Médias et Musique au Congo-Brazzaville
Par Anthony Mouyoungui
Au Congo-Brazzaville, médias et musique ont toujours entretenu des rapports très étroits. L'on ne pourrait pas concevoir un programme radio et télé sans musique et l'on ne peut pas non plus imaginer des artistes-musiciens ne pas utiliser les médias pour la promotion de leurs produits. La musique a toujours occupé une part importante dans les grilles des programmes des médias congolais. Pour certains organes, c’est le produit d’appel ou d’accroche. Presque environ 60 % des contenus quotidiens à l’antenne.
Le paysage médiatique à la naissance de la jeune nation
Lorsque le Congo acquiert son indépendance le 15 août 1960, le pays ne compte que deux médias : Radio Brazzaville, lancée en décembre 1940 dans un contexte de crise mondiale pour servir de voix à la France libre, qui deviendra Radio Congo, et La Semaine Africaine, le bihebdomadaire lancé en 1952 par le Conseil épiscopal du Congo (Eglise catholique). Télé-Congo, la première chaîne à émettre en Afrique subsaharienne, ne verra le jour qu’en 1962. Pendant des années, Radio-Congo et Télé-Congo ont été les principaux médias de diffusion de la musique et de la promotion des artistes congolais. Radio Congo aura même fait office de studio d’enregistrement. Le paysage médiatique du Congo-Brazzaville a énormément évolué au cours de la première décennie du XXIe siècle avec l'arrivée massive des radios, télés et journaux privés et d'internet.
Les médias publics, unique canal de diffusion
De sa création en 1944 à aujourd’hui, Radio-Congo a été le témoin privilégié des différents changements que le pays a connus. Ce témoin privilégié a vu défiler dans ses studios des artistes de plusieurs générations et diffusé des musiques qui ont marqué des milliers d’auditeurs à travers les époques. Suivie dans tout le pays, elle était le seul moyen qui permettait aux artistes de se faire connaître du grand public. Passer sur les ondes de la radio, diffusion d’une chanson ou d’une interview, était signe de reconnaissance nationale. A travers des années, la grille de programmes de Radio-Congo a accordé une part importante à la musique.
Radio-Congo participe à tous les événements musicaux organisés dans le pays, à Brazzaville principalement. Des programmes tels que Le coin des orchestres, Le Club des orchestres congolais (Le Coco en sigle), Samedi na Brazza , Escale à Brazza ou Ecoutez et jugez , ont donné la possibilité aux musiciens de sortir de l’ombre. Lancé le 29 mai 1964, « Le CoCo se donne comme mission, l’exploitation au mieux de la musique congolaise, pour atteindre toutes les couches sociales de la société. Jusqu’en 1976, cette émission connait un grand succès populaire grâce à ses principaux animateurs, Claude Bivoua, Clément Ossinondé, Lucien Sianard et Feret, avant de subir une nouvelle orientation, avec d’autres animateurs, dont les musiciens Ange Linaud et Pamelo Mounk’a qui glanaient chaque fois les nouvelles des orchestres. D’année en année, l’émission le CoCo a toujours gardé sa tranche hebdomadaire de samedi après-midi sur les antennes de Radio Congo » raconte Clément Ossinondé.
La télévision comme vitrine nationale de la musique
Si passer à la radio était déjà un pas important dans la carrière d’un artiste ou d’une chanson, passer à la télé était perçu comme le sommet à atteindre. Tous les artistes aspiraient à passer sur Télé-Congo : Vidéo 45 , Musiques entre les lignes et TAM TAM , étaient les émissions les plus suivies dans les années 80-90. Mais, elle avait un grand handicap qui limitait son public, elle n’était suivie qu’à Brazzaville, la Capitale. Il a fallu attendre 1982 pour que Télé-Congo couvre d’autres grandes villes augmentant ainsi son audience, ce qui lui permit de dépasser la radio dans les villes de 11 heures à 23 ou 24 heures. L’on avait ainsi une sorte de découpage géographique : Télé-Congo suivie dans les villes (Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie) et Radio-Congo suivie partout y compris dans les coins les plus reculés. En Modulation de fréquences (FM) et en Ondes courtes (SW).
Cette promotion des artistes s’illustrait par la diffusion quotidienne des clips entiers d’un album, clips réalisés grâce aux moyens techniques de la chaîne. Ainsi, le public a pu redécouvrir des artistes connus : Youlou Mabiala, Pamelo Mounka, Loko Massengo, Ange Linaud, Les Bantous, Les Anges,… et découvrir de nouveaux talents Pembey Sheiro, Fernand Mabala, Rapha Boundzeki, Viva Mandolina, Rigadin Mavoungou, Extra Musica,...
Pluralité médiatique, plus grande visibilité pour les artistes et la musique congolaise
L’avènement de la démocratie en 1991, entraîne une libéralisation dans tous les secteurs d’activités pourtant, il faut attendre le début de ce siècle pour voir l’audiovisuel congolais entrer dans une nouvelle ère. Fini le monopole des médias publics, c’est le temps de la concurrence. Ainsi tour à tour naissent Radio-Océan, DRTV, Ponton FM, Radio Louvakou, Radio Liberté, Radio Brazza, DVS+, Radio Mucodec pour ne citer que les principales. Il faudrait maintenant aux radios d’offrir des programmes de qualité afin d’avoir une de grandes parts d’audience. Seulement, la plupart ne proposent que de la musique. Une véritable aubaine pour les artistes qui voient leur chance d’être écouté augmenter considérablement.
A Radio-Océan, la première chaîne privée, lancée à la fin des années 1990, le programme est essentiellement fait de musique et de divertissement. Des émissions telles : Ecoutez et réagissez et Vag en Vog, permettent aux mélomanes ponténégrins de connaître l’actualité musicale de la ville et du pays. Elle est le canal par excellence pour les musiciens ponténégrins. Bien avant, Radio Pointe-Noire, le média public, avait amorcé la démarche au travers de l’émission Boulevard des Musiciens ou Lumingu lu Nienze. Cette situation de quasi-monopole dans la ville s’arrêta avec les naissances de Ponton FM en mai 2004 et de DVS+ en mai 2006.
La configuration des programmes de ces nouvelles stations est identique de l’une à l’autre, plus de musique. Il ne pouvait pas en être autrement pour Ponton FM qui a pour slogan "la radio des artistes" et de DVS+ dont le promoteur est un ancien musicien de GO Momekano. Des programmes tels que Festival’O, Afro-Mix, Sonorités gospel (Ponton FM) et Musiques en ligne (DVS+) ont donné la possibilité aux musiciens de sortir de l’ombre.
Pour Radio-MUCODEC, lancée en février 2010 à Brazzaville, suivie sur internet, la musique constitue 75% du programme quotidien. « Elle se manifeste par l’essentiel des musiques programmées dans nos playlists quotidiennes, nos chroniques musicales quotidiennes (3 par jour), les spots promotionnels gratuits d’événements musicaux et par la couverture de ceux-ci » explique Privat Tiburce Massanga , responsable de cette radio possédant également une antenne à Pointe-Noire.
Pour la promotion, « Radio MUCODEC achète les disques ou les billets de certains concerts qu’elle fait gagner à ses auditeurs. Elle est partenaire de nombreux événements musicaux qu’elle soutient, soit au travers de la promotion sur ses antennes (spots et interviews d’artistes) ou par un soutien matériel (banderoles) et financier (festival). Par ailleurs, il sied de noter que la plupart du temps, c’est Radio MUCODEC qui va la rencontre des artistes. Enfin, Radio MUCODEC paye chaque année une redevance relative aux droits d’auteurs (BCDA) » ajoute Privat Tiburce Massanga.
Les télévisions privées (DRTV et DVS+ par exemple) sont devenues, en l’espace de quelques années, les canaux privilégiés des artistes-musiciens. En une journée, ils peuvent faire leur promotion sur plusieurs chaînes. Ndule+ et Le Show du Samedi Soir à DVS+, Fara-Fara et Planète Arts à DRTV sont les émissions les plus suivies.
Dans ce paysage médiatique dominé par l’audiovisuel, la presse écrite participe aussi à cette noble mission et ce malgré l’attention moyenne que lui accorde le public. Elle consacre des articles à la musique à travers des interviews annonçant des sorties d’album et des dates de spectacles, des portraits et autres….C’est le cas d’Etoumba, Mweti et d'Agence Congolaise d’Information (ACI), Congo-Magazine, La Nouvelle République, La Semaine Africaine et des Dépêches de Brazzaville. Les pages culturelles de ces titres ont accordé une place de choix à l’actualité musicale.
La Semaine Africaine et Les Dépêche de Brazzaville s’appuient aussi sur leurs sites internet. En effet, internet donne la possibilité aux artistes-musiciens d’atteindre un public plus large et de se faire connaitre sur l’international. Les sites tels que Starducongo.com, participent activement à cette campagne de promotion. L’actualité de la musique, festivals, albums, portraits, concerts et interviews, occupe une place essentielle sur ce site. Le travail des artistes-musiciens congolais est connu à travers le monde. Sur internet, l’on peut aussi écouter directement quelques radios congolaises : Radio-MUCODEC, Ponton FM et Radio-Maria.
Les radios confessionnelles, RSM, Radio Maria et Radio Luzolo participent également à la promotion de la musique mais dans son aspect sacré. Dans leur mission de propager l’évangile, elles diffusent de la musique religieuse. Elles sont une aubaine pour les artistes de "la chanson chrétienne", habituellement cantonnés aux plages du dimanche matin.
La pluralité des médias a non seulement augmenté la visibilité des artistes congolais mais aussi et surtout fait naître le mercantilisme dans les rapports entre artistes et journalistes. Si à l’époque des médias publics la promotion (playlist) était gratuite, aujourd’hui, il est difficile de bénéficier d’une vraie promotion sans argent. En effet, pour être reçu dans la plupart des émissions, il faut payer une somme d’argent. Ce qui bien entendu freine les artistes qui n’ont pas assez de moyens.
Bibliographie: Histoire de la musique : 52 ans de la musique au Congo-Brazzaville (1960-2012), Collection Etudes sociales, Clément Ossinondé, page 19. Interview de Privat Tiburce Massanga réalisée en août 2014. Sites web médias : Ponto FM . www.pontonfm.com Radio Mucodec. www.mucodec.com DRVT International. http://www.drtvcongo.com Starducongo.com. www.starducongo.com
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