La musique et les médias au Mali
Par Bram Posthumus
Ce texte donne un aperçu des médias au Mali, en particulier en ce qui concerne l’industrie de la musique locale.
Les médias du Mali étaient entièrement sous le contrôle de l’état jusqu’à l’indépendance en 1960. Comme son homologue de la Guinée voisine, l’état malien veille à ce que les médias promeuvent l’identité nationale, dans la mise en œuvre de sa politique culturelle[i].
La radio
La musique joue un rôle essentiel dans les efforts visant à promouvoir l’identité nationale. La Kora est désormais le symbole de la musique malienne (écouter l'album Cordes Anciennes, enregistré au début des années 70). Des groupes de musique se forment dans toutes les régions du pays et leurs œuvres systématiquement diffusées sur les ondes. L'industrie de la musique est gérée par l'état et ses principaux vecteurs sont les spectacles et la radio.
En novembre 1968, la scène musicale du Mali, parrainée par l'État, se trouve menacée lorsque l'armée dépose le premier président du Mali, Modibo Keita. Malgré les turbulences politiques, avec quelques moments de répit entre 1991 (l’arrivée de la démocratie multipartite) et fin 2009 (le scandale d' "Air Cocaïne" - le premier incident majeur lié au trafic de drogue sur le sol malien[ii] ), les stations de radio du pays continuent de promouvoir et d’encourager le talent local et diffusent de la musique produite localement témoignant de la richesse et de la diversité des genres musicaux venus de tous les coins du pays.
Les radios privées et communautaires, qui émettent depuis la capitale Bamako et d’autres grandes villes, proposent une grille qui répond aux goûts musicaux variés et à la demande d’émissions d'information[iii]. On y retrouve aujourd’hui un mélange de R&B, du hip-hop et l’incontournable reggae. Ces deux derniers sont produits aussi bien localement qu’à l’étranger. Le Mali a une scène hip-hop en plein essor et en dépit des pressions externes (tels les conflits de faible intensité dans le nord, l'avancée du Wahhabisme sur la culture cosmopolite du Mali, les attentats terroristes, les pressions politiques et les vagues de répression ponctuelles de l’état), la musique moderne, destinée aux jeunes, est bien présente. La programmation de la radio privée reflète cela et les responsables des stations savent qu’ils perdront leur public cible sans une programmation riche en contenu local[iv].
A titre d’exemple, Radio Malijet[v], Radio Tabalé et Radio Mamelon[vi] émettent de Bamako et Radio Tenin[vii] de Konobougou. Radio France International (RFI) est largement écoutée au Mali et a sa propre fréquence sur la bande FM à Bamako. L’émission musicale quotidienne "Couleurs Tropicales" est très appréciée et propose souvent de la musique malienne[viii].
Les radios communautaires voient également le jour[ix]. Ce sont des stations à petit budget, des milieux urbains et ruraux, proposant des émissions d’actualité et des émissions de débat (notamment dans les langues parlées des régions desservies[x]), dont certaines sont financées par des organismes internationaux, les agences des nations unies ou des ONGs[xi]. La musique joue un rôle moins important ici, mais encore une fois le contenu est souvent local.
La télévision
L’Office de la Radiodiffusion Télévision du Mali (ORTM)[xii] gère la radio nationale et régionale ainsi que deux chaînes de télévision nationales. La télévision nationale consacre parfois de longs créneaux aux concerts des célébrités de la scène locale ou stars des pays voisins, notamment le Sénégal et la Guinée. Ces concerts sont, en grande partie, des concerts de louange. Toute musique qui remet en question l’état, et surtout les structures religieuses, n'a pas sa place sur la chaine publique. Le reggae et le hip-hop, très populaires parmi les jeunes du Mali, mais bien plus problématiques encore, sont diffusés sur l’ORTM, mais sous forme sélective et épurée[xiii].
La presse écrite[xiv]
Le Mali connaît plusieurs journaux quotidiens et un nombre important de publications qui ressemblent aux journaux, mais leur tirage est limité à une fois par semaine[xv]. La grande majorité d'entre elles sont des revues politiques car elles appartiennent à des opérateurs politiques. La musique est loin d’être leur priorité et rarement y sont publiés des articles de fonds des nombreuses tendances de la musique malienne. Seuls les événements majeurs, tels que la sortie d’un nouveau CD, les concerts, les cérémonies de remise des prix, les galas ou avis de décès des musiciens y sont publiés. Le piratage et le non-paiement des droits d’auteur de la part des distributeurs de musique (y compris les stations de radio et de plus en plus les opérateurs de téléphonie mobile) sont également abordés. Ces sujets sont généralement traités de manière favorable aux artistes.
Il n’existe, à la connaissance de l’auteur, aucune publication consacrée à la diversité et à la dynamique de la scène musicale du Mali et une telle publication n’est point envisageable dans un avenir proche. Deux raisons expliquent cela. Tout d'abord, la grande majorité de la population malienne est analphabète et n’a accès à la musique qu’à travers la radio ou la télévision. Deuxièmement, la majorité des maliens alphabétisés ne pourront se le permettre financièrement. Le journalisme musical est donc un domaine d’expertise de la profession quasi inexistant.
Il existe cependant, et cela depuis de nombreuses décennies, de nombreux articles rédigés par des auteurs étrangers, mais leurs œuvres apparaissent dans les magazines de musique au Royaume-Uni (Songlines, fRoots) et sur des sites comme Afropop Worldwide (États-Unis), Mixedworldmusic.com (Pays-Bas), et Africultures.com (France) pour ne citer qu’eux. Le lecteur malien a rarement, voire pas du tout, accès à ces articles, à l'exception rare des titres en langue française.
Les médias en ligne
Avec l'explosion de l'Internet en Afrique favorisée par l’accès plus aisé au haut débit et la popularité grandissante des smartphones, toute une série de sites d'information a vu le jour. Des sites tels que Malijet.com, Abamako.com, Maliweb.net, Maliactu.net, Maliactu.info, Malinet.net, Koulouba.com, et Niarela.net parmi d'autres, fonctionnent généralement sur le même format que la presse écrite. Des reportages musicaux y sont également proposés, quoique superficiels. Certains sites, comme Koulouba, Maliweb et Malinet, ont une section dédiée à la musique alors que d'autres vont ranger les reportages musicaux dans des rubriques dites « Arts et culture », « Société » ou « Divers ».
La mission de ces sites d'information n’est sans doute pas de promouvoir la musique malienne. Ils existent pour lancer une discussion en ligne. La musique n’est que rarement abordée dans ces échanges. Comme la presse, ils traitent des manifestations musicales et autres sujets ayant trait à l’industrie[xvi], et reprennent souvent les articles[xvii] ou témoignages parus sur le site de RFI.
Les réseaux sociaux sont utilisés à des fins de marketing. Un exemple bien connu est celui de Bamada City, la maison du hip-hop malien, qui a une page Facebook[xviii]. Bamada s’occupe également de la distribution de contenus sur plates-formes mobiles, organise des spectacles et promeut les artistes émergents. Enfin, il y a également des artistes qui vendent leurs œuvres sur leurs propres plateformes, comme l’immensément populaire Mylmo N - Sahel[xix]. Bamako360[xx] est sans doute le seul portail web complet qui permet d’accéder à l’ensemble de l'expression artistique malienne, y compris la musique. Cependant, le site semble être inactif.
[i] Voir ici : http://afsaap.org.au/assets/graemecounsel2008.pdf [ii] Lire notamment: http://foreignpolicy.com/2013/03/15/malis-bad-trip/ [iii] On estime de 75 à 200 stations de radio. Estimation plausible car bon nombre de stations rencontrent des difficultés financières et peuvent, parfois, être interrompues ou ré- apparaître sous un autre nom. [iv] http://tunein.com/radio/Mali-r101267/ [v] www.malijet.radio.fr [vi] www.radiomamelon.radio.fr [vii] www.radiotenin.radio.fr [viii] Un exemple d’un reportage RFI sur la musique malienne : http://www.rfi.fr/emission/20150302-actualite-musiques-afro-speciale-mus... [ix] Les observations suivantes sont fondées sur mes visites aux locaux des radios communautaires de Bamako et de Kati en 2009, les conversations informelles avec des représentants des stations de radio de Tombouctou et de Sikasso pendant le 7ème festival de la radio et l’avant-dernier festival des Ondes de Liberté, un festival malien de la radio communautaire, dont la 8ème et dernière édition eu lieu en 2011. Voir aussi: http://www.mali-ntic.org/index.php/actualite/58-general/338-7eme-edition... [x] Voir ici : http://www.ictregulationtoolkit.org/en/toolkit/notes/PracticeNote/3153 [xi] Lire, à ce sujet, un rapport des Nations Unies sur la radio communautaire au Mali: http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/july-2005/les-radios-communa... [xii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Office_de_radiodiffusion_télévision_du_Mali. Peu d’information disponible. Le lien vers le site de l’ORTM est brisé. [xiii] Lire, à ce sujet, les pages 87 et 88. http://www.osisa.org/sites/default/files/public_broadcasters_in_africa_-... [xiv] Encore une fois, ces opinions purement subjectives se fondent sur des observations personnelles (entre 2009 et aujourd'hui, Juillet 2015) et des conversations informelles avec les journalistes. [xv] Autre exemple de la presse malienne : http://www.afribone.com/spip.php?article1711 [xvi] Lire également un bref article traitant du non paiement des droits d’auteur: http://koulouba.com/musique/la-colere-des-artistes-maliens [xvii] Source: http://allafrica.com/stories/201502170889.html [xviii] https://www.facebook.com/pages/BAMADA-CITY/139188679520148 [xix] http://www.mylmo.ml [xx] www.bamako360.com
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