Le reggae au Bénin
Le reggae au Bénin, épouse plusieurs coutures, s’élabore, se renforce et s’épanouit selon les dimensions sur lesquelles surfent les artistes qui se l’approprient. Plus d’un tiers de siècle durant, il s’est construit entre, univers 100% roots aux couleurs de l’Afrique, ou des régions du pays, et atmosphères profondément inspirées par le legs jamaïcain. Par contre, depuis les précurseurs, jusqu’aux artistes intermédiaires du genre, en passant par les garants actuels de sa pérennité, plusieurs mutations ont pu s’observer, notamment sur les aspects linguistiques, thématiques, et militantes.
Les origines
Le reggae au Bénin remonte aux années 80, dans un contexte où le pays était drapé d’une chape dictatoriale. Plusieurs opposants étaient soit assassinés, torturés ou exilés. Il y avait donc une urgence d’insurrection, de revendication, propice pour la propension du genre. Ainsi, l’enjeu était pour les artistes béninois qui pratiquaient le reggae, de l’utiliser pour évoquer des situations sociales sensibles, dénoncer la morosité économique, la gabegie, la concussion et l’impéritie. C’est alors que des précurseurs de poigne ont émergé, installant une dynamique militante et de militantisme musical.
Les précurseurs
Les trois précurseurs actifs à identifier pour le reggae béninois sont : Yaya Yaovi, Bach Alex, et Sabbat Nazaire.
Yaya Yaovi est le premier reggae-man béninois et par extension, africain. Avant Alpha Blondy, il avait d’ailleurs ouvert la voie. Sa carrière commence autour des années 1971, . En 1980, il sort son premier ‘’33 tours’’, Release Time, Son deuxième album Stop that rain est enregistré à Kingston, en Jamaïque sort en 1982. Suivra une tournée mémorable qui le mène dans toute l’Europe et en Afrique. Le Hall des Arts de Cotonou a été, le lieu d’effervescence par excellence lors de cette tournée de Yaya Yaovi.
Il s’accordera ensuite 7 ans avant de sortir son album Seed, enregistré également en Jamaïque aux côtés d’Aston Barrett.
Aujourd’hui, il a construit à Abomey-Calavi un espace culturel et musical, à l’intérieur duquel sont installés un studio d'enregistrement professionnel, une scène de concert en plein air.
Bach Alex ou la sensibilisation sociétale
C’est avec une écriture franche, parfois légèrement teintée d’humour que Bach Alex a façonné son univers. Ses premiers tubes ont été dévoilés entre les années 95 et 96. Il s’agit notamment de « Wanoumayi », « Kpon dé zoumigbon é », « Tiin tiin yonnou ». Ces chansons ont permis aux béninois de s’identifier plus facilement au reggae, notamment par rapport au vocabulaire et à la syntaxe propres aux communautés du Sud.
Sabbat Nazaire ou la profondeur de la spiritualité
Nazaire Akpovi alias Sabbat Nazaire a démarré son apprentissage musical depuis les années 1974. C’était d’abord à Dassa, ensuite à Djougou, puis à Natitingou, où il avait intégré un groupe du nom de « Yayé Band ». Ce n’est bien après qu’il va migrer sur Cotonou dans les années 80, afin de travailler avec le Poly-Rythmo, Les Volcans, puis Les K-seurs (à l’Université d’Abomey-Calavi).
Après des études en économies financière et budgétaire, il va se rendre en Côte-d’Ivoire où il dirigera pendant près de deux ans, une chorale. Ce qui va déterminer son orientation artistique professionnelle quand, par la suite, il décidera de se lancer dans ses premiers enregistrements. En 1991, il sort son premier album intitulé La vie est un précieux cadeau.
Cet album lui permettra de faire une première tournée sous régionale, entre le Niger, le Togo, le Ghana, et le Bénin. Après, il sort un album en 1993, baptisé Votez oui, votez non. Sabbat Nazaire, s’y caractérise par un brin de revendication sociopolitique, marquée par une écriture presque rageuse et très indignée. Deux ans après (en 1995), il reviendra au-devant du micro, avec Je ne suis pas beau – Les charognards sont contents du Rwanda, un album tout aussi engagé que le précédent.
Cet album, entre autres, grâce à son titre éponyme « Je ne suis pas beau » aura un retentissement considérable. Par contre, les opportunités, puis les difficultés du vécu de l’artiste, vont l’éloigner de la musique. Il va lui falloir dix ans de retrait et d’expériences personnelles, avant que l’artiste ne parvienne à relancer sa carrière. En 2007, parait « Gbèssou », qui se veut une restitution des vestiges de la vie, de son parcours, des relations difficiles avec l’humain, de ce qu’il appelle lui-même « la méchanceté des Hommes ».
Cet album revêtira un ton intimiste mais tout de même ancré à un reggae cadencé quand l’émotion s’y prête. Trois ans après, il s’octroiera un ressourcement, un retour à la ville génitrice de son rapport à la musique : Dassa. En effet, en 2010, il enregistrera « Odayé » avec la Chorale Dassa. Il y manifeste de manière très prononcée la direction religieuse qu’il tient à insuffler à sa musique, avec des effets de chœurs expressifs et très présents. Ensuite, il maintiendra de la constance dans son parcours. En Août 2011, sort « Azéto n’woyètoé – Dobodoé – do nouwé Benoît XVI », et en Décembre 2012 « n’kpodogbè ». en 2014, il rentre en studio en urgence.
Et quelques mois après, sort « Jamais deux Dieux – Gbènonmakpéwé ».Il s’agit d’un opus religieusement contestataire parce que, s’opposant farouchement et frontalement à Parfaite de Banamè (une croyante s’étant autoproclamée Dieu au Bénin). L’audace d’un tel album, alors que nombre de gens avaient développé une crainte exacerbée de Parfaite de Banamè en question, a favorisé l’écoulement de ce disque, soit plus de dix mille exemplaires en moins de dix mois. Sabbat Nazaire, est donc un reggae-man à la créativité spirituellement réactive, souvent exubérante, mais qui sait sonder l’Homme dans sa foi religieuse ; de l’apparence à l’obscure profondeur.
La nouvelle génération : entre succès et reconquête du genre
A la suite des précurseurs, de nouveaux talents reggae ont émergé, apportant au mouvement une nouvelle approche : celle de l’ancrage à l’identité musicale nationale. Ras Bawa est l'un des reggaeman qui a eu le plus de succès dans cette génération, grâce à son approche linguistique béninoise du reggae. Son atout étant de chanter en langue Idaasha, contrairement à Yaya Yaovi et aux autres qui chantaient soit exclusivement en anglais, soit en français.
A travers ses cinq albums Noirs & Blancs, c’est l’image de Dieu, Passeport, Jeunesse africaine, et De Paris à Bohicon, Ras Bawa s’accroche à la dénonciation d’injustices, des tensions claniques, des tares sociales, de la haine.
Après ce premier succès, plusieurs autres ont suivi, les artistes adeptes de reggae étant convaincus de l’utilité de poursuivre dans cette logique musicale. C’est ainsi que se sont illustrés incontestablement des artistes comme : Baba Djallah (malheureusement, mort trop tôt pour perpétuer son œuvre), avec un reggae à la mélancolie chantonnante, incarné par le titre « Gaboro » notamment.
Fôô Fannick, qui s’est forgé en étant batteur d’Alpha Blondy. De son vrai nom Fanick Marie-Verger, il a un parcours de plus de vingt-cinq ans, en tant qu’auteur, compositeur, et arrangeur. Il vit actuellement à Berlin où il s’occupe entre autres de concerts de musique afro-reggae, afro-beat, world-music, etc.
Assoh Babylas, de son vrai nom : Babylas Ahouangansy, a grandi à Abomey, et embrasse le reggae à la fois pour faire parler son histoire, son vécu, mais aussi pour authentifier son approche selon laquelle le reggae est avant tout, vecteur de valeurs. C’est autour des années 2000, qu’il sera remarqué au Bénin, notamment grâce aux médias locaux.
Vingt ans après ses débuts discographiques au Togo, c’est à Abidjan qu’il perfectionnera sa maîtrise du reggae aux côtés d’Ismaël Isaac notamment. Ensuite, en 2006, avec « Kinikinis Wéwés » (formé par lui-même en France), il enregistre « La mort des Justes ». Ce qui lui permit de gagner en visibilité et en France, et en Afrique de l’Ouest ; mais le motive aussi à revenir en studio, après des tournées en groupe.
En 2013 donc, sort son second album intitulé Taximan qui interpelle sur la situation critique de l’Afrique géré par des dirigeants avides de gains mal acquis, corrompus, et corrupteurs. Il y partage deux titres avec des invités comme l’ivoirien Ismaël Isaac sur « Brother’s song » et l’américain Andrew Diamond sur « Kings of Abomey ».
Erick Krystal, de son vrai nom Sangnidjo Erick, fit ses premiers pas autour des années 90 – 93. Sauf que, ce n’est pas sur le territoire national qu’il va immédiatement s’exposer, mais en Europe, en côtoyant notamment le batteur des Wailers (groupe de Bob Marley), Alpha Blondy, Tiken Jah Fakoly, etc. Ce n’est qu’après s’être installé en Italie, et avoir remporté des concours et programmes musicaux, qu’il se décidera à sortir en 2009, son premier opus. Un douze titres baptisé They are trying again, suivi en 2014 de Ilé Ifê Africa dont le titre éponyme reçut le prix de « Meilleur Lyrics » à Boulogne.
D’autres talents comme Tom Negus, Creator B, Rasgansa, pour les plus anciens, et Rouf Alley ou Yokula ont continué à marier la lourde rythmique jamaïcaine aux envolées saccadées de nos régions. Et comme c’était la mode, le reggae servait alors de passerelle pour d'aucuns. Comme une source d'apprentissage de soi avant de passer à des extensions plus personnelles. Ce fut le cas des artistes comme Rabbi Slo (dans les années 90), comme Don Métok ou Ya Salaam (autour des années 2000).
Mais là, il ne s’agit que des reggae-mans exclusifs, c’est-à-dire, les artistes qui ne font que du reggae tout court. Or, on ne peut évoquer le reggae au Bénin sans parler également de Nel Oliver, ou de Poly-Rythmo, qui eux, furent reggae-men de circonstance, en signant des hits sur fond musical reggae.
Il n’en demeure pas moins pour des artistes comme Phil Jackson, ou Man Dav’s, qui eux, ont préféré mêler au reggae des influences gospel. Option qui réussit mieux à Man dav’s qui parvient grâce à cet alliage, à décrocher un trophée de Champion de la Coupe Nationale des Artistes Vainqueurs du Bénin « Conavab » en 2002.
Le septentrion béninois et son reggae du terroir
C’est Baba Djallah qui incarne la figure de proue du reggae dans le Nord-Bénin. Mais du fait de sa mort, la relève ne va pas hésiter à entretenir l’existence du mouvement rastafari. Alpha Mim, surnommé dans la région septentrionale du Bénin « le alpha blondy béninois », et établi à Parakou, passe pour être le successeur immédiat de Baba Djallah.
Ce qui contribue au succès immédiat et étincelant de Alpha Mama Ibrahim Mohamed Awali, fut son côté identitaire dans ses orchestrations, avec des intégrations d’instruments typiquement de la région, des langues , des pas de danses rappelant aussi la zone socioculturelle dans laquelle il a grandi.
Spontanément, toutes les communautés du Nord-Bénin, parvenaient à s’identifier à sa musique, par l’un ou l’autre aspect qui leur paraissait chacune proche de leurs traditions et cultures. Ce qui a été un moyen efficace de propension de son style et des titres comme « M’bakako » ou « Sariya » rapidement adoptés par les populations et facilement plébiscités par les médias. Jusqu’en 2013, sa discographie contenait quatre albums, et un cinquième en préparation déjà paru, depuis le temps.
Alpha Mim, en tant que référence et avant-gardiste du reggae dans le Septentrion, a forcément une influence sur la jeune génération composée notamment de Djah Lil, Calico-J, qui travaillent également à concilier l’héritage originel du reggae aux rythmes locaux, afin d’atteindre plus aisément leur cible.
De la pérennisation du mouvement aux défis d’aujourd’hui
Chaque année, c’est-à-dire chaque 11 mai, l’orchestre de l’Ensemble Artistique et Culturelle de l’Université D’Abomey-Calavi célèbre la légende du Reggae Bob Marley. Baptisé « Les K-Seurs », ces jeunes musiciens, à travers leur initiative, tentent aussi d’insuffler un regard plus musical et plus vertueux autour de cette commémoration. Ils y parviennent par exemple, en proposant des thèmes comme « 11 mai sans tabac » à leurs représentations sur le campus, prisées par des milliers de spectateurs, croissant chaque année.
Il en ressort donc qu’un défi majeur pour le reggae béninois serait d’arriver à déconstruire les clichés selon lesquels le genre ne rime qu’avec substances illicites, drogue, cigarette, alcool, etc.
Ensuite, les artistes reggae-man béninois, devront essayer de s’adapter aux évolutions des nouvelles technologies. Ainsi, travailler à s’octroyer des sites professionnels de mise en avant de leurs travaux, agir dans le sens d’une prise en main des moyens informatiques et Internet (réseaux sociaux), optimiser la communication autour de leurs différents projets et améliorer leur présence médiatique sur l’ensemble du territoire, mener une politique d’évaluation et/ou d’élaboration d’outils marketing (séances photos, logos, vidéos de qualité, etc.) autour d’eux-mêmes, afin de se construire une certaine image de marque.
Enfin, œuvrer à une insertion des femmes dans le reggae béninois, parce qu’elles y sont rares, voire inexistantes, en raison des préjugés. En définitive, l’on pourrait prétendre que le reggae béninois est actuellement dans une phase de restructuration, et la nouvelle génération pourrait en profiter pour poser les bases d’un nouveau regard sur leur musique.
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