Sahad and the Nataal Patchwork : à la récolte d’un artiste qui sème son premier album, Jiw
Sahad Sarr, artiste incontournable de la scène sénégalaise, sort son premier album Jiw. Travailleur obstiné et talentueux, il lui aura fallu 10 ans à enchaîner les tournées, pour perfectionner son style inédit qu'il nomme « afro-cosmique » et séduire un large public avec des morceaux universels qui parlent à chacun.
Un artiste pourvu de patience...
Compositeur, musicien et chanteur, Sahad a trouvé sa voie et s’est donné les moyens de parcourir son chemin. Dès le lycée, il se plaît à jouer en acoustique lors des événements culturels ouverts à tous. Il se fait dès lors connaître auprès des étudiants des établissements dakarois de Blaise Diagne, Lamine Gueye ou encore Sainte Jeanne d'Arc.
Sa passion s’épanouit lors de son entrée à la faculté Cheikh Anta Diop, où l'absence de professeurs lui donne l'occasion de se promouvoir encore davantage. Fils de militaire encadré avec exigence, il intègre après une année sabbatique consacrée à la musique une université franco-sénégalaise pour suivre une Licence, puis un Master, en Marketing, Communication et Gestion de projet : « C’est là-bas que j’ai rencontré des musiciens d’origines multiples, des congolais, des français, des burkinabés,etc.
On jouait ensemble pour les étudiants et on n’avait pas envie d’être connu ou de gagner de l’argent : c’était avant tout notre passion. On s’est cotisé pour aller répéter au studio du centre culturel Blaise Senghor, où il y avait du matériel pour avoir un bon son », raconte-t-il. Un investissement qui sera à son tour payant. Le directeur de la salle du Just 4 U les repère et programme les jeunes musiciens. Il se rappelle avec émotion de ses premiers pas : « On n'avait pas conscience de notre niveau car on jouait seulement entre nous, pour le plaisir. Lors de notre première prestation sur la scène du Just, on a été surpris tant le public était impressionné et réceptif ! ».
Un déclic qui donnera officiellement naissance au groupe Sahad and the Nataal Patchwork. « Nataal signifie « photo » en Wolof : on voulait exprimer l’idée d’une photographie du monde. Il y a dans notre musique les influences de plusieurs civilisations. On apprend des autres en étant ensemble : il y a plusieurs langues, plusieurs états d’esprit, plusieurs influences musicales. Chacun apporte sa culture et son identité. The Nataal Patchwork a beaucoup évolué depuis ses débuts ! », explique Sahad, avant de préciser : « Je compose mes morceaux, j’évolue dans mon univers : je sais où je vais et ce que je veux. Je suis très ouvert musicalement et j’apprécie les musiciens qui ont leur propre sensibilité, leur propre énergie. Ce qui m’intéresse avant tout, ce n’est pas leur technique, c’est leur personnalité, leur feeling, c’est ce qui me permet d’évoluer.
Comme disait Senghor, nous sommes dans la civilisation de l’universel. En écoutant la musique, il faut ouvrir les portes, considérer toutes ces influences, et s’approprier les meilleures pour construire un univers cohérent et inspiré. Ça peut prendre 5 ans, 10 ans ! On a eu la patience, et on a su foncer au moment voulu ! ». Déterminé à sortir des sentiers tracés par ses études, Sahad mesure avec justesse ses ambitions et son potentiel. Il ne lui en faut pas plus pour s’investir corps et âme dans sa carrière musicale.
...et porté par la persévérance
Depuis 2009, l'envie de sortir un album mûrit chez Sahad. En 2015, il réintroduit le format de l'EP au Sénégal. Ce CD de cinq titres lui ouvre des portes : il multiplie les participations à des tremplins internationaux de jeunes musiciens, comme les Journées Musicales de Carthage (JMC), en Tunisie. L'aventure commence à peine : « C’est cet EP qui nous a permis de sortir l'album. On avait 8000 euros : on pensait naïvement que cela serait suffisant, puis l’on s’est rendu compte de tout qu’il y avait à faire pour produire un album de haut niveau et de très bonne qualité...
Et c'était sans compter toutes les pannes au studio ! On a relevé beaucoup de challenges pour ce CD, c'était vraiment mission impossible mais on n’a pas lâché, on s’est vraiment battu pour avoir l’album en main à temps », se rappelle Sahad avec un amusement qui laisse percevoir le stress latent de ces instants passés.
Perfectionniste, il exige le meilleur de ses musiciens, à qui il impose des séances de répétition intensives et une entière disponibilité. Il connaît l'importance du travail : « Je suis hyper rigoureux, et je n'aime pas le laxisme. En musique comme ailleurs, on a beau avoir du talent, ce qui fait avancer les projets, c’est le travail. Ma musique est très élaborée, et mes musiciens ont beaucoup de boulot ! D'autant plus que j'aime le changement, et si l'un d'entre eux manque une répétition, il lui sera difficile de rattraper. Aux concerts, je change mes arrangements très fréquemment, après deux ou trois sessions seulement. Je ne veux pas céder à la facilité, mais au contraire apporter du neuf et des surprises à notre public.
Or, il faut être sincèrement engagé pour aller loin, et je vise le très très haut ! Depuis huit ans, c’est nous qui avons tout fait : j’ai eu la chance d’avoir des musiciens qui étaient aussi étudiants, et qui apportaient leur savoir-faire au-delà de la musique. On fonctionne comme une mini-entreprise : on sait comment gérer et manager pour que les choses avancent. On sait s’en sortir en somme ! », explique cet artiste polyvalent. Avec la sortie de cet album autoproduit, Sahad incarne la force de la volonté et s’impose en exemple auprès de ceux qui prétendent devoir être « fils de » ou aller en Occident pour réussir à mener à bien un projet.
Jiw, une graine à croître
En Wolof, Jiw signifie « graine », mais également « semer ». Car pour Sahad, cet album marque avant tout le début d’une aventure dont il récoltera les fruits toutes les années à venir. Dans sa philosophie, la graine est également source de vie : le monde, qu’il soit spirituel, végétal ou animal, en est issu.
Chaque humain en porte une en lui, métaphore de la personnalité profonde, de l’âme, de l’essence personnelle qu’il faut cerner et comprendre : « L'être humain est au centre d'une spirale, dont il doit connaître le centre pour établir son équilibre. Cette graine, qu’elle soit positive ou négative, il faut aller la chercher, l'apprivoiser et la conquérir pour ensuite pouvoir la planter, la faire germer et en récolter les fruits.
Chercher la richesse ou la gloire ne mène à rien, ce qu'il faut chercher est à l'intérieur de nous. Chacun doit faire un travail d'introspection pour trouver son essence et l'exprimer de la meilleure façon qui soit. Si on fait cela, on peut trouver des solutions et apporter quelque chose à ce monde ». Passionné par la nature humaine, Sahad trouve ses inspirations dans ses rencontres, ses discussions, ses découvertes, dans son expérience de la vie elle-même. Il aime philosopher sur la différence, l'interculturalité, le regard sur l’autre, la communication. Des thèmes qui se retrouvent tant dans ses paroles que dans sa musique et sa démarche artistique.
Inspiré par Ali Bongo, Richard Bona, Herbie Hancock, Salif Keita, ou encore Youssou N'Dour, Cheikh Lô, Xalam et Fela Kuti, il impose cependant un style inédit grâce à son ouverture musicale. Refusant l’étiquette de « world music », terme occidental dans lequel se retrouve pêle-mêle l’ensemble des musiques africaines, il se détermine comme compositeur et musicien d’un groupe afro-cosmique : « C’est de l’afro-fusion, mais j’aime dire afro-cosmique parce que sa source vient de l’Afrique dans les rythmes et la sonorité, et elle est ouverte au monde entier : elle va à la rencontre des autres cultures ».
Cherchant à transmettre son énergie et ses vibrations à son public de tous âges et horizons, ses mélodies brutes, franches, servent ses paroles tout aussi sincères. Lauréat du Tanit d’or des JMC en 2016, Sahad compte bien continuer sur cette lancée sans pour autant se montrer impressionné : « Je ne me laisse pas aller à l'euphorie : je ne rêve pas, je vise mon utopie. Les tremplins me donnent de l'espoir, de l'énergie, et me confortent dans cette idée que la réussite dépend avant tout du travail. » assène-t-il avec confiance.
D’ores et déjà sélectionné pour la 4ème édition de Visa for Music, avec sa « jiw » en poche, il sera en tournée tout l’été pour faire ses preuves sur scène. En sérère, « Sahad » signifie « moisson », et son deuxième prénom, Niakar, « conquérant » : « J’espère une grande récolte parce qu’on a beaucoup jardiné !
Je suis maintenant dans une dynamique d’ouverture et de conquête du monde ». Le bien nommé artiste, habitué des scènes sénégalaises, sillonnera bientôt les routes d’Europe et d’Afrique, en jouant notamment en France, en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Tunisie et en Côte d’Ivoire… pour semer dans les cœurs conquis cette irrésistible envie de cultiver son jardin.
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