L’industrie du disque en Centrafrique
Par Paul-Crescent Beninga
Si partout ailleurs, beaucoup se font de l’argent dans la production et la commercialisation des disques musicaux, en République centrafricaine, la réalité est, de loin, différente : l’industrie du disque est aujourd’hui quasi inexistante.
Cela ne signifie pas que les Centrafricains manifestent un désintérêt à l’endroit de la « chose musicale » ; bien au contraire, ils en raffolent, en témoigne l’extase qu’ils expriment lorsqu’ils exécutent un morceau musical.
Une domestication tardive et difficile en proie à la crise de la musique centrafricaine
Un voyage dans l’histoire de cette industrie en Centrafrique laisse découvrir que sa domestication a été tout aussi tardive que difficile et s’est heurtée à une crise de la musique centrafricaine (1). Malgré un essai de renaissance, l’offre demeure peu intéressante est en proie à la concurrence extérieure et fragilisée par les nouvelles technologies.
La production discographique semble ne pas être la chose au monde la mieux répandue. En effet, en Centrafrique, jusque dans les années 60, la musique doit se contenter de simples apparitions publiques ou des enregistrements grâce à l’avènement de la Radio Bangui (2).
Ces premiers enregistrements ont posé la base d’une richesse musicale naissante : des groupes naissent (3), défendant même valablement les couleurs du pays (4). La musique centrafricaine va donc susciter de l’intérêt surtout qu’il est resté un champ inexploré, méconnu du monde. C’est donc cet intérêt qui va pousser le Français : Monsieur Lejuste à produire certains groupes centrafricains sur disques.
A sa suite, un Centrafricain : Chandra Mballa a essayé cette expérience mais, va rapidement l’abandonner à cause des taxes douanières et autres contraintes sur ses productions. Les productions étaient sous forme de 45 tours, et distribuées aussi bien en Afrique qu’en France comme les éditions Ngoma et Ngombi.
Le soutien de l’Etat en équipement et en frais d’enregistrement jusque dans les années 80 a permis le fleurissement de cette musique.
Sauf que cette période faste va rapidement s’évanouir avec les nouvelles contraintes auxquelles doit faire face la musique naissante.
La première contrainte est liée à la production musicale. Alors que dans les pays voisins, les productions sont discographiques (5) grâce aux studios, en Centrafrique, le studio prévu à Berengo ne verra jamais le jour.
Des efforts sont entrepris pour des studios privés : Studio ABC, Studio Vitamine, Studio Bonga-Bonga. Mais ceux-ci ne connaitront pas une réelle émergence faute de leurs matériels rudimentaires et surtout d’une crise qui va secouer le pays (6), affectant également l’environnement musical (7). La seconde contrainte est la rupture entre les générations des musiciens.
En effet, les années 90 ont été presque le trou noir de l’histoire de la musique centrafricaine par la fuite des jeunes de la musique. Durant cette période, l’industrie du disque en Centrafrique agonisait. Et même avec la renaissance musicale observée les difficultés restent réelles.
Une offre peu compétitive et affaiblie par la piraterie
Certes, depuis les années 2000, nous observons un réveil de la musique centrafricaine : les groupes Bangos Rap, JMC quartier libre, des vedettes comme Ngou ti Wa ou Ozaguin… s’illustrent.
Mais cette musique rencontre encore des problèmes même si certains artistes semblent tirer leur épingle de jeu. Cela se justifie par leurs propositions qui sont originales, correspondant aux réalités et aux rythmes traditionnels centrafricains (8).
Sauf qu’ils ne se produisent plus localement, au grand malheur des studios de la place. Les autres (la plupart) proposent des musiques copiées-collées (9) ; de surcroit de mauvaise qualité sonore en raison des déficits au niveau des studios locaux.
Dans cet univers dominé par la concurrence, seule la singularité et la qualité sont gages de compétitivité (10). Même sur le marché local, les disques de nos artistes peinent à être vendus.
Une commerçante faisait remarquer qu’il y a deux ans, les disques ivoiriens et nigérians sont mieux vendus en Centrafrique. Aujourd’hui, les gens s’intéressent aussi aux disques de Ngou ti Wa et d’Ozaguin.
Les disques varient entre 500 FCA à 1000 FCA (environ 1 USD). Sauf que, poursuit-elle, la piraterie devient endémique en Centrafrique. Les Centrafricains se contentent maintenant d’enregistrer les morceaux présentés à Trace TV grâce à leur téléphone (11).
Conclusion
L’industrie du disque en Centrafrique peut encore s’épanouir. Cette possibilité est tributaire d’une réforme profonde dans la production de cette musique. Nos artistes doivent être originaux et proposer au monde notre spécificité. L’Etat doit aider à mettre en place un studio de bonne qualité pour des productions compétitives. Le reste, ce n’est qu’une histoire de marketing.
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- La musique se jouait à l’occasion des évènements dans les communautés (initiation, mariage, décès …), de rituels ou pour animer les fêtes locales. Elle se jouait aussi dans les dancings de la Capitale du pays : le Rex inauguré en 1954, le cercle de Mbi yé à Lakouanga où a été joué le Wendo Kolosoy…
- Le premier enregistrement était l’œuvre de Monsieur Mercier. C’était le « Mo Gbi » de Prosper MAYELE et Radolphe BEPKA, diffusé le 1er Décembre 1958 par la Radio Bangui.
- Plusieurs groupes musicaux vont naître à l’instar de Centrafrican Jazz et Vibro Succès. Il va avoir à la suite plusieurs générations des musiciens centrafricains.
- Le groupe Mayos Succès en 1974 au festival de la Francophonie au Québec où il a pu remporter la médaille d’or
- Au Cameroun, on rencontre le Studio de la Radio Télévision ; au Gabon, les Studios Mademba etc.
- La RCA, dans les années 90, va être traversée par une crise sociale et économique. L’Etat n’est plus présent pour soutenir les musiciens. La population centrafricaine n’a plus assez de moyens pour à la fois se procurer des disques des musiciens et se nourrir (consommer une bouteille pour leur plaisir).
- Beaucoup d’artistes centrafricains vont mourir dans le dénuement total. Monsieur SISSOKO fait savoir qu’en termes de revenu, aucune formation n’est capable d’assurer un salaire aux musiciens. Chez celles qui le peuvent le revenu moyen oscille entre 6.000 et 15.000 Frs cfa. Cela met en évidence de façon flagrante la détérioration des revenus qui à une certaine époque avoisinait 40.000 Frs en moyenne.
- JMC Quartier Libre de Bangui se produit par Jean René Adoum à Douala ; Ngou ti Wa se produit à Douala ; OZ se produit aussi bien au Congo qu’à Douala.
- Le magistrat Samuel RANGBA, ancien ministres des Affaires Etrangères a fait savoir : « Actuellement, la musique centrafricaine n’est que copier-coller de nos voisins. C’est seulement quelques rares des musiciens qui continuent de valoriser la culture centrafricaine ». Lire Centrafrique : « Il faut revoir l’idéologie de Boganda », http://www.journaldebangui.com/article. Consulté le 14/06/2017.
- Une coopérante canadienne rencontrée lors d’un passage au Cameroun a fait savoir qu’elle s’intéresse bien au rythme africain tel que le Menteguene de la RCA sauf que nos artistes veulent se perdre dans les Raps, spécialités des Américains qui le font mieux et avec des moyens adéquats.
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