La musique populaire malienne
Le Mali est riche de sa diversité ethnique et de la richesse de son histoire. Chaque ethnie ayant son répertoire musical propre, la musique populaire dans ce pays devient un arc en ciel beau de ses couleurs multiples et chargé d’une très grande émotion.
Dans cet immense territoire, on se confronte gentiment par la musique, on se réconcilie avec, on fait corps, on fait nation par la musique, on cultive aussi sa différence par elle. Les musiciens populaires chantent les empires et les hommes et femmes qui les ont faits, lointains aïeux d’une République déchirée par ses contradictions internes.
Les musiciens modernes évoquent ces échos venus du passé pour chanter la vie, l’amour, l’espoir dans un environnement parasité par le culte de la mort et le mépris de la vie humaine. L’expression : « la musique adoucit les mœurs » a rarement été mieux à sa place que dans les contrées maliennes outragées mais heureuses et qui chantent encore et toujours, assises sur une tradition de belles sonorités.
Un tour au Musée national de Bamako permet de prendre la toute la mesure de cette richesse. Les yeux ne font pas que voir des objets témoins d’une grande culture (balafon, kora…), ils entendent bien que ces instruments originaux, souvent partie intégrante du patrimoine nationale jouent en silence des notes nourries par un passé enchanté et un présent au long regret et aux inébranlables espérances.
Au début et à la fin de la musique mandingue (bambara), le djéli
Toutefois, aussi majestueux et envoutant soit-il, cet édifice qui renferme les traits physiques des sonorités ayant fait la légende de la musique malienne - moins comme un tombeau jaloux de ses trésors que comme un beau livre national ouvert, généreux de toute la nourriture de l’âme qu’il contient – reste moins important dans la représentation et la transmission de ce grand art que le musée vivant constitué par la somme des dépositaires de cette tradition de belles sonorités enveloppant des messages épiques : les griots ou djéli.
Ils connaissent l’histoire des royaumes, des empires dont le Mali actuel est l’héritier. Ils connaissent le patrimoine ethnique, les spécificités territoriales, l’histoire de toutes les grandes familles. Ils se transmettent cette charge de génération en génération et la racontent en chantant.
Et lorsqu’ils chantent l’histoire défile. Soundiata ou l’épopée mandingue de Djibril Tamsir Niane trouve sa beauté dans le fait d’être la retranscription de l’histoire de cet empereur atypique raconté, en chantant, par Djéli Mamadou Kouyaté, petit-fils de Djéli Fasséké Kouyaté, griot de l’empereur Soundiata Keita.
De la même manière que ce chant du chantre de l’oralité a été le matériau sur lequel s’est basé l’historien pour rédiger ce chef-d’œuvre de la littérature africaine, les voix des djéli, à l’unisson, nourrissent le roman national malien et transmettent aux enfants de la République moderne un substrat culturel construit sur plusieurs siècles de civilisation et de luttes.
Ils sont considérés, à juste titre, comme les réceptacles d’un savoir ancien, ils sont ces bibliothèques dont Amadou Hampaté Ba pensait qu’ils brulaient en mourant mais qui, dans les faits, meurent sans mourir, sans se consumer car ayant pris soin d’assurer la transmission. Des musiciens ont plus popularisée cette transmmision sur le plan intérieur.
Dans le pays, musique populaire est synonyme de sonorités entrainantes, dansantes. Des modifications rythmiques ont ainsi été apportées par certains artistes - du Super Rail Band à Oumou Sangaré en passant par Salif Keita ou Bako Dagnon - dans le legs traditionnel plus classique même si, dans le temps, les djéli pouvaient aussi parfois suivre la percussion. Cela a d’ailleurs amené certains à considérer la « djélia », dans sa version la plus rythmée, comme l’ancêtre du rap actuel.
Florent Mazzoléni raconte, dans son livre Musiques modernes et traditionnelles du Mali comment les confrontations entre orchestres de régions, lors des manifestations comme les Semaines nationales de la jeunesse, initiées en 62 ou les Biennales artistiques de la jeunesse qui avaient lieu à Bamako à partir des années soixante-dix, ont rythmé la scène musicale. Ces formes de rivalités entre groupes issus de territoires différents se poursuivent aujourd’hui encore.
Le patchwork Songhaï
Les hommes et femmes qui composent cette ethnie ont versé dans le patrimoine malien plusieurs genres musicaux. Le site voyageforum.com en dresse un magnifique tableau.
Le gao-gao en est l’un des plus anciens. Né dans la ville de Gao et essentiellement instrumental, il est joué à l’aide d’un violon, deux tambours à peaux et un tambour d’eau, et dansé par les femmes pour célébrer le premier mariage et la première maternité d’une femme, les fêtes de tabaski, de ramadan, et les réceptions officielles.
Le takamba est aussi un style de musique populaire chez les Songhaï. Né à Takanba, village situé près de Bourem, il a évolué en prenant des formes complexes. Aujourd’hui, il a largement dépassé les frontières du pays Songhaï.
Le genre musical dimba est lui lié à l’organisation corporative de la société Songhaï de Tombouctou, où il existe la corporation des maçons, la corporation des bouchers, et celle des cultivateurs. Chacune de ces corporations a sa propre musique. La musique dimba est liée à l’origine et à l’histoire des maçons. Elle est produite par les femmes la plupart du temps. Comme musique de travail, elle sert à animer les travaux de restauration annuels des minarets de mosquées.
Les pièces musicales fewa (travail collectif) et haala (fête des cultivateurs après une bonne récolte) sont quant à elles deux composantes complémentaires, inséparables, de la musique agraire des Songhaï.
Ali Farka Touré a été le plus grand ambassadeur de cette culture, celui qui, le mieux, a partagé cet héritage avec le monde. Son génie a été de rassembler des sonorités, à partir de la riche tradition musicale Songhai, dans un patchwork saisissant de puissance et de douceur mêlées. Dans son sillage, se sont engouffrés Hamma Sankaré, Sidi Touré mais aussi son fils Vieux Farka Touré.
D’autres ethnies ont développé des genres musicaux populaires : Le hollo-horey (culte du vaudou) chez les Bella, le Gambéré chez les Soninké, le Assouf aussi appelé blues touareg car créé dans un sentiment de solitude inhérent aux exils multiples qu’a connu ce peuple.
Une extraordinaire richesse culturelle
Mazzoléni magnifie cette diversité de la musique malienne ainsi que l'extraordinaire apport de ses musiciens : « Je suis, dit-il, très sensible aux rythmes mandingues ou aux rythmes bambara. Ceux-ci sont proches des gammes pentatoniques que l'on retrouve dans la musique éthiopienne, sans parler des influences songhaï, touareg, peul que l'on retrouve au Mali.
Ce pays offre un condensé de cultures assez extraordinaire (…) des musiques traditionnelles des chasseurs du Wassoulou, des ensembles instrumentaux, des grandes divas et surtout des grands solistes. Car le Mali a donné naissance à de grands virtuoses que ce soit au balafon, à la kora ou au n'goni ».
Vincent Zanetti écrit explique lui dans son livre Mali. Musique bambara du Baninko : « La qualité des prestations musicales est toujours très bonne et c’est un vrai plaisir de constater que certaines traditions, pas forcément reconnues dans le Mali moderne des villes, parviennent encore à survivre dans le monde rural ».
Les musiciens maliens tiennent à cette authenticité. Ils la cultivent même. Et contrairement aux autres pays de la sous-région, de nombreux festivals sont destinés à faire vivre cette musique traditionnelle.
Mazzoléni y fait d’ailleurs aussi référence : des Voix de Bamako, le festival qui ouvre l’année par une bouffée d’art traditionnel africain à la Biennale artistique et culturelle qui se tient tous les deux ans dans une ville différente en passant par le Festival au désert, hymne à la culture touarègue qui retentit depuis Essakane, le Festival international de percussion de Bamako, le festival « Tamadacht » qui se tient dans la vallée de l'Azawagh réunissant artistes maliens et nigériens dans la commune d'Andéramboukane pour toujours promouvoir la culture touarègue, le Festival dansa-diawoura a lieu à Bafoulabé, le festival « Triangle du balafon » qui magnifie les instruments de musique traditionnel tous les ans dans la ville de Sikasso. La liste est non exhaustive. Cette vitalité culturelle orientée vers la musique plus précisément ne se retrouve nulle part ailleurs en Afrique de l’Ouest.
Traditions toujours chantées et parfois désenchantées
Cette tradition d’une richesse incommensurable véhiculée par la musique n’est pas dénuée de méfaits, à l’image de tous les processus historiques. Par la musique, elle est magnifiée. Par la musique, des critiques lui seront adressées. A défaut, en effet, une critique sans musicalité aucune, risquerait d’être inaudible pour le plus grand nombre face aux savoureuses sonorités en sa faveur.
Ainsi, c’est le grand Salif Keita qui est à la pointe de la cette difficile contestation partielle prenant l’exemple de la place si peu enviable des albinos dans l’imaginaire populaire. « J’en veux, dénonce-t-il, à la tradition qui inculque des inepties à la population. Aujourd’hui, je plaide pour les autres albinos.
Dans les années 90, à Montreuil, j’ai monté l’association « SOS Albinos », et depuis 2001, la fondation « Salif Keïta pour les albinos » travaille sur le terrain, au Mali, pour faire évoluer les mentalités et donner aux gens les moyens de se soigner.
L’albinisme a été longtemps considéré comme un mauvais sort. C’est une responsabilité que j’ai dû assumer. Enfant, j’ai souffert des brûlures du soleil, de ma mauvaise vue, d’être un blanc né de parents noirs. Mais ce qui est rare est précieux. Ma différence m’a porté vers la musique et le succès, c’est déjà beaucoup ».
Salif Keita exprime aussi magnifiquement ce désir de musique que l’on ressent quand tout est vacuité, quand on est seul face à une société soumise à un pan de ses traditions qui conduisent à une perte de sens.
Parlant de la noble lignée dont il descend et qui lui interdisait de chanter, dans un environnement où ce privilège est traditionnellement réservé aux griots, il explique : « Je n’avais pas le choix. Je n’étais pas un africain comme les autres, je n’avais donc pas les mêmes possibilités. Ma différence physique m’a isolé, il a fallu que je comble ce vide, que je m’exprime autrement. Je ne voulais pas enfreindre la loi, mais j’y ai été forcé. Un jour on m’a donné une guitare, et j’ai commencé enfin à exister. »
Il faut, comme Salif Keita, être en guerre contre la tradition à cause d’ostracisassions faites lois par elle pour oser une intrusion dans le champ réservé aux djéli. Car, au Mali, contrairement, par exemple, à un pays comme le Sénégal, il n’y a quasiment pas de différence, d’une ethnie à l’autre, sur la règle qui veut que les griots soient seuls dépositaires d’une tradition musicale omniprésente.
En ce sens, la musique populaire est un ciment à valoriser pour enfin réussir à construire cette nation malienne souffrant de convulsions internes et de multiples assauts identitaires. C’est ce combat culturel, pour citer Antonio Gramsci, qui est le défi réel de la musique populaire malienne et finalement produit son horizon indépassable. Faire peuple. Créer nation.
Albums suggérés :
Musicienne Mandingue : Bako Dagnon : Mandekalou (2006):: Titati (2007)
Sidiba (2009)
Musicien Songhaï : Aly Farka Touré : Talking Timbuktu (1994) Niafunké (1999)
Savane (2006)
Musique Touareg : Tinariwen Aman Iman (2007) Tassili (2011) Emmaar(2014)
Musique Soninké : Lassana Hawa Sissokho Soumou (2012), Makarito (2011), Alah Sireni (2008) Sources :
Florent Mazzoléni - Musiques modernes et traditionnelles du Mali
Vincent Zanetti - Mali. Musique bambara du Baninko
Africultures
Mondomix
Voyageforum
Comments
Log in or register to post comments