Les femmes dans la musique érythréenne
Ce texte donne un aperçu des chanteuses qui ont contribué à la croissance de la musique érythréenne, avant pendant et après l'indépendance du pays.
Les artistes féminins pendant la lutte pour l'indépendance
Dans les années 1970, de nombreuses artistes et musiciennes ont rejoint les forces érythréennes, qui animaient à la fanfare, des événements nationaux. Elles ont été les premières à rompre avec les vieilles traditions, qui privaient les femmes de se produire sur scène.
Mais en 1961 déjà, la création de l'association du théâtre d'Asmara a contribué au développement des carrières musicales de nombreuses artistes féminins.
Tebereh Tesfahuney a rejoint l'association en 1963 à l'âge de 16 ans, en tant que danseuse. Elle décide plus tard de chanter et elle fait succès avec son titre « Eti Gezana Abi Hedmo », qui parle de l’invasion de l’armée éthiopienne en Érythrée. Le morceau sera censuré vers le milieu des années 60. Plus tard, elle sort « Aba Shawe I », une représentation scénique de la lune qui brille au-dessus du ghetto d’Abashawel, inférant le drapeau de la libération de l'Érythrée et sa lutte armée pour la liberté. Tebereh décède en 2007.
Tsehaytu Beraki est née en 1939 dans le petit village de Quatit. Elle apprend le krar (harpe à cinq cordes) avant de s’installer dans la capitale Asmara, où elle chante dans les bars et maisons à bière traditionnelles. Dans les années 70, le producteur Tewelde Redda la découvre et l’emmène à Addis Abeba pour un enregistrement. Sa popularité grandit alors que la situation politique de l'Érythrée se dégrade. Tsehaytu choisit de rejoindre le mouvement indépendantiste et ses chansons sont désormais de nature politique. Ses morceaux les plus appréciés en Érythée sont « Aminey » et « Laley Bola ».
Amlest Abbaye est une artiste érythréenne surtout connue pour son morceau « Dekise niere teberabire » (Je me suis réveillée de mon sommeil), sorti dans les années 70. Cette période voit émerger de nombreuses chanteuses érythréennes jusque-là méconnues. En effet, pendant que les plus grandes artistes rejoignent les fronts de lutte pour l'indépendance, les jeunes musiciennes animent les spectacles organisés dans les zones libérées et partent en tournée au Soudan ou même en Europe. Grâce à elles, la musique érythréenne connait un regain d’intérêt.
Abrehet Ankere, Abrehet Berhane, Brikti Ghebreslase, Fatma Suleiman ou encore Zeineb Beshir produisent des chansons qui rallient les jeunes au mouvement armé tout au long des années 80. Leurs œuvres décrient l’injustice sociale. C'est le cas du titre « Dehan Kuni Wushate » de Brkti Ghebreslassie, qui traduit son désir de mettre fins aux traditions opprimant les femmes. Les paroles de la chanson glorifient la nouvelle image de la femme érythréenne libérée, qui travaille dur pour le changement social et l'émancipation.
Le mouvement armé a le mérite d'avoir lancé la carrière de nombreuses chanteuses issues de cultures conservatrices d'Érythrée. Zeineb Beshir et Kedija Adem du Tigré, Hajait Mendel de Belen, Dahab Faytinga de Kunama et Fatuma Sulieman de Saho sont les premières à se produire sur scène, représentant chacune leurs groupes ethniques.
Les artistes féminins depuis l'indépendance
Après l'indépendance en 1991, les troupes de l’armée se désintègrent et les artistes se lancent dans une carrière solo. La plupart des chanteuses établies quittent l'industrie tandis que d'autres s'adaptent à la vie d’artiste indépendant.
En 1993, les anciennes combattantes se réunissent, forment le groupe Shushan et partent en tournée en Érythrée et à travers le monde, pour se faire connaître. Dahab Faytinga, Tsighe Teklesenbet et Abeba Haile en font partie. Ce groupe révèle certains des plus grands talents musicaux de l'Érythrée comme Senait Debessai (guitariste), Veronica Solomon (guitariste), Azieb Salomon, Freweini Tewelde (saxophoniste), Salomon Yordanos (guitariste) et Almaz Berhe (claviériste).
Dahab Faytinga est une chanteuse et ancienne combattante mondialement connue. Avec sa voix exceptionnelle, elle est aussi danseuse et joueuse de krar. Sa musique inclut des instruments de divers groupes ethniques de l'Érythrée. Elle sort l’album Numey (n’interrompez pas le narrateur) en 2000 et Eritrea en 2003 au studio Cobalt Records à Paris(France). Elle fait partie de ces grandes artistes qui auront marqué l'histoire de la musique érythréenne.
Tout comme Faytinga, Helen Meles participe au mouvement révolutionnaire et est membre de la troupe culturelle « Red Flowers ». Elle devient célèbre en 1990 avec son titre « Abey Keydu Slmatki », un hommage à la ville côtière de Massawa. Après l'indépendance, elle sort des reprises de la légendaire Tebereh Tesfahuney, diva des années 60. Elle publie également les albums Reseani en 2003, Halewat en 2006 et Beal Sham en 2012.
La chanteuse Elsa Kidane devient une idole avec la chanson « Weledi » interprétée au festival de l'Érythrée à Bologne (Italie) en 1990. Tout comme Helen Meles, elle est considérée comme l'une des plus importantes artistes contemporaines de l'Érythrée. Ses albums Gobez wedi et Belo connaissent un réel succès.
D'autres chanteuses comme Zeyneb Beshir qui chante en langue tigré, Fatuma Ibrahim (en bilen) et Fatna Sulieman (en saho et afar), ont joué un rôle essentiel dans la musique contemporaine. Elles interprètent des chansons dans leurs langues respectives, quoique ces dernières ne soient pas commerciales.
Alors que les anciennes combattantes ont occupé les devants de la scène musicale avant 2000, une nouvelle génération de chanteuses voit le jour. Feven Tsegay est l'une des plus populaires aujourd'hui avec ses chansons d’amour. Elle sort l’album Dendani et les singles « Habibi » et « Fetyeka », qui deviennent des hits à Asmara.
La plupart des chanteuses d'aujourd'hui brillent avec des singles. On pourrait citer « Tejemreni Aleka » de Ruta Abreha, « Aibeni » de Senait Amine, « Mis Call » de Bsrat Aregai et « Telmedien » de Solomie Mahray qui continuent de divertir le public érythréen. Cette préférence apparente pour le single est liée à la chute des ventes d'albums en général. La plupart des singles actuels sont distribués numériquement et dans les boîtes de nuit en Érythrée.
Les artistes féminins en Érythrée ont parcouru un long chemin. Elles ont défié la convention et aujourd'hui, chantent l'amour.
Lecture complémentaire :
Rena, R. (2009). 'Role of Musical Songs in the Independence Struggle of Eritrean People'. International Journal of Human Development and Information System. Pp. 93-104.
[i] http://www.qienit.com/tebreh-tesfuhuney-a-musical-visionary/
[ii] http://mereja.com/forum/viewtopic.php?f=2&t=65599&start=20
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