Le twarab aux Comores, un patrimoine oublié
Par Ali Ahmed Mahamoud
La culture des Comores partage historiquement une relation forte avec la culture swahilie de la cote est-africaine. Plus de 1000 ans d’histoires orales, écrites, d’archives archéologiques documentent cette période et ses liens.
La genèse du twarab
Une chose est sûre et les heures passées à échanger avec Moussa Said (professeur d’Histoire et Civilisation des Comores à l’Université des Comores) sur la musique comorienne le confirment, le twarab fait son apparition au 19e siècle au Comores. Toutefois, et ce pendant très longtemps, ce genre musical importé de Zanzibar et d’Egypte sera une musique de salon qui se jouera dans l’intimité.
Selon Werner Graebner (professeur allemand), les premières notes de twarab font leur apparition en 1945 dans le village de Ntsaoueni où un groupe d’un village voisin sont venus se produire. Le groupe était composé d’un violoniste et d’un joueur de Ngoma (tambour local), un jeune de 13 ans de la localité fut tellement impressionné qu’il s’est lancé dans la fabrication d’un instrument similaire avec des cordes faites en fibre de coco. Les années qui suivirent furent marquées par des prestations dans des mariages après un premier concert en 1948.
Mohamed Hassan, considéré comme l’un des plus grands auteurs-interprète, multi-instrumentiste de Twarab aux Comores, se produisait tous les samedis et lors de mariage pour s’exercer. Il jouait des morceaux swahilis du groupe de Siti Bint Saad et de Bakar Abedi de Zanzibar dans un premier temps puis par la suite des chansons des grands-maîtres de la musique Arabe Mohamed Abdul Wahab, Farid El Atrache et Umm Kouthoum.
« On est en 1950, tous les concerts se font en swahili ou en arabe, mais en 1962 quand je chante pour la première fois en shingazidja, les gens venaient des quatre coins de l’île pour attester que je chantais vraiment en shingazidja. C’était une surprise pour eux d’entendre du twarab chanté en comorien », explique Mohamed Hassan.
Ces propos de Mohamed Hassan recueillis en 1998 par Werner Graebner témoignent des premiers soubresauts du twarab aux Comores. Lorsqu’il découvre le twarab, Mohamed hassan n’avait que 13 ans, cette rencontre marquera à jamais la carrière et le destin d’un des meilleurs auteurs interprètes des Comores. Ses compositions rythmeront notre enfance et marqueront les premières incursions du twarab dans l’imaginaire collectif pour en faire une musique populaire.
Introduite dans les premières décennies du 20e siècle notamment par Abddallah Cheikh Mohamed qui décide de rentrer à Moroni, la capitale comorienne en 1912, ce nouveau style, qui s’installe progressivement jusqu’en 1920, est communément appelé Fidrilia en Shingazidja issu de son équivalent swahili fidla qui veut dire violon. Abdallah Cheikh Mohamed crée le premier groupe de twarab Marin band avec Salim Ben Hilal, entre 1918 et 1919 un autre Kilabu (club) est créé nommé Arnuti et un troisième Sipori en 1927, bien d’autres suivront entre 1920 et 1930 selon les recherches menées par Werner Graebner.
Mais il faut remonter en 1928 et se tourner vers Said Seleman « Mdjipviza » de Ntsoudini qui prône le retour de Mohamed Ali Mgongo de Zanzibar ce dernier muni de son violon va créer le premier groupe de twarab de Ntsoudjni et formera les premiers musiciens de Moroni et Ntsaoueni parmi lesquels on note Maabadi Mze, Said Seleman Mdjipviza, Mohamed Hassan, Darwesh Kassim, ou encore Mze Abdhallah Hadj, soit les plus grands noms de la première génération de twarab des Comores.
À l’époque, le Twarab se joue dans le salon de la maison nuptiale généralement le vendredi comme le rapporte également Moussa Said. Il réunit les parents et amis proches, soit une trentaine de personnes tout au plus.
Bien que très actif, l’ensemble de ces groupes n’enregistrent que très peu et n’ont même pas de démarche commerciale. La plupart se produisent lors des mariages et ne le font que par plaisir. Ils se sont appropriés la panoplie des instruments d’époque, « Ud, msondo ya mapvadjani (percussions), clay dumback local, tari (petit tambour) ou le duf (tambourin).
Succès et disparition du twarab
Il faudra attendre le début des années 60 qui correspondent à l’autonomie interne des Comores vis-à-vis de la France et sous l’impulsion de Said Mohamed Cheikh, président de l’autonomie Interne, qui poussera les musiciens à chanter en Shingazidja pour entendre du twarab en comorien.
Ce qu’ils feront au-delà de ses espérances puisque les mêmes musiciens vont écrire des chansons pour l’indépendance et iront même jusqu’à écorner l’image du président Cheikh, qu’ils estiment autoritaire et,par la même occasion sortir des sentiers battus de l’amour, principale source d’inspiration du twarab.
C’est de là que viendront les différents courants du twarab, notamment à Moroni avec l’unique orchestre de l’époque « Jeunesse de Moroni » en 1968. Il donne naissance à ASMUMO (Association Musicale de Moroni) et Aouladil Comores. Ces deux orchestres symbolisent l’importance des chants politiques comme il est de tradition aux Comores, mais la subtilité vient du fait que ces chants politiques sont transposés dans le twarab.
Ainsi ASMUMO est affilié au parti vert et AOULADIL COMORES au parti blanc, mais au-delà de ces affiliations politiques, c’est l’idéologie qui a primé.
Pendant qu’AOULADIL COMORES se contente de traduire les standards zanzibarite ou egyptiens à l’instar de Nassor Saleh avec les titres mythiques qui ont marqué notre jeunesse Vedeti, Nioshi (abeille) et Nuni (oiseau) qui ne sont que des transpositions de succès du twarab tanzanien.
L’Orchestre rival ASMUMO enchaîneles titres nationalistes qui revendiquent l’indépendance au grand dam du président Cheikh partisan de l’autonomie interne. On découvre ainsi les titres emblématiques comme « Ougoina » de Moindjie Tabibou Mbaroukou ou « Moidzani outembeyayo » de Mohamed Himidi.
Mais cela ne se limite pas à des joutes musicales politiques. Cette période accouchera de titres qui ont marqué les esprits comme “Mwana wa Baraka” ou “Ya Hali” de Youssouf Abdoulhalik tous issus d’ASMUMO et qui témoignent d’une richesse musicale qui s’est étiolée au fil des ans et des mutations sociales qui interviendront dès les années 70 avec le mouvement des « Ma Boto » (chemises ceintrées, pattes d’éléphants, chaussures compensées, coiffure Afro) et l’arrivée du Mshago. Certains décrivent ce genre musical comme un dérivé du twarab ou le définissent comme twarab moderne au grand dam de Moussa Said Ahmed et de nombreux puristes.
Depuis cette période jusqu’à l’avènement de Studio 1 dans les années 90, le twarab tend à disparaître même dans les mariages sur la place publique. Toutefois, avec l’arrivée du premier Studio d’enregistrement des Comores en 1988 et label qu’est Studio 1, on observe une nouvelle vague de twarab moderne incarné par Moussa Youssouf, Ardy, Ali Mohamed Toibibou ou encore Farid Youssouf et bien d’autres sous le regard réprobateur des puristes qui voit d’un mauvais œil ces interprétations électriques loin des standards du genre.
Ainsi les albums de Salim Ali Amir de plus en plus orienté vers le twarab sont comme un retour aux sources au même titre que l’orchestre Comores Star Twarab emmené par le défunt Nassor Saleh qui signera de nombreux tubes encore bien ancrés dans l’imaginaire collectif.
Les nostalgiques du genre apprécieront le retour aux sources avec l’usage du violon et du gambussi lors des prestations de l’orchestre durant ce retour en grâce marqué aussi par les reprises de la jeune génération à l’instar de Dadispolim qui reprendra des standars du twarab comorien tel que « Mwandzani » de Mohamed Bakhressa célébre auteur-compositeur comorien originaire de Dar Es Salam, en en faisant une balade R&B aux forts relents twarab que ne renierait pas le chanteur américain John Legend.
Ressources :
[1] Fitina de Mohamed Hassan : https://www.youtube.com/watch?v=jGMIK7ykG5s
[2] Radjadji Boto de Moussa Said Ahmed, Éditions bilingue, https://halldulivre.com/livre/9782370970220-radjadji-boto-comedie-satiri...
[3] Mahaba Massikiniyano : https://www.youtube.com/watch?v=vTyUfvlI_Oo
[4] Reprise de standards Twarab des années 60 sur l’album Namwayele https://www.youtube.com/watch?v=y0CEFz0Ho68
[5] Mwandzani de Mohamed Bakhressa interprété par Dadiposlim : https://www.youtube.com/watch?v=ewc_sbqDacw
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Édité par Walter Badibanga
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