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La mélopée des sables, le tendé-guitare au Niger
- Par Luigi Elongui
Un style transfrontalier répandu dans la bande sahélo-saharienne, héritage d’une expression de la culture touarègue, inspire un courant musical pour guitare électrique ou acoustique.
- La mélopée des sables, le tendé-guitare au Niger
Apparu sur la scène internationale dans les années 1990, ce blues du désert connaît un regain de popularité au Niger avec une formation féminine, Les filles de Illighadad. Grâce à l’originalité de son répertoire, il s’impose également comme un genre à part dans la sous-région.
Le 20 avril 2017, Les filles de Illighadad, originaires du village homonyme situé dans le sud du Niger, sont à l’affiche des Printemps de Bourges, festival français consacré au talents affirmés ainsi qu’aux jeunes découvertes. Leader et fondatrice de cette formation féminine accompagnée par un instrumentiste enturbanné, Fatou Seidi Ghali joue de la guitare et chante des mélodies langoureuses qui évoquent des antiques incantations. Ses deux cousines l’entourent : Mariama Salah Assouan chante et claque les mains, Alemnou Akrouni chante également et tape avec un pilon en bois le dos d’une demi calebasse renversée dans une cuvette remplie d’eau.
Leur style est une variante du tendé-guitare, blues des Touareg aux volutes lancinantes, interprété en langue tamashek. La guitare est l’instrument emblématique. Son jeu, comme les voix qui l’enveloppent, s’inspire d’une ancienne forme culturelle des populations nomades du Sahara, le tendé (ou tindé), qui a survécu à l’usure du temps et à la dislocation permanente de ces communautés menacées dans leur mode de vie et systématiquement marginalisées.
Les Ishumars
Si sa gestation remonte aux années 1970, ce genre de musique prend son essor dans la décennie 1990, avec l’exode massif de groupes de jeunes touareg qui quittent transhumances et campements dans le désert pour s’installer aux abords des périphéries urbaines de la sous-région. En mal d’occupation, ces Ishumars (du français chômeurs) tuent le temps en grattant les cordes d’une guitare et en composant des chansons. Dans leurs textes, les récits de leur condition présente se mêlent aux souvenirs des rebellions anciennes, aux appels à reprendre les armes, aux rêves d’une patrie imaginaire ou à la nostalgie des espaces sablonneux.
Entre l’Algérie, le Mali et le Niger, nombreux orchestres voient le jour dans le sillage des précurseurs : les maliens de Tinariwen, qui se forment pendant le festival d’Alger (1982) et évoluent ensuite à Tamanrasset, ville du sud algérien, et le nigérien Abdallah Oumbadougou, excellent guitariste et ancien résistant. Ce dernier rentre dans son pays après un long exil, suite aux Accords de paix de 1995, et donne ses concerts dans la ville d’Agadez (nord du Niger, à la lisière du Sahara et du Sahel), qui devient l’une des places fortes de la guitare touarègue.
Le courant musical des Ishumars nait ainsi et, en janvier 2001, a lieu la première édition du Festival du Désert à Essakane, près de Tombouctou, dans le nord du Mali. Soutenus par l’association locale Efes, les musiciens de Tinariwen figurent parmi les promoteurs de la manifestation avec le groupe français Lo’Jo d’Angers, le festival belge Sfinks et le label anglais Apartement 22. Avec ce tremplin, le mouvement de la musique touarègue prend son envol international. Des groupes du Niger, comme Toumast et Tidawt, ainsi que la formation féminine malienne Tartit (connue en Europe depuis 1995, suite à sa participation au Festival des voix de femmes de Liège, en Belgique) se font particulièrement apprécier et contribuent à l’épanouissement du genre au-delà des frontières de la sous-région et de l’Afrique de l’ouest.
En 2008, en France, le label lyonnais Reaktion publie la compilation Ishumar / Musique touarègue de résistance (distribué par Tapsit). Parmi les groupes enregistrés, toutes les grosses pointures de la mouvance : Tinariwen, Terakaft, Toumast, Etran Finatawa, Tamikrest, Bombino… qui se réunissent à nouveau en 2012, à l’appel du label Glitterhouse Records de Bleverungen, en Allemagne, pour participer à un autre recueil intitulé Songs for desert refugees.
Le tendé
Propulsé par la production discographique et les tournées en Europe de nombreuses formations (pour la plupart originaires du Niger : Toumast, Atri N’Assouf, Bombino, Ezza, Kel Assouf, Abdallah Oumbadougou, Etran Finatawa..), le blues touareg devient l’un des genres incontournables des musiques du monde.
En mai 2008, un concert de Tinariwen au festival Musiques Métisses d’Angoulême fera date. Forts du succès, les membres des formations-phare appellent leur style tindé-guitare, histoire de revendiquer un ancrage culturel pour renforcer un message identitaire et politique.
Il s’agit de souligner que le jeu de guitare, la manière de poser les voix et les textes des chansons sont tributaires d’une ancienne tradition kel tamashek répandue dans toute la bande sud saharienne et aujourd’hui bien vivante dans les campements ou près des communautés sédentarisées de la diaspora et des réfugiés.
Le mot tendé désigne à la foi une cérémonie de convivialité et de retrouvailles (takoubelt, en tamashek), la musique qui l’accompagne (avec récit de poèmes, claquements de mains, danses et parades de chameaux) et l’un des instruments pratiqués, un mortier à mil, qui peut être rempli d’eau, recouvert d’une peau de chèvre tendue sur son extrémité creuse et battue par une soliste.
Art ancestral célébrant la nature, les guerriers et la femme, le tendé est le genre par excellence des femmes touarègues et l’existence de groupes féminins comme Tartit et, aujourd’hui, Les filles de Illighadad n’est pas étonnante.
Revival
En décembre 2014, une icône féminine de la région sahélo saharienne , l’algérienne Lalla Badi, militante sociale, activiste culturelle, vocaliste aux spirales hypnotiques et joueuse de tendé, participe à un concert mémorable au théâtre parisien des Bouffes du Nord. À 75 ans, celle que l’on appelle « la mémoire vivante du tendé » partage la scène avec les Tinariwen, qui l’avaient invitée dans le cadre de la tournée Emmaar, à l’occasion de la parution de leur album homonyme. Un disque, Live in Paris, paraîtra en novembre 2015 en souvenir de l’événement. Trois chansons y en sont consacrées au tendé, dont la dernière, « Tendé Final », avait marqué l’apothéose du concert.
Cette rencontre entre le groupe culte du blues du désert et l’égérie du tendé n’était pas due au hasard. Pendant les années ’80 à Tamanrasset, Lalla Badi organisait des soirées musicales à Tahaggart-Shoumera, le quartier des Touareg de la diaspora malienne. Les Tinariwen étaient déjà là à l’époque et partageaient la scène locale avec la chanteuse, de laquelle ils ont dû beaucoup apprendre pour leur carrière à venir…
Dans leurs interviews avec la presse, Les filles de Illighadad revendiquent ce double héritage au courant Ishumar et à la doyenne touareg de Tamanrasset. Néanmoins, leur interprétation du tendé en fait un style à part, un courant qui s’impose au Niger et, depuis la parution de leur premier album éponyme en février 2016, dans le show-business international.
Les trois femmes kel tamashek sont les premières et les seules à avoir porté sur la scène l’un des instruments à percussion typiques du tendé, la demi calebasse sur eau appelée assakhalabo, dont le rythme sert de support à celui du tendé proprement dit. D’ailleurs, avant de faire son apprentissage à la guitare, Fatou Seidi Ghali pratiquait le takamba, un luth monocorde qui donne le nom à un genre de musique répandu au Niger et au Mali. Dans son jeu dépouillé, les réminiscences des accents plaintifs du takamba se joignent aux accords plus vibrants de la guitare des Ishumars.
Si l’on ajoute à ses éléments spécifiques des influences de la musique des Haoussas, ethnie proche de la région de Tahoua, où est situé Illighadad, le tindé-guitare de Fatou, Alemnou et Mariama éclôt comme un genre spécifique au Niger, évolution particulièrement suggestive d’un plus vaste mouvement qui s’affirme dans le paysage musical contemporain.
Références
Film : Ishumars, les rockeurs oubliés du désert de François Bergeron. Disponible en DVD sur le site de Desert Rebel.
Livre : Musique touarègue de l’Ahaggar, de Nadia Mécheri-Saada. L’Harmattan, Paris 1994.
Essai : La guitare des Ishumar. Emergence, circulations, évolutions, de Nadia Belalimat. Dans le dossier Géographie, musique et post-colonialisme dans La revue des musiques populaires, 2008.
Disque vinyle : Nomades du Niger / Musique des Touareg et des Bororo. Ocora, Harmonia Mundi, Paris 1983.
Disque vinyle + album numérique :FatouSeidi Ghali &AlemnouAkrouni, Les filles de Illighadad, Sahel Sounds, février 2016.
Album Cd : Les filles de Illighadad, Eghass Malan, Sahel Sounds, octobre 2017
Concerts : Les filles de Illiighadad en tournée française. Le 10 mai à la Mouche Gare, à Lyon (69) et le 24 aux Ecuries de Baroja à Anglet (64)
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