L'activisme musical au Tchad
Cet article nous livre un aperçu de l'activisme musical au Tchad.
Introduction
À la jonction de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne, la république du Tchad constitue un immense pays enclavé et frontalier avec six autres pays. De faible densité démographique, avec un tiers de sa superficie traversée par le désert du Sahara, ce pays que l’on surnomme parfois « le coeur mort de l’Afrique » est encadré par la Libye, le Soudan, la République centrafricaine, le Cameroun, le Nigeria et le Niger.
Malgré sa richesse en ressources agricoles et pétrolières, le Tchad demeure un pays économiquement pauvre, touché actuellement par l’effondrement des cours du pétrole. Il va sans dire que, dans ce pays qui peine depuis plusieurs années à organiser ses élections législatives, les budgets étatiques affectés au développement culturel sont très insuffisants et que par conséquent, la création et la promotion musicale se construisent dans des circuits alternatifs ou informels, parfois avec l’aide d’ONG ou de programmes d’aide internationaux.
Cet article vise à recenser l’ensemble des initiatives contribuant de manière significative à cet activisme musical, comme forme de résistance à l’inconséquence des pouvoirs publics en matière de promotion de la culture en général et de la musique en particulier.
Les festivals
De façon exhaustive, on en recense une bonne dizaine. Mais peu respectent la périodicité faute de financements, ce pourquoi nous avons choisi de ne donner que les plus pérennes et les plus reconnus.
Depuis 11 ans, ce rendez-vous incontournable des cultures urbaines à N’Djamena permet de révéler des talents avec une grande compétition entre représentants de la scène musicale hip hop tchadienne, qui se déroule en trois lieux différents : la Maison de la Culture Baba Moustapha, l’Institut Français du Tchad (IFT) et l’espace Talino Manu. Le tout organisé par le Réseau Culturel et Artistique pour la Formation et la Francophonie (RECAF).
Depuis 2007, ce festival dédié à la découverte et à la formation de jeunes talents du Tchad et des pays alentours, est organisé par le Réseau culturel et artistique pour la formation et la Francophonie (RECAF). La 12e édition se déroulera du 28 au 30 novembre 2018 à N’djaména, la capitale. L’année précédente, la 11e édition s’était déplacée à Koumra, à 552 km de la capitale.
- La Fête de la Musique
À l’origine organisée à l’initiative du Centre Culturel Français (aujourd’hui Institut français du Tchad), dans l’esprit de l’événement annuel créé en France en 1982, la Fête de la musique est un événement très attendu aujourd'hui par la jeunesse tchadienne, et qui a largement dépassé les frontières du quartier de l’IFT, en s’organisant sur une multiplicité de sites, du Centre Culturel Al Mouna à la Maison de la Culture Baba Moustapha, en passant par le Centre Don Bosco et la maison de quartier de Chagoua ; au moins cinq arrondissements sur les dix de la capitale abritent chaque année l’événement.
- Le FICSA
Organisé par La Saharienne, le Festival International des Cultures Sahariennes est devenu, fort de ses quatre éditions, un rendez-vous culturel, sportif et touristique majeur dans le nord du Tchad. Il permet chaque année de rassembler plus de 6 000 nomades et des touristes dans un esprit d’ouverture, de respect, de découverte et d’enrichissement réciproque, au coeur du massif de l’Ennedi, berceau de l’humanité.
Ce festival musical a été mis en place par le chanteur Célestin Manwdoé en 2012. Il s’est récemment associé à l’événement culturel Ndjam’livres et sa prochaine édition se déroulera les 28 et 29 novembre prochains à l’Institut Français du Tchad.
Ce festival, en plus de la qualité de sa programmation (Ray’s Kim, Isaac Bonnaz, Izra’L du groupe H’Sao, Manwdoé, Prince Dee…), est destiné à récolter des fonds pour des actions en province tel que des forages d’eau potable.
Les acteurs étatiques
Les deux plus grandes représentations étatiques en matière de promotion musicale au Tchad sont la Maison de la Culture Baba Moustapha (MBCM) et l’Orchestre National.
Affichant clairement au départ leur vocation socio-culturelle, ces institutions n’ont pas pu tenir leurs promesses faute de subventions.
- La MCBM
Certes la MCBM a été réhabilitée en 2006 comme lieu de formation et de promotion des artistes, elle bénéficie d’une immense salle de 450 places et d’un studio d’enregistrement, mais elle connaît la désaffection du public compte tenu de son fonctionnement, extrêmement ralenti par l’absence des subventions du ministère de la culture.
- L’espace culturel Talino Manu
À l’origine, il s’agissait du siège du Ballet National. Créé en 2011 par le ministère de la culture, cet espace, du nom d’un grand artiste et musicien tchadien et artisan de la paix décédé en 2009, est dédié à la promotion artistique et à la cohésion nationale. Il regroupe à la fois des bureaux administratifs dont ceux du Bureau Tchadien du Droit d'Auteur (BUTDRA), une grande scène en plein air ainsi que l’Orchestre National et le Ballet National.
Les activités de répétition et de formation artistiques se déroulent plutôt à partir de la fin de l’après-midi. La particularité de ce lieu est de proposer une programmation qui prône l’ouverture et le dialogue entre les différentes communautés du Tchad, là où d’autres lieux non institutionnels sont davantage marqués d’un point de vue identitaire.
- L’Orchestre national
L’Orchestre national fait certes appel aux meilleurs musiciens du pays, mais il ne leur reconnaît pas de statut spécifique, ces derniers n’étant pas assimilés à des fonctionnaires et devant fournir leurs propres instruments de musique.
À noter que l’instrumentalisation de musiciens au service du gouvernement en place est une longue tradition au Tchad depuis l’indépendance, ce qui paraît peu en phase avec la liberté d’expression artistique.
- Le BUTDRA
Créé en 2005 et sous tutelle du ministère de la culture, le Bureau Tchadien du Droit d’Auteur (BUTDRA) a pour vocation de protéger les artistes et à percevoir les redevances pour leurs oeuvres, facilitant ainsi la professionnalisation des musiciens.
Malheureusement, faute de personnel compétent et de fonds de roulement suffisant, cette initiative est à ce jour très controversée et suscite la méfiance des professionnels qui soupçonnent les agents de recouvrement de s’enrichir à leurs dépens.
- La FONAT et les Maisons de Quartier
Plus récemment et pour pallier ce vide étatique, a été créé en 2011 le Fonds National d’Appui aux Artistes (FONAT) dédié au financement de festivals de musique dans la capitale mais également dans d’autres régions du pays. Les Maisons de Quartier quant à elles jouent un rôle non négligeable de formation auprès des chanteurs et musiciens.
En résumé, un contexte politique et autant de pratiques qui n’encouragent pas les artistes à se tourner vers l’état et à se rassembler et se fédérer du côté des maisons de quartier, des opérateurs, ONG et associations internationales que nous allons évoquer ci-dessous.
Les acteurs non étatiques
- L’Institut Français du Tchad (IFT)
Depuis plus de quarante ans et à l’initiative du service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France au Tchad, l’Institut Français (ex Centre Culturel Français) du Tchad propose chaque année une large programmation musicale très orientée vers la promotion des artistes locaux. Il propose par ailleurs aux artistes appelés à se produire une infrastructure de qualité et des cachets, ce qui est rarement le cas dans ce domaine. Acteur à part entière de la promotion et de ma formation des musiciens au Tchad, l’IFT propose également et régulièrement des sessions de formation comme la composition musicale.
- Le Centre des jeunes Don bosco
Cette congrégation catholique internationale est implantée dans plus de 120 nations et travaille à des oeuvres en matière d’éducation, de santé, d’enseignement et de culture. A N’Djamena, la maison de quartier de Chagoua (7e arrondissement) a été créée en 1999 et organise chaque année des événements musicaux tels que la Fête de la musique et l’anniversaire de Bob Marley.
- Le Centre Al Mouna
Créée en 1986, cette association à but non lucratif a pour objectif principal de promouvoir la culture tchadienne dans toute sa diversité, dans une perspective de paix. Elle contribue à la professionnalisation et à la promotion des artistes tchadiens.
- La Ronde des Artistes
Cette organisation dédiée à l’autoformation a été mise en place par des artistes ayant pour intérêt commun la musique, dans une volonté de transmission mutuelle et de partage d’expérience.
- Malaria No More
Cette ONG implantée au Tchad a vocation à éradiquer le paludisme et a mis à contribution des artistes locaux pour créer l’hymne contre le paludisme avec des artistes ambassadeurs comme Mariam, Diego Mustapha Ngarade, Sultan, Daisson et Prince Dee.
- L’espace Fest’africa
Lieu de référence pour l’organisation de festivals et de concerts, l’espace Fest’africa est une émanation d’un festival littéraire créé à l’origine en 1993 par deux journalistes africains : Nocky Djedanoum et Maïmouna Coulibaly.
- Le Temple chari jazz
Cette petite scène située dans le 6e arrondissement de la capitale porte le nom d’un groupe mythique, Chari Jazz, qui reste aujourd’hui l’un des rares orchestres tchadiens survivants. En lieu et place de « temple », il s’agit plutôt d’un bar et d’une petite scène délabrée qui affiche sa programmation à la semaine, et n’est ouvert que du vendredi au dimanche.
- Le Royaume culturel de Soubyanna
Ce lieu situé au quartier Moursal est à l’origine un bar, mais il a la particularité d’avoir été créé par un groupe, Soubyanna Music, affichant clairement sa vocation à devenir un lieu culturel destiné à la jeunesse tchadienne. C’est un peu le pendant du Temple Chari Jazz, qui attire plutôt les anciens. Chaque week-end, le groupe s’y produit. Le reste du temps, l’endroit est mis à disposition d’autres activités artistiques et festives telles que des défilés de mode, des conférences de presse, des fêtes de mariages.
Les Médias
Plusieurs journaux culturels ont vocation à promouvoir les artistes locaux, tels que « Tchad et Culture », édité par le CEFOD (Centre d’études et de formation pour le développement), "Le Carrefour », journal de culture et société publié par le Centre Al Mouna et Toumaï Culture, journal culturel publié par le RJCT (Réseau des Journalistes Cultures Tchadiens).
Pour l’audiovisuel, on retiendra « Hip-Hop Showtime », émission dédiée à l’actualité du Hip-Hop sur Radio FM Liberté ainsi que la légendaire émission « Discothèque et Nouveauté » diffusée sur ONRTV. Pour la révélation des jeunes talents, « Guest star » sur Radio Harmonie et « Espace jeunes » sur ONRTV.
Forces, faiblesses… et espoirs
Force est de constater que de nombreuses initiatives ont été prises depuis l’indépendance du pays, tant du côté des pouvoirs publics que du côté des acteurs associatifs provenant pour la majeure partie de congrégations religieuses, des ONG internationales et des opérateurs culturels tels que l’Institut français du Tchad, dont le rôle reste prépondérant dans la promotion et la professionnalisation des artistes locaux.
Le déficit économique du Tchad et ses difficultés à structurer les industries culturelles ont conduit les artistes à s’organiser entre eux, par le biais de corporations telles que la CONAT (coordination nationale des artistes tchadiens) ou l’ASSOMUT (Association des Musiciens du Tchad) ou de façon plus informelle par l’intermédiaire des maisons de quartier.
L’activisme musical au Tchad est une réponse énergique à l’inefficacité du système étatique, et s’est fondé essentiellement sur les bases de structures privées et ou étrangères, ce qui demeure fortement regrettable pour un pays qui s’efforce chaque jour de se structurer davantage dans son organisation politique et sa diversification économique, en témoignent les projets et espoirs du Ministre du Développement Touristique, de la Culture et de l’Artisanat, le brillant cinéaste et écrivain Mahamat Saleh Haroun.
Par ailleurs, il reste très difficile, même si la question de la décentralisation culturelle est au centre des volontés et réflexions politiques depuis de nombreuses années, de faire sortir la promotion musicale de N’Djamena et ses environs, dans un pays aussi étendu que le Tchad. Gageons que la crise pétrolière soit le point de départ d’une réinvention du modèle économique Tchadien qui est le tenant d’une extrême richesse : celui de son foisonnement artistique et de sa diversité culturelle.
Références :
[1]http://fr.africanews.com/2018/08/12/tchad-elections-legislatives-cherche...
[1] Cette recension s’appuie notamment sur la remarquable thèse de doctorat de Jean-Pierre Kila Roskem intitulée : « L’émergence d’une scène musicale à N’Djamena. Identification des acteurs et des territoires » (2014, Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse).
[1]http://www.institut-francais-tchad.org/festival-ndjam-hip-hop-2/
[1]http://www.festival-ndjamvi.com
[1]http://www.institut-francais-tchad.org/evenement-fete-de-la-musique/
[1] http://lasaharienne.org/fisca-2019-sejour-decouverte/
[1]http://mawndoe.net
[1]http://www.institut-francais-tchad.org/festival-neige-au-sahel/
[1]https://www.musicinafrica.net/fr/directory/espace-culturel-talino-manu
[1] Voir à ce sujet l’article de Jean-Pierre Kila Roskem sur les « opportunités musicales au Tchad » : https://www.musicinafrica.net/fr/magazine/opportunités-musicales-au-tchad
[1]http://www.institut-francais-tchad.org/category/accueil/programmation/sp...
[1]http://www.donboscotchad.com/don-bosco-ndjamena/
[1]Sur les « places à vivre » et les « maisons de quartier », on pourra lire avec intérêt l’article suivant paru dans de quotidien français « Libération » : http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2017/05/24/places-vivre-de-ndjamena/
[1]http://centrealmouna.org
[1]https://youtu.be/V56dlwy7xhg
[1]https://www.musicinafrica.net/fr/directory/temple-chari-jazz
[1]http://www.institut-francais-tchad.org/le-royaume-culturel-de-soubyanna-...
[1]http://www.rfi.fr/emission/20171031-industrie-culturelle-diversifier-eco...
Avertissement/Clause de non-responsabilité
Les aperçus de Music In Africa fournissent des informations générales sur les scènes de musique dans les pays africains. Music In Africa comprend que l'information contenue dans certains de ces textes pourrait devenir dépassée avec le temps. Si vous souhaitez fournir des informations plus récentes ou des corrections à l'un de nos textes, veuillez nous contacter sur info@musicinafrica.net.
Édité par Lamine BA
Commentaires
s'identifier or register to post comments