Histoire de la musique moderne sénégalaise
« Aperçu historique de la musique sénégalaise de ses débuts dans les années 1960 jusqu'à nos jours »
Écrire sur l’histoire de la musique moderne sénégalaise, c’est à priori écrire sur le Mbalakh tant son omniprésence et son impact sont importants.
À priori seulement, car la musique sénégalaise va au delà du Mbalakh. Elle est multiforme, a subi diverses influences et a connu plusieurs moments forts et critiques.
L’influence de la musique cubaine
Tout commence véritablement dans les années 1960. Le Sénégal est indépendant depuis peu. La musique d’alors est fortement teintée de couleurs latines. En effet, les musiciens cubains de New York ajoutent des cuivres au Jazz, et au blues joués dans les clubs : c'est la Salsa.
Les chansons sont en espagnol pour la plupart et tout dans l’environnement évoquent la musique et les villes américaines : Tropical Jazz, le Guinea Jazz, le Harlem Jazz, Star Band, Miami Club. C’est à cette période qu’Ibra Kassé crée le Miami. Un club qui va être le lieu de toutes les rencontres et de toutes les aventures. Le Star Band le groupe qui s’y produit verra passer Laba Sosseh, Pape Seck, Rudy Gomis, Balla Sidibé, Barthélémy Attisso, Thione Seck, Pape Fall, Youssou N’Dour… tous auront une influence importante dans l’éclosion de la musique sénégalaise.
Au début des années 1970, le président poète Léopold Sédar Senghor souhaite la formation d'un groupe qui pourrait refléter la culture et la vie sénégalaise. Un groupe qui pourrait égayer les soirées des hôtes du pays. Ainsi naquit le Baobab avec Barthélémy Attisso, Balla Sidibé, Rudy Gomis, Médoune Diallo et Issa Cissokho… La présence dans cet orchestre de Laye Mboup, grand chanteur traditionnel et membre du fameux Théâtre Daniel Sorano annonce ce qui se fera dans les années 1980.
En attendant, le style cubain persiste, la musique sénégalaise proprement dite n’existe pas encore. Les instruments sont modernes mais il faudra attendre la formation du groupe Number One dans les années 1970 pour assister à l’introduction d’instruments dits traditionnels. Le rythme est toujours cubain malgré tout. Seulement, pour la première fois, on assiste au frémissement d’une musique propre au Sénégal.
Dans l’ensemble, les groupes comme Baobab, Star Band sont très populaires mais la musique sénégalaise en général n’a toujours pas une dimension internationale. Même si les spécialistes et les férus de musique latine apprécient cette originalité sénégalaise. Côté production, les enregistrements se font à Paris ou à Abidjan (place forte de la musique africaine d’alors).
La naissance du Mbalakh
Cette tendance va se poursuivre et à la fin des années 1970, la présence d’instruments traditionnels, se fait plus ressentir (percussion, Talking Drum). Le Mbalakh est entrain de naître. Sous l’influence de l’Étoile de Dakar (qui deviendra le Super Étoile plus tard), le Number One, Baobab Orchestra et d’autres, la musique sénégalaise commence à intégrer de nouvelles sonorités.
Un mélange de Salsa accompagné de percussion bien sénégalaise fait tendance. C’est le moment où l’on découvre des groupes comme le Super Diamono. Un dosage exquis entre pop anglaise, jazz et sonorités locales. Aziz Seck aux percussions (Sabars) marquera pour longtemps les groupes musicaux. Sensiblement à la même période, on assiste à l’émergence de groupes comme Touré Kunda (originaire de la Casamance) et du Xalam (avec feu Prosper Niang ou l’excellent Souleymane Faye).
Ces deux grands groupes sont et seront à la base de ce que pourrait être une musique typiquement sénégalaise. Une musique que ne domine pas le Mbalakh (wolof) et qui s’ouvre à tout le Sénégal. Du Nord au Sud, d’Est en Ouest toutes les sonorités sénégalaises sont présentes dans leurs compositions. Leur séjour en France y est pour beaucoup ! Nous sommes au début des années 1980, des concepts comme la Word Music ou musiques du monde apparaissent.
Il s’agit pour l’Occident des musiques venues d’ailleurs, d’Afrique, d’Asie par exemple et qui parlent à toute l’humanité. Les Touré Kunda feront parties des pionniers avec Kassav’ (Antilles françaises) de cette vague. La musique sénégalaise a désormais une visibilité intéressante. Laba Sosseh (bien avant) et plus tard les Touré Kunda, récoltent les premiers disques d’or du pays.
Pendant ce temps, le Super Diamono continue de marquer de son empreinte une scène musicale où le Super Étoile commence à régner en maître. Son style, c’est le Mbalakh. Une présence accrue des percussions. Orgues, guitares et cuivres tiennent une place de choix. Il y a une influence de Fela Kuti, ce qui donne une touche plus africaine.
La musique Mbalakh s’impose
Les années 1980 sont importantes en cela que la musique sénégalaise va prendre un virage. Les groupes d’influences cubaines ont tous disparus ou presque. Adama Faye pianiste et arrangeur de génie, va influencer toute la musique dans son ensemble en apportant une touche plus locale et plus recherchée. Le rythme Mbalakh s’impose. Même si les élites n’accrochent pas tout de suite et snobent un peu ce genre « trop » populaire.
Youssou N’Dour va inverser la tendance. Au début des années 1990, le Mbalakh entre dans tous les foyers du Sénégal. Ismaël Lô, Baaba Maal, Youssou N’Dour ont du succès au Sénégal et à l’étranger, mais le Mbalakh ne s’impose pas hors du pays (sauf en Gambie). La preuve l’album de Youssou N’Dour qui aura un retentissement planétaire est celui qui comporte le fameux Seven Seconds, très loin du Mbalakh.
Les années 1990 vont marquer la confirmation du style Mbalakh dans la musique sénégalaise. Pour avoir une carrière internationale, des chanteurs comme Youssou N’Dour sortent leurs albums en double version. Une, locale très Mbalakh et une autre plus « World Music ». Baaba Maal quant à lui, en tant qu’originaire du nord du Sénégal, compose sur des rythmes déjà plus universels
Finalement, la musique sénégalaise dominée par le Mbalakh n’arrive pas intéresser le monde. Par contre,lorsqu’elle est plurielle, c'est-à-dire incluant toutes les cultures du pays, elle devient plus accessible.
Malgré tout, la tendance Mbalakh va s’accentuer dans les années 1990 et 2000. Un groupe comme Lemzo Diamono, tenta une révolution mais elle ne dura que le temps d’une rose avec son fameux « marimbalakh », sorte de percussions avec les claviers et qui sort des sons proches du balafon.
La nouvelle tendance
Aujourd’hui, Cheikh Lô, Yoro Ndiaye, Viviane Chidid, Moh Dediouf ou encore le groupe Takeifa tentent l’approche qui consiste à travailler davantage leur musique pour être « écoutable » à la fois ici et ailleurs. Seule la Salsa y arrive encore totalement ! Dans les années 1990 et 2000, deux mythiques groupes renouent avec le succès : Baobab et Africando (orchestre composé d’anciens du Baobab et du Star Band).
Mais il urge de trouver un nouveau Adama Faye pour « révolutionner » tout cela. Des chanteurs comme Pape Diouf, Titi, Adiouza, Aïda Samb, Abdou Guité Seck ont du talent, ils ont les studios et les infrastructures mais sont confrontés à une triple crise : crise financière, crise du disque et crise d’inspiration (pour les artistes) qui rendent frileux les producteurs.
C’est le grand chantier des années à venir. Cela passe par garder nos instrumentistes talentueux. Puis trouver de bons producteurs qui ont l’œil… il s’agit aussi de trouver les bons tourneurs, les groupes sénégalais ne vont plus en tournée dans les régions et les méga-concerts des années 1980 ou 1990, il n’y en a pratiquement plus.
Il s’agit également de former les animateurs et DJ pour retrouver des pros de la trempe de feu Amadou Ba, feue Sokhna Dia dite Sonia ou Michael Soumah. De fins connaisseurs et défenseurs de la bonne musique, capables d’influencer le public.
Enfin, la musique sénégalaise a besoin d’une véritable politique gouvernementale afin de réduire les différentes taxes qui plombent les maigres ressources des producteurs de spectacles, combattre la piraterie et valoriser les métiers de la musique qui est une niche créatrice d’emploi à ne pas négliger.
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