Le rap en Guinée
Genre musical porté par la jeunesse et voué à la dénonciation, le rap a émergé en Guinée-Conakry dans les années 1990.
Il s'est fait une place de choix dans l'environnement culturel grâce à l'association des sonorités traditionnelles à la verve cinglante des artistes : il y a 10 ans, on dénombrait plus de 1 500 groupes de rap en Guinée, ce qui lui a valu la 4ème place en terme de nombre de rappeurs dans le classement de la fédération internationale de hip hop, derrière les Etats-Unis, la France et le Sénégal.
La Guinée s'est alors imposée comme l'une des places incontournables du rap d'Afrique de l'Ouest. Les pionniers du genre, aujourd'hui encore salués par la nouvelle génération, ont su se fédérer et porter la voix de la jeunesse.
Dans un contexte politique et social bancal, le public s'est immédiatement manifesté et les artistes ont dépassé les frontières. Pour le meilleur et pour le pire : le souffle de nouveauté expiré, le hip-hop a perdu ses fondateurs et sa ferveur. Malgré les difficultés, l'avenir du rap guinéen est assuré, et son histoire est loin d'être terminée.
Les fondateurs du rap guinéen : Kill Point, Bill de Sam et Leg Def
Dès 1989, les deux amis Aizeck’O et Amadou Barry, alias Prophet Gee, originaires de la banlieue de Conakry, s'accaparent du phénomène musical en vogue internationale : le rap.
Avec Mooz Bee et Kébé, ils fondent le groupe Kill Point. Porte-parole de la jeunesse, ils dénoncent les problèmes auxquels fait face la société guinéenne.
Le public s'y retrouve et adhère à cette nouvelle forme musicale, dont Kill Point est un représentant fédérateur : pour être compris par le plus grand nombre, les rappeurs s'expriment avec les dialectes guinéens, en français et en anglais ; pour séduire leur auditoire, ils mêlent aux beats hip hop les sonorités des instruments traditionnels, comme la kora, le balafon et les percussions.
C'est en 1996 que sort leur premier album, Foré Boma. Dès lors, les rappeurs s'assurent de la pérénité en créant la première structure de rap guinéen, Kill Point Production. Incitateur de la jeunesse, la Communauté Économique Européenne leur commande un morceau en 1999, à l'approche des élections présidentielles, pour sensibiliser au processus démocratique.
L'engouement de la jeunesse pour le rap se cristallise également grâce à Alpha Soumah, plus connu sous son nom de scène Bill de Sam. Dès 1990, le jeune artiste se fait remarquer en participant à des compétitions scolaires à Conakry.
Son premier titre, « Guinée Kolo », sorti en 1991, le consacrera comme figure incontestable du rap guinéen. Bill de Sam passe une maîtrise en linguistique et sort lui aussi son album Sogolon en 1996.
Comme Kill Point, il dénonce avec virulence les difficultés quotidiennes de la jeunesse, en soussou, en malinké et en français, et s'attache à associer les rythmiques hip-hop aux instruments guinéens.
Empreint du rythme yankadi de la Basse Côte guinéenne, Bill de Sam qualifie son rap de « Mandingo Style ». En 1999, il sort l'album au nom évocateur Exil avec les participations d'artistes à renommée internationale comme le pianiste et compositeur français Jean-Philippe Rykiel et le grand guistariste mandingue Manfila Kanté.
En 1995, Lord Kemy fonde avec sa sœur et ses amis d’enfance le groupe Legitim’ Defense, dont le nom sera contracté en Leg Def trois ans plus tard.
L'artiste s'est très trop distingué : dès l'âge de 14 ans, il remporte un concours de rap et les PSI (Public Services International) le sollicite pour enregistrer un single favorisant la sensibilisation des jeunes sur les maladies sexuellement transmissibles et le Sida.
En 1993, il sort le premier clip de rap guinéen « Stop au Sida ». En 1996, Leg Def sort le clip « Bakouti » : largement diffusé sur la chaîne de télévision française MCMAfrica, l'album duquel est issu le titre remporte un large succès et plus de 100 000 exemplaires sont écoulés dès les premiers mois.
Excellent parolier, Lord Kemy acquiert très vite une reconnaissance dans toute l'Afrique de l'Ouest et joue en France, où il résidera plusieurs années, à Londres, à Lausanne ou encore à Genève. Il mène également une carrière solo et ses compositions dépassent les frontières musicales du rap puisqu'il mêle hip hop, dance hall et reggae.
Les jeunes artistes des années 1990 ont ainsi fait émerger un rap proprement guinéen, militant et contestataire. Leur succès fut immédiat et la connivence entre les rappeurs permit l'émergence de nombreux talents, comme Gandal Foly, Pap Soul, Fac Alliance, Feu Ahmed Chanana , Raisonnable Djely, MAS, le collectif Saga Hip Hop, Kharémens, Syn10K, Methodik, Silatigui ou encore Degg-J Force 3.
Les compilations Rap-Koulè (1997), Tribunal Hip-hop (1998), Saga Hip-Hop (Vol.1 en 1999 ; Vol.2 en 2006) ont marqué le règne de cette génération de MC, sur lesquels tous ont fait leurs premiers pas.
Les femmes ne sont pas en reste et le premier groupe féminin à s'être approprié le style, Negros Spirituels, remporte également un large succès.
Popularisé par des artistes talentueux et adoré par le public, le rap s'est imposé comme phénomène de société à part entière : la Guinée s'aprête à devenir hôtesse et ambassadrice du rap africain.
Tournées internationales et festival : le rap guinéen importe et s'exporte
Les pionniers du rap guinéen, forts de leur succès, multiplient les scènes et les collaborations. Si Kill Point ne s'est que rarement produit en Afrique et en Europe, hormis lors de La Fiesta des Suds en octobre 2000 et au Cabaret Rouge à Marseille en 2001, Bill de Sam et Leg Def ont arpenté les scènes internationales
Bill de Sam a consolidé sa renommée en Afrique de l'Ouest, notamment grâce à ses tournées aux côtés du groupe ivoirien R.A.S et des sénégalais Positive Black Soul. Lord Kemy, leader du groupe Leg Def, arpente lui aussi les scènes internationales.
Les rappeurs de première génération mène la danse en Guinée et en 2001, Conakry devient la capitale du rap panafricain. Grâce à l'action de Kill Point et de Malick Kébé et sa structure Contacts Évolutions, le festival « Le Rap aussi... » inaugure se première édition.
L'évènement fédérateur séduit un public venu de toute l'Afrique : les artistes du Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Gabon, Sierra Leone et Sénégal s'y donnent rendez-vous. Plus de vingt groupes se produisent sur les scènes et une cinquantaine d'autres font leurs shows dans les quartiers de Conakry pour le « off ».
Outre le divertissement et la découverte de jeunes artistes, le festival propose des ateliers de formation musicale. Les jeunes peuvent ainsi s'initier à la musique assistée par ordinateur (MAO), au management, à la danse, à l'écriture, au DJaying ou encore au multimédia. L'évènement, aussi novateur que nécessaire, place la Guinée comme site incontournable du rap panafricain.
Les années 2000 voient de nouveaux talents émerger. Lansana Conté dirige le pays depuis 1984, la crise économique s'installe et la contestation gagne du terrain. Dans un contexte politique et social où les difficultés s'amoncellent, les rappeurs fédèrent une jeunesse en mal de repères. Parmi eux, Master G, fervent dénonciateur du pouvoir en place.
Censuré de la Radio Télévision Guinéenne et incarcéré quelques jours pour « incitation à la violence et atteinte à la sûreté de l’Etat », le rappeur a samplé la voix du directeur de campagne de Lansana Conté pour son album Elections Bata ly (Les élections approchent), s'assurant ainsi des ventes records : l'État guinéen s'est pourvu d'un stock de 6000 de ses cassettes pour les détruire immédiatement.
Tous bercés aux beats de Kill Point, Bill de Sam ou encore Leg Def, la nouvelle génération de rappeurs s'inspire de ses aînés, qui se font de plus en plus rares. Entre exils et reconversions, ils ont cédé la place et le rap «underground »s'estompe au profit de sonorités dance hall, R'n'B et reggae.
Le groupe Instinct Killers, créé en 1997 par le jeune chorégraphe Fodor, s'impose comme meilleur groupe de danse Hip-Hop, remportant de nombreux prix entre 2004 et 2007.
Konko Malela et King Salomon s'unissent en 2004 pour fonder le groupe Banlieuz'art. Ils exploitent l'afro-beat en vogue dans les quartiers populaires et s'expriment en malinké, soussou, wolof, poulard, français et anglais.
Leur premier album Konfa Yakoun, sorti en 2010, connait un immense succès commercial et le groupe remporte la même année 4 prix sur 14 à la cérémonie de la Cassette d'or.
Le groupe Degg – J Force 3, ce qui signifie « vérités concrètes combinées aux trois forces incarnant le juste, le bon et le vrai », sort deux albums, Match Alla en 2002 et Reste indépendant en 2009.
Ils mêlent la musique traditionnelle guinéenne et toute la palette des tendances hip-hop, ce qui leur vaut un large succès.
Une relève dans le creux de la vague
L'influence du reggae dance hall jamaïcain et des nouvelles musiques urbaines venues des Etats-Unis et du reste du continent africain portent un coup à l'hégémonie du rap. Les artistes s'ouvrent à de plus larges sonorités dans leurs compositions et intègrent le rap sans qu'il soit au centre de leurs créations.
À partir de 2007, Ras Condel et Takana Zion conquièrent le public guinéen en opérant une fusion de styles musicaux et s'imposent comme les pionniers du rap l'avaient fait dix ans auparavant. Ces rappeurs ont pour la plupart raccroché le micro pour se lancer dans des affaires bien loin du monde musical, tandis que d'autres ont quitté la Guinée. Le festival « Le Rap aussi... » s'est lui-même reconvertit en « Festival de musique d'ici et d'ailleurs ».
Parmi les ténors de la musique urbaine guinéenne actuelle, Amiral 6 Galons, Djani Alfa, Masta Kra du groupe Lazzia, Ams Keuch (Silatigui, Positive Vibes Crew), et DelaRue (G Force) se sont associés aux nouveaux talents Koto Bono, Larry King ou encore Scaarface, pour reprendre le tube de La Fouine et en faire la version guinéenne Conakry Boss.
Dans ce titre qui tente d'imposer les protagonistes comme les maîtres de la place, aucun signe des pionniers du rap ni de leurs premiers succésseurs comme Banlieuz’Art, Sembèdèkè, Diaspora ou encore Kaporal Dogondi.
Si l'évolution du public et de la musique a apporté une nouvelle vague d'artistes, les producteurs sont également pointés du doigts dans l'amenuisement de l'influence du rap. Interrogé par Afroguinée Magazine, le rappeur du groupe Methodik, Bougui Basta, justifie : « Le rap, les gens disent qu’il a tendance à disparaître, je dirai que non ! Ceux qui font du dance hall actuellement, jouent sur le rythme, mais le contenu ne ressemble pas au dancehall. (...) Chez nous en Guinée, il y a toujours des gars qui représentent le rap, mais le manque de soutien et la mauvaise volonté des producteurs avares jouent sur la mentalité de nos cadets en créant des crew. (...) Le rap vit et il vivra forever. Il y encore de bons groupes comme Sembêdêkê, Duuda Inchallah et tant d’autres ! C’est la mauvaise volonté des producteurs qui jouent sur ces artistes ».
Louncény Keïta, alias Louny, a eu la chance d'éviter ce récif. Signé par le label HDS Production, la maison dirigée par un PDG canadien a mis les moyens pour promouvoir son jeune protégé et assurer au rappeur le succès de son album.
Fréquemment hissé en tête des charts, Louny pose à son tour une pierre à l'édifice du rap guinéen : « Je dirai que j’ai cette touche africaine mélangée au style américain. C’est un mélange afro-américain. Quand tu écoutes mes textes, c’est le style rap avec une petite touche de mon identité guinéenne. C’est très technique, punch line, rime, métaphore", explique-t-il lors d'une interview à Guinée News ».
Décrié et contestataire, le rap s'est finalement imposé comme un genre musical à part entière. La nouveauté eclipsée, les artistes guinéens gardent le flambeau de la dénonciation dans un large spectre d'influences de musique urbaine. Entre reprises et renouveau, évolution et mondialisation, le rap se trouve toujours une place de choix dans le paysage musical guinéen.
Sources :
http://www.afroguinee.com/rap-game-a-conakry-qui-sont-les-vrais-boss/
http://musique.rfi.fr/musique/20060419-le-rap-guinee
http://www.sabarifm.com/4/386/a/fr/nterview-barry-boubacar-dit-jbx-jeune-rappeur-guineen-evoluant-en-europe-en-sejour-a-conakry.html
http://www.afroguinee.com/tag/rap-guineen/
http://laurent.antibi.perso.sfr.fr/WEBSITE/SiteV2/contents3_8.html
http://veracitecache.blogspot.sn/p/news-hip-hop-guinee.html#
http://www.africultures.com/php/index.php?nav=evenement&no=902
http://www.actu-elles.info/?p=2403
http://generationelili.com/_archive/?p=994
http://www.afroguinee.com/rap-guineen-masta-g-et-yoriken-rendent-hommage-a-prophet-g/
http://www.gnakrylive.com/actualite/actu/1535--le-rappeur-bill-de-sam-confirme-son-talent-sur-le-podium
http://www.visionjeunes.com/2015/02/09/musique-il-etait-une-fois-le-rap-en-guinee
http://guineenews.org/lounceny-keita-rappeur-guineen-le-style-de-rap-que-je-fais-sort-du-commun
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