Les médias et la musique en Côte d'Ivoire
Par Frederic Gore Bi
Les organes de presse, tous genres confondus, ont de tout temps accompagné l'industrie musicale dans ses différentes évolutions sous les cieux d'Eburnie. Même au plus fort du parti unique, les médias d'état, les seuls qui existaient à l'époque, n'ont jamais cessé d'apporter leur soutien à l'art musical en assurant sa promotion à travers des lucarnes et des tribunes appropriées. Et l'ouverture médiatique survenue en 1990 à renforcer davantage l'apport des médias à la promotion de l'art musical dans le pays d'Houphouët Boigny.
La RTI, pionnière dans la promotion de la musique ivoirienne
La Côte d'Ivoire à l'instar des pays de l'Afrique subsaharienne a longtemps vécu à l'ombre du parti unique avec son corollaire de médias d'Etats, qui étaient les seuls d'ailleurs. La radiodiffusion télévision ivoirienne (radio et télé) qui s'inscrit dans cette vague, a été le seul média audiovisuel ivoirien à cette époque. Elle a donc joué le rôle de rampe de lancement de la musique ivoirienne. La RTI à travers ses différents canaux a ainsi permis aux artistes ivoiriens et même ceux d'ailleurs de s'exprimer sur ses ondes. Les émissions telles que Podium, Nandjelet, Première Chance, Premières Gammes, Dimanche Passion, Sacrée Soirée, Super Star Station, Jamboree, et Varietoscope[I] (toutes des émissions de divertissement à caractère musical) en ce qui concerne la télévision et Djamo Djamo, Travailler fini fini, Masculin-Féminin, ont permis ou ont vu l'éclosion de nombreuses vedettes et stars de la musique made in Côte d'Ivoire. Quand à la grosse production de la Maison Bleue qui n'était autre "Afrique Étoiles" [II] (animée par Macy Domingo et Yves Zogbo Junior [III]), elle a vu défiler les plus illustres musiciens du continent noir et même au delà de ses frontières. Permettant au public ivoirien de voir de près ses vedettes adulées de la chanson et aussi à celles ci d'élargir leur part de marché.
Cette déferlante des artistes venus d'ailleurs sur les podiums ivoiriens avait été à l'époque interprétée comme une colonisation de la musique ivoirienne par celle venue de l'étranger. En plus de la RTI, il faut également citer la presse écrite qui était présente à cette époque. En effet, de 1960 date de son indépendance à 1990, année a qui vu l'instauration du multipartisme, la Côte d'Ivoire comptait deux quotidiens, Fraternité Matin et Ivoir Soir et deux magazines, Fraternité Hebdo, journal officiel du parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) et Ivoire dimanche (hebdomadaire de la culture et des arts.Ces journaux ont à leur manière, apporté leur concours dans la marche et l'évolution de la musique ivoirienne.
L'artiste tradi-moderne Germain Bi Gokon[IV], plus connu sous le pseudonyme Kayeli (dont l'un des titres à succès a été imposé à l'édition 1977 de la célèbre émission de l'animateur de talent aujourd’hui décédé, Edmond Roger Fulgence Kassy) nous parle de cette époque. "Avant, il n'y avait pas d'autres médias que les médias publics. Quand on sortait une œuvre, il nous fallait venir à la radio ou à la télé pour faire la promotion. Je dois avouer que les responsables de ces organes de presse étatique nous ont vraiment aidé dans notre tâche. "À la question de savoir en quoi à consister véritablement cette aide? Bi Gokon réponds sans ambages "Les animateurs de la RTI étaient des gens qui s'y connaissaient en musique et leurs conseils étaient des conseils avisés", avant d'ajouter "Un homme comme RFK [V] (initiales de Roger Fulgence Kassy), savait jouer des instruments de musique. Et quand il vous disait que votre album est bon soit en sûr que cela n'était pas une flatterie. Le public l'accueillait favorablement. Et quand il disait le contraire, soit vous aller améliorer votre produit, soit vous vous entêter et c'est un flop que vous faites dans la vente de votre galette sonore".
La presse écrite n'a pas été en reste de cet apport des médias à la promotion de la culture et principalement de la musique en Côte d'Ivoire. Ivoir Dimanche sous la férule du regretté Diegou Bailly, une grande plume qui s'est éteinte, a participé activement à la révélation et à l'éclosion d'anciens et nouveaux talents. On se souvient encore du reportage paru dans Ivoire Dimanche numéro 710 du 16 septembre 1984, de cet illustre journaliste sur le Smurf-Break-Dance, une nouvelle vague de danse venue des États-Unis et de son fer de lance en Côte d'Ivoire, Yves Zogbo Junior qui deviendra plus tard une vedette du tube cathodique sur les bords de la lagune Ebrié, a été le catalyseur de ce rythme américain qui n'était pas bien vu par certains ivoiriens. Son papier d'une rare qualité a permis de dissiper les doutes sur les appréhensions que les uns et les autres avaient à l'égard de ce courant musical venu du pays de l'oncle Sam.
Pluralisme politique et ouverture médiatique pour le renouveau de la musique ivoirienne
En 1990, le vent venu de l'est après le discours de la Baule prononcé par François Mitterrand, ci-devant président de la république française, a bouleversé la donne politique dans la plus part des pays Africains. Ainsi donc les systèmes monarchiques appelés par euphémisme système démocratique monopartite qui régnaient en main de maître à la tête de ces pays du continent noir, depuis les indépendances, ont commencé à vaciller allant à même à chuter sous les coups de boutoir des opposants. La Côte d'ivoire n'a pas échappé à cette réalité. Et ce changement va entraîner l'ouverture médiatique jusque là tenu par le pouvoir d'Etat. Ainsi donc en 1990, le retour au multipartisme permet le pluralisme d'expression. 187 titres font leur apparition sur le marché, paraissant régulièrement ou épisodiquement en ce qui concerne la presse écrite. Quand au secteur de l'audiovisuel, il va enregistrer la venue de nouvelles chaînes de radios commerciales telles que Radio Jam qui après avoir obtenu sa licence en mars 1993 va émettre ses premières ondes en 2000 et Radio Nostalgie, filiale de Nostalgie International, reçue à Abidjan depuis le début des années 1990.
Le paysage audiovisuel ivoirien s'est donc enrichi avec de nombreuses stations émettant en modulation de fréquence (FM). Huit catégories: les radios privées non commerciales ou radio de proximité (plus d'une centaine), les radios rurales, les radios confessionnelles, les radios commerciales privées, les radios des écoles, les radios étrangères, les radios institutionnelles et les radios d'état. Des télévisions privées par Satellite et par ondes hertziennes comme Canal+ Horizon (qui compte plus de 40 000 foyers abonnés locaux) et les stations de son bouquet vont également inonder le marché ivoirien. Ce qui va donner plus d'opportunités aux artistes musiciens ivoiriens pour la promotion de leurs œuvres musicales. Une thèse que semble partager Parker Sacko, artiste rappeur et animateur sur Cocody Fm 98.5, une radio de proximité émettant sur Abidjan et sa banlieue. "Avant nos aînés étaient obligés de passer par les canaux des médias étatiques pour faire leur promotion. Ce qui les laissait à la merci des désidératas des responsables de ces organes de presse. Mais maintenant avec l'ouverture partielle de l'espace audiovisuel, une panoplie de choix s'offre aux jeunes artistes pour faire la promotion médiatique de leurs albums", indique celui qui se fait appeler le meilleur de sa génération.
Internet comme un complément au développement de la musique ivoirienne
Depuis le développement d'internet en Côte d'Ivoire, de nombreux sites ont vu le jour. Le site le plus populaire est ‘’Abidjan.net’’ [VI] qui présente l'actualité ivoirienne et internationale à travers des articles et caricatures des différents journaux de la Côte d'Ivoire (Economie, sport, culture, politique, dépêche).Cependant, il existe d'autres grands sites ivoiriens spécialisés dans la culture et notamment le show-biz: ‘’Abidjanshow.com’’ [VII] est le premier portail du show-biz ivoirien, on y retrouve des clips vidéos, de la musique et des informations people. On peut également citer UrbanPress.ci [VIII] (l'un des sites les plus visités dans le domaine du show-biz), qui abonde dans le même sens que le précédent site. À ces sites en ligne qui font la promotion de la musique, il faut ajouter les sites des artistes musiciens ou des groupes musicaux comme les Gaous magicien (Magic System) de Traoré Salif dit A'Salfo et ses amis. Le site leur permettant de donner leur actualité et les informations sur leur carrière. Une manière de rester en contact avec leurs fans et tous les promoteurs de spectacles malgré la distance qui les sépare très souvent.
Les réseaux sociaux qui se sont imposés comme les médias alternatifs depuis un certain temps, ne sont pas en reste. Leur accessibilité à toutes les bourses, leur facile utilisation et leur appropriation par un très grand nombre de personnes, font d'eux de puissants canaux de diffusion. Facebook, Twitter, Youtube, Google+ et autres sont aujourd'hui utilisés par bon nombre d'artistes qui y font la promotion de leur album. Une vidéo sur Youtube ou sur Facebook a plus de portée qu'un clip sur une chaîne de télévision. Un artiste comme Dj Arafat a bâti une partie de sa renommée par le biais de Facebook où il postait régulièrement ses vidéos de ses nouveaux pas de danse ou de concepts musicaux. Ce réseau social étant utilisé par plus de 1.500.000 ivoiriens, ces vidéos connaissent donc un succès phénoménal.
Les pages Facebook et les comptes Twitter des artistes sont aussi de puissants moyens de communication et de promotions de leurs œuvres musicales. L'exemple du groupe Magic System est aussi épatant qu’édifiant. Avec 1.100 031 mentions J'aime sur leur page Facebook, cet ensemble musical qui a apporté plus d'un laurier à la Côte d'Ivoire, fais passer régulièrement des messages à leurs fans avec lesquels, ils interagissent tout le temps. Une façon originale de tenir au chaud les fanatiques et de leur permettre à avoir accès à une partie de la vie de leurs idoles.
Avec le web 2.0, la promotion des œuvres musicales devient encore plus facile et à moindre coût. Une aubaine que les artistes ivoiriens exploitent à merveille. Le domaine de la musique, de l'audiovisuel (vidéo-télévision-radio) et celui des médias constituent une source de revenus conséquents qui génèrent près de 1250 emplois en Côte d'Ivoire avec un chiffre d'affaire minimal de 1,6 milliards de francs CFA par an. Ce qui fait dire à certains observateurs que la presse est à la musique ce que le nectar est aux abeilles. C'est à dire un élément vital pour son épanouissement et sa promotion. Et même si l'industrie de la musique en Côte d'Ivoire est depuis un certain temps confrontée à une piraterie sauvage à grande échelle, n'empêche qu'elle reste dynamique grâce à l'apport de des médias dans leur diversité.
[I] Visualisez un extrait sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=LKhITiXttIE [II] Regardez un extrait sur Youtube https://www.youtube.com/watch?v=ngXUtNGu2Rc [III] Biographie de Yves Zogbo Junior http://www.abidjanshow.com/v2x/home/article/index?categorie=73&id=6860 [IV] Extrait de la chanson ‘’Gagloudji de Germain Bi Gokon https://www.youtube.com/watch?v=XOpfMeFUwHU [V] Hommage à RFK https://www.youtube.com/watch?v=GtGuhobE9qM [VI] http://www.abidjan.net/ [VII] http://abidjanshow.com/v2x/home/ [VIII] http://www.urbanpress.ci/
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