La musique populaire au Ghana
Par Eric Sunu Doe
La musique populaire ghanéenne sous sa forme actuelle est apparue au début du XXe siècle[i]. Ce texte présente un aperçu global des divers genres de musique populaire au Ghana ainsi que les acteurs qui ont joué un rôle clé dans son développement.
La musique populaire pré-indépendance
On peut retracer la musique populaire moderne du Ghana dès le début du XXe siècle, lorsque les autorités coloniales s’imposèrent sur les populations locales (même si l’on peut défendre que la musique populaire existait bien avant cela). Les fanfares de régiments ont visiblement joué leur part dans la fusion des pratiques musicales européennes et indigènes. Les musiciens militaires ghanéens commencèrent à jouer leur musique indigène avec les instruments de l’armée à leur disposition ; Ceci a éventuellement donné naissance à ce qui est connu sous le nom d’Adaha[ii]. Le Konkoma est une version de l’Adaha qui consistait à utiliser la voix pour imiter le son de certains instruments utilisés dans les régiments tels que les cuivres.
Beaucoup ont adopté ce style de musique car les instruments requis dans ce genre musical étaient couteux. Ce style processionnel était souvent accompagné de petits tambours[iii] et cloches. Une forme proche du Konkoma appelée Jama[iv] est apparu dans les communautés Ga du Ghana. Malheureusement, Il n’y a aujourd’hui quasiment aucuns enregistrements sonores de ces anciens styles musicaux.
Un autre style qui a évolué lors de la phase pré-indépendance était la musique Palmwine (Palmwine guitar ou guitare de vin de palme). Ce genre se retrouve le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest sous plusieurs formes. La version ghanéenne de la musique Palmwine est tirée de la façon unique dont les marins de la cote de Kru jouaient la guitare Celle-ci est caractérisée par différentes rythmiques et une dextérité particulière. Ce style se joue généralement accompagné de deux guitares, une boîte en bois, des tambours indigènes et des claves. Les paroles sont habituellement poétiques et parlent des vicissitudes de la vie. Le tout premier enregistrement sonore de ce genre musical est celui de Kwame Asare[v] et son groupe Kumasi Trio en 1928. Cette tradition musicale continue d’être préservée de nos jours grâce à des artistes tels que Koo Nimo et son groupe Adadam Agofomba.
Ensuite arriva la folie des groupes de Highlife dominé par E.T Mensah et son groupe The Tempos, dans les années 30. Ce groupe animait les salles de bals du Ghana avec leur style discipliné mais si divertissant. Les Tempos ont popularisé la musique de bal, un genre musical normalement réservé aux élites. Mis en scène à la manière d’un large orchestre symphonique, les groupes fusionnaient les musiques locales avec des instruments et des sons de musique étrangère. Ces larges orchestres évolueront plus tard en plus petits groupes de swing calqués sur les groupes américains. Les groupes comme The Tempos, Ramblers International et Black Beats offraient au public des arrangements instrumentaux complexes ponctués de courtes sessions d’improvisations et de chants. De nos jours, peu de groupes continuent de pratiquer ce style de musique désormais appelé d ‘Evergreen Highlife’ comme les Ramblers International et Evergreen Band.
Après le phénomène de ces grands orchestres, des groupes de guitaristes ont fait leur apparition. Ces groupes sont inspirés des orchestres de Palmwine mais ils ont introduit la guitare électrique tout en conservant les principales caractéristiques de la musique Palmwine traditionnelle. On peut citer notamment des groupes tels qu’African Brothers, City Boys, Apollo Hi-Kings et Kumapim Royals entre autre autres.
La musique Afro des années 70
De nouveaux genres musicaux ont émergé au lendemain de l’indépendance du Ghana. Ces genres dénommés ‘afro’ sont nés de l’exposition des musiciens locaux aux genres occidentaux comme le funk et la musique soul (Ces chansons allaient de pair avec les thèmes de la libération et de la fierté noire populaire à l’époque), ainsi que le jazz et le rock. Le batteur Kofi Ghanaba (connu sous le nom d’artiste de Guy Warren) est considéré comme ayant popularisé le jazz en utilisant des instruments africains dans les années 40 et 50. Son album Africa speaks, America answers en 1956 a donné naissance au style afro-jazz. De manière similaire, le développement de l’afro-rock a été mené par différents groupes organisés comme des groupes de rock classiques mais en utilisant des mélodies et des tambours ghanéens. Ce style a été lancé par Osibisa à Londres.
L’afrobeat, un mélange de rythmes africains, de funk et de highlife, a été développé plus tard par le nigérian Fela Kuti. Il gagna aussi en popularité au Ghana. Ebo Taylor, l’un des chefs de file de ce mouvement effectue toujours d’ailleurs des tournées mondiales. Plus récemment, une nouvelle tendance d’Afro-beats a évolué de façon distincte à la création originelle de Fela. Dans ce nouveau style, les actes contemporains mêlent la musique soul avec des éléments musicaux indigènes. Ce genre habituellement chanté en anglais est souvent axé sur le thème de l’amour. Il est intéressant de noter que ce sont de jeunes artistes féminines qui excellent dans ce genre avec des artistes tels qu’Efya, Becca, Eazzy et Raquel parmi d’autres.
Le Reggae
Ce style de musique caribéen est apparu au Ghana via le Ska (autre genre musical caribéen) mais a gagné en popularité avec la sortie de l’album de Bob Marley Exodus paru en 1977. Des groupes ghanéens adoptèrent ce style et commencèrent à incorporer du reggae dans leurs chansons. L’utilisation des instruments reggae ainsi que le chant le plus souvent dans les langues locales, caractérisent largement le reggae ghanéen. Cependant, un large nombre d’artistes reggae locaux préfèrent chanter en patois jamaïcain. Des artistes tels que KK Kabobo, General Marcus, Shasha Marley, Ekow Micah, Roots Anabo, Rocky Dawuni et Black Rasta sont quelques-uns des principaux artistes reggae ghanéens.
On constate aujourd’hui un net virage vers la version plus récente du reggae, le dancehall, et de nombreux artistes se disputent le titre de ‘Roi de la dancehall’ au Ghana. À nouveau, le dancehall local est similaire à celle des Caraïbes car incorporant les mêmes rythmes et arrangements distinctifs mais celui-ci est chanté dans les langues et dialectes locaux. Des artistes comme Shatta Wale, Samini, Yoggy Doggy, Madfish, OD4, Sonny Badu, AK Songstress, Kaakie, MzVee dominent ce style et de plus en plus d’artistes féminines émergent dans ce milieu.
Le son Burger highlife
Ce genre trouve ses racines dans l’Allemagne des années 80 où des musiciens immigrés mélangent la musique highlife avec divers styles musicaux allemands populaires tels que la techo-pop. On retrouve dans ce genre musical une fusion de nombreux rythmes tels que le son palmwine, le disco, le funk et le reggae. Le tout est chanté dans des dialectes ghanéens. Les thèmes tournent souvent autour de l’amour, bien que à ces débuts, ils parlaient plus des problèmes liés à l’immigration. Des artistes comme George Darko, Lee Duodu, Charles Amoah, Rex Gyamfi, McGod et les frères Lumba en étaient les grandes vedettes.
Ce style de highlife est de nos jours appelés ‘highlife contemporain’ avec des artistes comme Daddy KD, KK Fosu, Daddy Lumba (DL) et Kwabena Kwabena à la tête du mouvement.
Le Gospel highlife
Le gospel Highlife a émergé dans les années 80 au sein des églises. A cause de l’atmosphère instable de l’époque, l’église devint un espace d’expression important et un lieu où les musiciens pouvaient développer leur art. Comme dans le reste de l’Afrique, le Gospel Highlife, mêle des éléments de Reggae, RnB et de styles musicaux locaux dont la highlife. Les paroles sont typiquement des messages bibliques censés inspirer. De nombreux musiciens et groupes font ce style de musique et beaucoup d’artistes féminines excellent dans le genre. C’est vraisemblablement l’un des genres les plus populaires dans le pays grâce à des artistes comme Tagoe Sisters, Daugthers of the Glorious Jesus, Ohemaa Mercy, Soul Winners, Qwesi Oteng et Stella Dugan.
Le Hiplife et l’Azonto
Le hiplife a gagné en popularité principalement au sein de la jeunesse depuis les années 90 en partie avec la grande influence de la musique américaine et son omniprésence sur les chaines de radio et de télévision locales. Au début les artistes de hiplife imitaient le rap américain mais ces derniers ont rapidement fusionné cela avec le highlife pour produire leur propre son. Ce style musical est caractérisé par des paroles poétiques chantées dans un rythme saccadé et rapide dans une variété de langues locales avec des instrumentaux highlife. Les paroles évoquent souvent les galères quotidiennes de la jeunesse dans le pays. Les stars de ce mouvement sont Reggie Rockstone, Vision in Progress (VIP), Akyeame, Obrafour, Obour, Okomfo Kwaadei et Abrewanana.
Aujourd’hui la musique urbaine ghanéenne connaît de nouvelles évolutions en amenant au-devant de la scène des artistes très populaires comme Sarkodie, Castro, Guru et D-Black qui ont donné naissance à un genre de dance music appelé Azonto.
Les styles évoqués ci-dessus représentent les principaux développements dans la musique populaire au Ghana au cours des XXe et XXIe siècles. Même si largement ancrée dans la musique Highlife, la musique populaire ghanéenne continue d’évoluer au point où les ghanéens sont considérés parmi les musiciens les plus appréciés et innovants du continent.
Plus d’informations:
- Barber, K., Collins, J., & Ricard, A. (1997). West African Popular Theatre. Indiana: Indiana University Press.
- Brempong O. (1984). Akan Highlife in Ghana: Songs Or Cultural Transition. PhD Thesis, Indiana Univ, USA
- Collins, J. (1985). Music Makers of West Africa. Colorado, USA: Three Continents Press/Passeggiata Press.
- Collins, J. (1992). West African Pop Roots. USA: Temple University Press.
- Collins, J. (1996). E.T. Mensah the King of Highlife. Accra: Anansesem Press.
- Collins, J. (1996). Highlife Time. Accra: Anansesem Press.
- Collins, J. (2002). “The Generational Factor in Ghana Music: Concert Parties, Highlife, Simpa, Kpanlogo and Gospel”. In M.P. Kirkegaard (ed.), Playing with Identities in the Contemporary Music of Africa. Finland: Nordic African Institute/Sibelius Museum Apo. pp. 60-74.
- Collins, J. (2004). “Ghanaian Christianity and Popular Entertainment: Full Circle”. In D. Henige (ed.). History in Africa, 31, 389-391
- Collins, J. (2005). “A Social History of Ghanaian Popular Entertainment since Independence”. Transactions: Journal of the Ghana Historical Society, 9, 17-40.
- Collins, J. (2006). “African Guitarism: 100 years of West African Highlife”. Journal of the Humanities, XVII, 173-196.
- Collins, J. (2007). “The Pan-African Goombay Drum-Dance: Its Ramifications and Development in Ghana”. Legon Journal of the Humanities, XVIII, 179-200.
- Charry, E. (2012). Hip Hop in Africa. Bloomington: Indiana University Press.
- Graeme, E. (1991) Africa Oh Ye: A Celebration of African Music. UK: Guinness Books.
- Nketia, J. (n.d.). The Gramophone and Contemporary African Music in the Gold Coast. Institute of Social and Economic Research, University of Ibadan
- Osumare, H. (2012). The Hiplife in Ghana: West African Indigenization of Hip-hop. Palgrave Macmillan.
- Ronnie, G. (1998). Stern's/De Capo's Guide to Contemporary African Music (Vol.1&2) London: Zwan & Off The Record Press London, Pluto Presson.
- Schoonmaker, T. (ed.) (2003). Fela: From West Africa to West Broadway. Palgrave/MacMillan.
- Sutherland, E. (1970). The Original Bob: The Story of Bob Johnson Ghana's Ace Comedian. Accra: Anowuo Educational Publications.
- Wolfgang, B. (1985). Sweet Mother. Trickster Verlag.
[i] Voir Collins (1989; 1994;1996;1997;2002;2004) pour une discussion étendue sur le développement socio-historique de la musique populaire ghanéenne.
[ii] Ce style de musique d’orchestre est une copie de la musique d’orchestre de régiments des colons européens même si pratiqué dans un contexte différent.
[iii] Ces tambours étaient connus sous l’appellation konkoma et leur forme est rectangulaire.
[iv] Performance de jama par Allan family : https://www.youtube.com/watch?v=TrxeYKJ1xqo
[v] Le premier enregistrement commercial de Yaa Amponsah enregistrant de la musique de guitare de vin de palme par le Kumasi trio : https://www.youtube.com/watch?v=abEImhTW_Zw
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