L'éducation musicale au Sénégal (Partie 3)
Retrouvez ici, la troisième et dernière partie du focus sur l'éducation musicale au Sénégal.
L’éducation musicale après l’indépendance
La modification des horaires et des programmes de l’enseignement fut un processus qui avait été entamé plus exactement en 1962, avant consignation et promulgation par les décrets No 72-861 et 72-862 du 13 juillet 1972, élaborés en application de la loi 71-36 du 03 juin 1971.
Après un mimétisme plus que décennal, la présentation de la musique dans l’enseignement au Sénégal se fit sous la forme d’une affirmation culturelle en adéquation avec les préoccupations essentielles de l’école. Celles-ci cherchaient à former globalement l’apprenant en agissant sur son intelligence, sur son physique et sur sa sensibilité. C’est dans cette dernière forme de perception qui concerne l’éducation artistique, que deux disciplines furent officiellement adoptées : l’éducation aux arts plastiques et l’éducation musicale.
L’intégration formelle de l’éducation musicale couvre désormais comme entités du système éducatif : les niveaux d’enseignement allant du préscolaire au supérieur ; la répartition en différents départements ministériels des compétences éducatives ; les programmes et horaires spécifiques à chaque niveau d’enseignement ; des contenus concernant les domaines de la perception du son, du traitement intellectuel du son, de la culture générale en musique, de l’interprétation et de la créativité (CNEM 2013).
Dans leurs grandes lignes, les différents programmes adoptés depuis 1972 conservent le solfège comme connaissance indispensable, en tant que forme universelle de notation et moyen le plus abouti en vue d’exprimer la musique écrite. Les reformes sont de l’ordre de didactiques intégrant globalement une culture musicale universelle, préalablement enracinée. Conformément à l’esprit des Lois d’orientation de l’éducation nationale, ces didactiques s’inspirent de dispositions, de résolutions, de conventions, et de recommandations culturelles entérinées souverainement, seul ou dans le cadre intergouvernemental (O.U.A, U.A, UNESCO, Conférence de chefs d’Etats et de gouvernements…), par l’Etat du Sénégal.
Ces reformes spécifiques portent sur la découverte et la connaissance du patrimoine musical local et continental, dans ses identités matérielles (instruments de musique, lieux et espaces de mémoire) et immatérielles (sonorités, musiciens, répertoires, musiques et formes : comptines ; berceuses ; chants épiques ; épopées ; chants accompagnant les jeux ; chants de fables…).
Ces changements concernent l’ensemble des types d’établissements du système éducatif, y compris le privé, même si des tentatives de création et de gestion d’écoles de formation dans ce secteur n’ont jusqu’ici pas connu une pérennité.
Pour ce qui est de la formation professionnelle et technique, l’adoption et l’évolution institutionnelles post conservatoire de Dakar (1948), se feront successivement au sein de l’Ecole des Arts du Sénégal (1960 – 1972) ; l’Institut national des Arts (1972 – 1979); le Conservatoire de Musique de Danse et d’Art Dramatique (1972-1995) ; l’Ecole nationale des Arts (1995-2022) et l’Ecole nationale de arts et métiers de la culture (depuis 2022).
Les premières reformes didactiques dans la formation professionnelle auront lieu en 1960, avec l’ouverture d’une division de musique traditionnelle. A partir de 1972, l’Institut national des Arts (I.N.A) poursuivra les enseignements du balafon et de la kora. Cet instrument disposera d’une première méthode établie par Anumu Petro Santos, professeur et chercheur. L’INA initiera aussi la formation de la première promotion d’élèves-professeurs (1972-1976), constituée d’un apprenant. Cet Institut aura été le symbole d’une expérimentation pionnière de la didactique de la musique traditionnelle, et l’entame d’une transition entre représentants de la tradition pédagogique de la musique savante (équipe du Conservatoire 1946 ; personnel enseignant local et assistance technique française, russe, belge, japonaise, sud-coréenne…)
Toute cette orientation découlait de quatre principales préoccupations socioculturelles (Sylla 2006 : 100) :
- Éviter le déracinement culturel et le déchirement consécutifs à l’expatriation en Europe ;
- Faire accéder un plus grand nombre de jeunes sénégalais à ce type de formation ;
- prendre en compte et intégrer les données culturelles nationales dans les programmes d’enseignement ; donc africanisation et sénégalisation de la formation artistique, non seulement dans ses contenus et ses méthodes, mais également par ses personnels enseignants ;
- Faire advenir des arts sénégalais modernes : peinture, sculpture et architecture notamment.
Didactiques et avenir
Le processus d’intégration institutionnelle et scolaire de l’éducation musicale au Sénégal découle d’un concept culturel noble qui participait à établir des traits de sensibilité, et de goût citoyens pour l’art musical local et universel. Comme dans la quasi-totalité des Etats d’Afrique subsaharienne historiquement de tradition orale, ce concept projette la cohabitation entre l’empirisme de l’oralité naturelle des musiques traditionnelles et le formalisme de l’éducation musicale écrite.
Au constat pratique, cette formalisation de l’éducation musicale s’est illustrée surtout via un rapport visuel et cognitif avec le matériau sonore. La proportion du signe graphique de la musique, qu’il soit lu ou écrit, ayant été la plus représentée dans le processus d’apprentissage que celle du contact direct avec le son.
Mais cet argument repose sur une analyse de perspectives culturelles. Car, d’un point de vue technique, les méthodes d’apprentissage oral ne signifient pas forcement traditionnelles. Pour preuve, l’essence même de la musique (le son) étant un phénomène ineffable et principalement destiné au sens auditif, il va de soi que l’éducation musicale populaire comme la formation essentielle du musicien restent et demeurent dans le rapport le plus harmonieux avec le matériau sonore (œuvres sonores, voix et/ou instrument). Une formation « moderne » et surtout technique rendraient cet objectif non atteint. C’est sans doute la compréhension de cette réalité qui motive des méthodes et écoles pédagogiques à succès (Suzuki ; Berklee ;Orff ; Martenot…)
Aussi, pour d’autres raisons de l’ordre notamment de l’urbanité, de ses externalités sur la culture musicale traditionnelles et ses formes d’éducation ; de statistiques (goût et niveaux de culture musicale populaire, couverture territoriale non effective dans la pratique de l’éducation formelle) ; de capacités (application effective de textes et moyens d’opération didactiques tant bien formel que non formel) et de structurations, il y a à poursuivre une recherche appliquée sur le concept de symbiose entre l’éducation musicale non formelle et celle formelle du Sénégal.
Sources
- Abbé Boilat, D. Esquisses sénégalaises, Paris, P. Bertrand, 1853, 500 p.; réédité en 1984 par Karthala, avec une introduction d’Abdoulaye Bara Diop.
- Bangoura, B. La musique dans le systéme educatif sénégalais, memoire de fin d’etudes, ENA, 2000.
- Benoist (de) R. Histoire de l’eglise catholique au Sénégal – du milieu du XVe siècle à l’aube du troisiéme millionaire, Clairafrique – Karthala, 2008.
- Brigaud, F. et Vast, J. Saint-Louis du Sénégal – ville aux mille visages, Editions Clairafrique – Dakar 1987
- Commission nationale d’Education musicale, Programmes du cycle moyen et du cycle secondaire, CNEM 2013.
- Gouané, M. La gazette e Saint-Louis, lettre d’information mensuelle du syndicat d’initiative, No 56, Mai 2012.
- Gueye, M. A. L’histoire des societes signares et femmes gourmettes au Sénégal, Editions Maguilen, 2009.
- Kete, Antoine et Antonin, Divers entretiens, entre 1996 et 2015.
- Mazzoleni, F. Afro Pop – l’âge d’or des grands orchestres africains, Le Cator astral, 2011
- Ouzon, G. (le), Pierre Tacher, Saint-Louis du Sénégal et sa region 1908-1925, Album photographique, L’Agneau carnivore 2011
- Sadji, A. Troisiéme edition 1988. Nini mulâtresse du Sénégal. Editions Presence Africaine, 1988.
- Samba, P. Musique sénégalaise, Editions Vives voix, 2014).
- Seck, B. Divers entretiens entre 2008 et 2022
- Sylla, A. L’esthetique de Senghor, Editions feu de brousse, 2006
- Traoré A. Entretiens, Fevrier 2004.
Les précédentes parties du focus :
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