L’industrie du disque au Cameroun
Par Françoise Engoulou
L’industrie du disque au Cameroun est également victime du piratage qui mine l’industrie musicale africaine en général. La lenteur d’adaptation aux nouvelles technologies et la difficile mise en place d’une réelle politique culturelle compromet l’activité des acteurs de la filière de la production à la distribution.
L’industrie du disque dans les années 1950 et 1960
L’industrie de la musique au Cameroun se met sur pied dans les bars et les cabarets où les artistes mélangent allégrement instruments traditionnels avec les instruments de musique hérités du colonisateur.
Dès les années 50, il est institué un style d’apprentissage dit « Ecole de musique » où l’aspirant chanteur ou potentiel producteur fait ses classes en intégrant l’orchestre ou l’équipe d’un chanteur établit. C’est ainsi qu’Anne Marie Nzié une étoile naissante de la musique camerounaise, chanteuse de cabaret enregistre en 1954, son premier disque pour un label belgo-congolais. Aidés par des concerts prestigieux et des passages radio fréquents, elle devient une gloire nationale. Car seule la radio nationale diffusait de la musique à l’époque, ce qui rendait le circuit de distribution moins prolifique. Deux ou trois passages était pour l’artiste une garantie de succès tel est le cas de l’album Mulema Mwan d’Eboa Lottin paru en 1962. Et encore il fallait rentrer dans les bonnes grâces des programmateurs.
Certains ont dû aller chercher fortune ailleurs ! Le premier disque de l’indépendance de l’artiste Charles Lembé Echo de l’indépendance en 1960 se fait dans le légendaire studio Vogue à Paris. C’est ainsi que des producteurs comme Joseph Tamla de Afrique Ambiance Production, ont lancé la carrière de Messi Martin avec l’album Bekono Nga Nkonda en 1964.
Les années 1970 et 1990 : l’âge d’or de l’industrie du disque au Cameroun
Cette période est souvent citée comme celle de l’âge d’or de l’industrie du disque au Cameroun car l’on pouvait ainsi décemment vivre de son art quel que soit le pan de la filière du disque où l’on ressortait. A ceci s’est ajoutée une créativité sans pareil au gré de la différence culturelle au Cameroun. Ainsi en 1983 naissent des maisons de productions qui ont marqué l’industrie de la musique camerounaise telles que Ekeg’s Productions et la très prolifique maison de production Ebobolofia, avec plus de 97 albums de bikutsi à succès dont le premier du groupe les vétérans kulu sorti en 1983. Le studio d’enregistrement multipiste de radio Cameroun va participer à la belle épopée du groupe Zangalewa en 1986 avec l’enregistrement de l’album éponyme à succès Zangalewa et la même collaboration récidivera en 1988 pour l’album Casque colonial.
Le Producteur Jim Records ouvre avec brio l’ère 1990 avec l’album à succès Konkai Makossa de Charlotte Mbango sorti en 1991. Le ton est ainsi donné à des jeunes artistes ambitieux qui ont créé des maisons de productions comme DRI production de l’artiste Roméo Dika qui a produit plus de 70 artistes dont Grace Decca avec son album à succès Doi la Mulema sorti en 1993, Chantal Ayissi avec Yit –ma en 1994, Annie Anzouer avec Variations en 1994. C’est la période des vaches grasses pour l’industrie du disque au Cameroun. On trouve respectivement dans les grandes villes du territoire national des éditeurs de musique où des opérateurs se donnaient pour tâches de dupliquer en grande quantité des K7 et des CD. Certains distributeurs ont été des découvreurs de talents à l’instar de Flash music, de Mc Pop International, de Médiastore qui mit au-devant de la scène le duo Sergeo polo et Njhoreur avec l’album le mari d’autrui en 1994.
La scène urbaine n’est pas en reste. C’est ainsi que le producteur Alex Edo’o Edo’o produit l’album pionnier du genre Djé Dance des Stars System en 1992. Il s’en suit une floraison de studios d’enregistrement et des labels indépendants de production (Zomloa Recordz, Mapane Records, Big boss, So sound et Ndabott).
Selon le producteur Consty funk « la filière de la musique était prospère, la qualité des artistes, la présence de producteurs faisant correctement leur métier et la diversité des choix offerts aux mélomanes tant du point de vue des genres de musique que de supports permettaient aux différents maillons de la chaine de gagner de l’argent et de vivre de la musique ». Une certaine éthique était prônée dans le milieu des artistes et la qualité des enregistrements des albums les rendaient compétitifs aussi bien sur la scène nationale qu’internationale
Les années 2000, les nouvelles technologies et l'autoproduction
Certes il est vrai que certains signes étaient déjà visibles dès la fin des années 90 (l’avancée du piratage, l’imbroglio dans la redistribution des droits d’auteurs,) mais aucune mesure n’avait été prise. Les années 2000 vont mettre d’avantage de pression dans cette industrie déjà affaiblie. On a encore en mémoire les affres de cette mauvaise structuration qui a fait renoncer au groupe Macase le Prix Découvertes RFI 2001 pour une obscure affaire de production. Il faut relever que l’Etat a mis sur pied un compte d’affectation spéciale de 1 milliard de FCFA de soutien à la politique culturelle dont la visibilité n’est toujours pas effective sur le terrain. Le coup ainsi accusé, désormais les producteurs ne campent plus que dans les deux grandes villes de Yaoundé et Douala.
Les maisons de disque qui ont contribué au développement de la musique au Cameroun sont Flash music, Sims production, Moussa Haissam Records, les éditions Angoula Angoula ,Toure Aladji Records, Music Store, JPS Production ( le plus efficace du fait qu’il dispose d’une assise de production nationale et internationale), Ndikum Forsang Production, Eyabe Ekwabi production, Essimo Oh Production, Preya Music( producteur de Longue Longue et leur album Ayo Africa sorti en 2001).
Certains ont mis la clé sous le paillasson comme Sonodisc qui était à l’origine en 1996 de l’album camerounais qui détient encore aujourd’hui le record des ventes avec Classe F de Petit Pays (le chanteur possède un label et un studio d'enregistrement au Cameroun).
D’autres fonctionnent toujours mais sont en baisse de régime (Angoula Angoula) d’autres disparaissent de la scène et reviennent (Achille production qui, lui aussi a eu le vent en poupe en 2007 avec les bonnes ventes de l’album Action – Réaction de Aie Jo Mamadou) certains ont dû se transformer (Mc Pop Music qui devient Mélodie Diffusion et ne fait désormais plus que dans l’édition et la distribution.
Il y a aussi de nouvelles formes qui se sont développés souvent avec la complicité des producteurs eux-mêmes : des distributeurs ambulants et le système dit ‘’Underground’’ ou le disque se passe de main à main .Un fan l’achète et le passe à un autre et lui aussi fait de même etc..
L’on ne compte pas le nombre d’usine de pressage qui ont déposés le bilan .La situation est encore plus rude pour les studios d’enregistrement. Selon Manga Ngah Sévérin aka Lucky+ 2 propriétaire du studio d’enregistrement V2 pour faire un album on élabore un programme, c’est ainsi qu’il faut deux jours de programmation, prévoir deux jours de prise de son, deux jours de prise de voix et deux à quatre semaines de mixage et le mastering peut prendre une journée.
Les nouvelles technologies aidant chacun peut désormais se faire un semblant de studio. Ce qui explique la baisse des maisons de distribution et les disquaires qui assuraient l'acheminement- du disque. Compter que les Droits de Reproduction Mécanique ne sont plus véritablement distribué au vue du flou juridique et institutionnel des sociétés de droit d’auteurs au Cameroun.
L’espoir vient du modèle des producteurs de musique urbaines tels que Ndabott Production de l’artiste Krotal qui nous explique sa démarche professionnelle et réaliste d’une proposition d’un contrat : « ces artistes ont un cachet à la signature et reçoivent les 15% de la vente de leurs albums en édition limitée de 2000 exemplaires ».
L’industrie du disque au Cameroun peine à faire prospérer les acteurs de la chaine d’où le nouveau phénomène de l’autoproduction par les artistes et la multiplication des spectacles pour rentrer dans leurs frais qui lorsqu’elle est bien orchestré donne ses fruits à l’exemple de l’artiste Coco Argentée qui a autoproduit ses albums Nostalgie en 2012 et Trésor en 2014.
Publié le 1 août 2015, cet article est mis à jour le 9 octobre 2018.
Sources :
- Kamerbeat: ondoua86.unblog.fr
- Culture Ebène : www.culturebene.com.
- Archives nationales de Yaoundé Cameroun.
- Guy NYAMECK, le marché camerounais de la musique envahi par la piraterie, 17 octobre 2002.
- Joel Christian NKENG à NKENG, piraterie ou contrefaçon des œuvres musicales : facteurs explicatifs, mode opératoires et impact sur les artistes musiciens à Yaoundé, Master 2 Sociologie 2010, Université de Yaoundé I.
- Dippah KAYESSE, Musique- A quel studio d’enregistrement se vouer ? 1 février 2007 Mutations.
- Sam MBENDE, l’impact de la fraude et de la contrefaçon dans la CEMAC : cas de l’industrie du disque.
- Robert NGOUN : « Les producteurs camerounais ne suivent pas l’ère numérique. », consulté sur http://www.kamermoov.cm/3847-robert-ngoun-les-producteurs-camerounais-ne...
- Marion OBAM : les labels camerounais se cherchent ,12 octobre 2007, Mutations.
- Luc YATCKOCKEU, situation du secteur musical au Cameroun.
- Consty FUNK, le circuit de distribution au Cameroun ,2008.
- Interview Moustik le karismatik, artiste qui s’est autoproduit.
- Interview Lucky + 2, studio d’enregistrement V2, Ngousso Yaoundé Cameroun.
- Interview Mbarga Soukouss artiste
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