’on retrouve la musique a capella malienne qui trouve son origine dans la tradition littéraire locale.
Ensuite vinrent les gardiens de cette institution de la musique traditionnelle : les griots. Les griots, que Tom Hale appelle « les maîtres de la parole et de la musique » dans son livre Les Griots et Griottes[iii] , existent depuis plus d’un millénaire. Leur fonction a changé au fil du temps en parallèle avec les changements au sein de la société. Autrefois, les griots étaient des chanteurs de louanges, des historiens, des généalogistes, des conseillers à la noblesse, des artistes, des messagers, etc. La formation du griot commence au sein de la famille : les enfants apprennent de leurs parents griots, et ont ensuite une éducation formelle dans une école consacrée à cet art et progresse ensuite à un stage avec un maître griot[iv]. Les apprentis griots apprennent entre autres à jouer la kora, le djembé (tambour) et la tradition musicale.
L'éducation musicale à l’école primaire.
La politique éducative et culturelle du Mali stipule que l'enseignement est obligatoire durant les neuf premières années. L'éducation musicale à l'école primaire comprend des jeux musicaux (Malaka, Diansa, Wassolon), des exercices d’échauffement de la voix avec des accompagnements appelés Malaka, Malaka soli. Dianasa, Dianasa soli et Wassolon. Des jeux traditionnels d’appel et de réponse, comme Bazoumana yo, ont un rôle social important en plus de leur rôle ludique. Ils sont utilisés pour transmettre des leçons de morale et pour la recherche d’authenticité[v]. L'initiation au djembé (tambour) est également une partie intégrante de cette étape : les enfants apprennent la position pour jouer, les types de notes (toniques, plates et basses) ainsi que grâce et subtilité.
L’éducation à l’école secondaire.
Depuis l'indépendance en 1960, le gouvernement malien a consacré des ressources croissantes à l'enseignement secondaire. La politique éducative et culturelle du Mali (en accord avec l'UNESCO) veut que la musique soit enseignée à tous les élèves dans les trois premières années de l'enseignement secondaire. Les élèves peuvent choisir entre la musique, la peinture et la sculpture. Apprendre à lire et à écrire le solfège et l’initiation aux instruments (surtout les instruments traditionnels tels que le tambour, le xylophone et la kora) sont renforcés à ce stade, malgré les réticences de certains dans la société par rapport à l'éducation de type occidental[vi]. Ceux qui souhaitent poursuivre un baccalauréat en Arts doivent passer l'examen d'Etat en musique (l'équivalent du niveau A dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest). Des cours de musique sont également offerts à l'Ecole Américaine Internationale de Bamako (American International School of Bamako)[vii], à l’Académie Internationale de Bamako[viii] ainsi qu’à l'Institut Français de Bamako[ix].
L’enseignement de la musique à l’université
Pour aider à améliorer le niveau des étudiants et des musiciens maliens, le gouvernement malien a décidé d'ouvrir une académie de musique de niveau universitaire au Mali. Au cours de l'année académique 2003-2004, le Conservatoire Balla Fasséké Kouyaté[x] a vu le jour à Bamako. Alors que le conservatoire enseigne d'autres formes d'art (comme la danse, la peinture, les arts du théâtre ou encore la projection vidéo), le programme des étudiants en musique comprend entre autres l'écriture de la musique, la théorie musicale, la polyphonie, la danse et la musique, les instruments locaux et occidentaux, ainsi que la pédagogie musicale (pour former les enseignants de musique pour le niveau secondaire). L'éducation musicale au niveau universitaire est également disponible à l'Université de Bamako (ou Université du Mali)[1] ainsi qu’à l'Université de renommée mondiale Sankoré de Tombouctou (ou Université de Tombouctou)[2].
L’éducation musicale informelle
Au Mali, comme dans d'autres pays ouest-africains, l’éducation musicale commence dans les rues. L'éducation informelle dans les villages et les villes est encore prédominante et la plupart des artistes populaires viennent de « l’école de la rue ».
Pour compléter les efforts de l'Etat, en particulier dans les zones rurales, certaines ONG incluent l'enseignement de la musique dans leurs programmes au Mali. Par exemple, L’ONG Playing for Change[3] a créé l'Ecole de Musique de Kirina qui offre des cours de musique dans le petit village de Kirina. Sollicitée par le musicien Mahamadou Diabaté (frère du musicien Toumani Diabaté, grand joueur de Kora et gagnant d’un Grammy Award), la Fondation Playing for Change Foundation (PFCF) a été invitée à mettre sur pied une école de musique au Mali. Sous sa direction, le PFCF a établi sa troisième école de musique sur le continent africain en 2010.
Une particularité de cette initiative est que l'école est située à Kirina, un village situé à environ 25 miles (40 kilomètres) au sud de la capitale Bamako. Kirina est un village sans électricité, et ses habitants vivent dans des maisons en brique avec des toits de chaume. Kirina a conservé son patrimoine culturel emblématique de plus de 700 ans. L'école permet maintenant la diffusion de ce patrimoine culturel et de sa tradition musicale. Cette école a également une responsabilité sociale et contribue à améliorer l'accès de la communauté à l'eau potable. L'école possède un atelier pour instruments de musique afin de la soutenir financièrement et de créer des emplois pour les villageois.
Depuis qu’elle a ouvert ses portes en octobre 2010, l'école offre des cours de kora, djembé, balafon, tama (talking drum ou tambour parlant). Ces cours de musique sont complétés par des cours de langues de français et d’anglais, en plus de cours du soir supplémentaires en musique. Ce lieu (le PFCF) est devenu le lieu de rencontre musicale dans Kirina.
Les défis
Malgré les ressources et les installations disponibles pour les étudiants en musique au Mali, le système éducatif est confronté à des défis. Tout d'abord, les tensions sociales : le conflit du nord Mali est loin d'être terminé et prendra un certain temps à guérir. Les djihadistes ont interdit la musique malienne[xi]. Deuxièmement, la réticence : nombre de parents considèrent encore les écoles de musique de style occidental comme un instrument d'« assimilation ». Troisièmement, nonchalance : de nombreux étudiants traitent la musique comme un domaine sans perspective de carrière. Quatrièmement, le succès des programmes d'études : est-ce que les diplômés du Conservatoire de Bamako pourront un jour rivaliser avec leurs compatriotes de renommée internationale (qui n'ont pas eu accès à ce genre d'éducation formelle) sur la scène mondiale ?
Le Mali a fait du bon travail dans la sauvegarde et la transmission de la musique traditionnelle. Mais maintenant, le pays a besoin de mobiliser et d’enrichir le système éducatif pour répondre aux défis du monde musical moderne.
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Pour en savoir plus Brandily, M. 2000. Introduction aux musiques africaines, Cité de la musique, Actes-Sud. Hale, T. 2007. Griots and Griottes, Indiana University Press. Kersale, P. and A. Coulibaly. 1998. Mali, Parole d’ancêtre Songhay - Mirage à Tombouctou, collection « Parole d’ancêtre », ANAKO editions. Niane, D. T. 2001. Soundjata ou l’épopée Mandingue , édition « présence africaine ». www.djembe.com www.percussion.org www.prgmasoft.be/djembe/ [1]http://u-bamako.ml.refer.org/ [2]http://en.wikipedia.org/wiki/Sankore_Madrasah [3] http://playingforchange.org/programs/detail/ecole_de_musique_de_kirina [i] McConnachie, James and Duane, Orla (eds.), World Music, Vol. 1: Africa, Europe and the Middle East, New York, Penguin Books, pp. 539-562. [ii] http://en.wikipedia.org/wiki/Oral_tradition; see also Ki-Zerbo, Joseph, 1990. ‘Methodology and African Prehistory’, UNESCO International Scientific Committee for the Drafting of a General History of Africa. Paris [iii] Indiana University Press, 2007 [iv] Tom Hale, 2007. Griots and Griottes, Indiana University Press. [v] Ryan Skinner, From Ambiance to Authenticity: Popular Culture and Cultural Policy in Bamako, Mali, 1956-1966 at http://www.academia.edu/6765888/From_Ambiance_to_Authenticity_Popular_Culture_and_Cultural_Policy_in_Bamako_Mali_1956-1966 [vi] Les rythmes de l’ouest africain’, Plan academique de formation, Monpollier-Nice. [vii] www.aisbmali.org [viii] www.bia-k8.ws [ix] www.institutfrançais.com/fr/bamako [x] www.conservatoire-arts-mali.org [xi] Sujatha Fernandes, ‘The Day the Music Died in Mali’ at http://www.nytimes.com/2013/05/20/opinion/the-day-the-music-died-in-mali.html; see also Andy Morgan, Music, Culture and Conflict in Mali, New York, Freemuse publication, 2013, 220pp
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