Kwacoco Bible : le gourmet avant-gardiste de Joyce Babatunde
En provenance d'une galaxie étrange, la chanteuse camerounaise Joyce Babatunde nous invite à explorer un univers où le mystère et l'évidence se fondent harmonieusement. Son tout premier album de 12 titres, Kwacoco Bible, aiguise notre curiosité. Et si nous savourions ce voyage ensemble ?
Une introduction cosmique
« Dans le cosmos depuis Bamenda », cette conclusion intrigante dès l'introduction intitulée « Simone Simone » nous transporte dans une boucle à la fois spatiale et temporelle. La chanteuse anglophone originaire de la région du Nord-Ouest du Cameroun nous offre un regard futuriste pour deux raisons. Tout d'abord, « Simone Simone » évoque deux icônes mondiales de la musique : Eunice Kathleen Waymon, mieux connue sous le nom de Nina Simone, la célèbre arrangeuse, pianiste et compositrice américaine de jazz, décédée à l'âge de 70 ans, qui a laissé sa marque avec des titres tels que « Blackbird » et « Four Women ». Ensuite, sa fille, Lisa Simone, a suivi ses traces en lançant sa carrière musicale en 2014 avec l'album « All is Well ».
Dans cette introduction de 2 minutes et 6 secondes, où la chanteuse Joyce Babatunde apparaît masquée à la manière d'un astronaute, on ressent une touche d'Erykah Badu, la chanteuse américaine née à Dallas, Texas, dont l'identité musicale était à la fois complexe et originale, tout en incarnant un personnage excentrique.
Joyce incarne ce brin de folie qui confirme qu'elle est bel et bien Joyce Babatunde, quelque chose de tout à fait spécial qui lui est propre. « Simone Simone » reflète également une harmonie acoustique finement élaborée. Les ingrédients de ce plat traditionnel camerounais, le Kwacoco Bible, sont transposés au sein de cet album, qui dégage l'arôme d'un mélange subtil, une invitation au partage, un cocktail musical pour le plaisir et l'éveil des mélomanes.
« Henspiration pour la pochette »
L'artwork de l'album est incroyablement évocateur. Entre les couleurs, telles que le rouge (amour), le vert des feuillages de bananiers (vie, espérance, créativité), le marron (naturel), et le blanc (simplicité), on découvre une multitude de symboles. Ces éléments sont tous liés à la Kwacoco Bible (La Bible du Kwacoco en français), que l'auditeur s'apprête à déguster. Derrière cette pochette se cache une série de circonstances amusantes. Lors d'un tournage, les appareils photo de certains étaient déchargés. Le manager, Joliet Christian Nkem, a donc utilisé le smartphone d'un des créatifs Hen's pour les prises de vue. La couverture officielle a finalement été choisie par Hen's (un artiste camerounais aux multiples talents) parmi de nombreuses photos, ce qui a abouti à un choix inattendu mais percutant. Plus tard, cette image a été sublimée par Elvis Biya. Le résultat est maintenant bien connu.
Un voyage temporel
Le premier titre, « Just Like That », qui ouvre l'album, donne le ton. On y retrouve la formule qui caractérise Joyce Babatunde : une pop moderne, douce et simple avec de fortes influences des années 2000. La chanson raconte la naissance d'un amour improbable au départ, issu d'une amitié durable. Elle offre une expérience musicale plus classique, appréciée par le grand public.
Avec un démarrage de guitare rock et des touches de trompette et de saxophone, « For Before For Back » donne de la puissance à l'album, avec une ambiance très spirituelle. Entre la soul et l'afrobeats, c'est une piste énergique. Ce qui rend cela encore plus passionnant, c'est le changement de rythme soudain avec « Baby Dit It 2 » (la suite du volume 1 sorti en 2019). Cette chanson rappelle le style de Lauryn Hill, avec des éléments de RnB et de rap, et elle se termine de manière inattendue, évoquant les symphonies de Beyoncé dans « Partition » (2014).
Joyce Babatunde passe aisément d'un registre à l'autre avec générosité et intuition. Les notes de piano de Brice Essomba (claviers) et l'apport magique de Dijay Karl & Benjamin Bossambo (guitare) dans « Canaan » (piste 5) nous emmènent dans une quête vers une terre promise. Dans le récit biblique, Canaan désigne la Terre promise par Dieu (Yahweh) à Abraham. Aujourd'hui, cela désigne la région entre la mer Méditerranée et le Jourdain, avant la conquête par Josué et les tribus d'Israël sorties d'Égypte. Pour Joyce, chaque individu a son propre « Canaan », son but ultime à atteindre. La couleur de cette chanson change avec le Njang, une danse originaire de la région du Nord-Ouest du Cameroun.
« Baba », produit par Ben Bossambo, avec ses riffs de guitare reconnaissables, est un morceau très apprécié du public. Il s'agit d'ailleurs du premier extrait de l'album dévoilé en août 2022.
« Citoyens de Nulle Part » est une claque émotionnelle car elle aborde de manière franche la crise anglophone. Les régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun sont en proie à un conflit armé depuis janvier 2017, exposant les populations à toutes sortes d'atrocités et forçant de nombreuses familles à fuir vers les villes. Avec ce slam, Joyce décrit sans détour la réalité quotidienne de ses compatriotes. «(...) Les citoyens de nulle part, Ni d'ici, ni de là-bas. Nous ne sommes que des herbes prises au milieu d'un combat féroce, entre deux éléphants qui se battent, Et c'est nous qui subissons leur rage ! La souffrance et le sang, ce sont les couleurs de notre drapeau, Oh Cameroun ! Mon berceau, aujourd'hui mon tombeau (...)», chante-t-elle.
« D'où tu vas, sache que j'irai aussi, Qui tu es, c'est la vie, donc là où tu seras, je serai, Comme 'dodoki dodo', tu as mon âme, donc je ne suis jamais seul quand je suis avec toi, tu as mon cœur et mon être.»
Avec « Home », Joyce rappelle que malgré son exploration de divers styles musicaux qui l'inspirent, elle reste une conteuse et démontre ses talents de rappeuse sur « Bikom », où ses paroles s'alignent parfaitement avec l'egotrip.
« Les petits ont un grand problème, Maintenant, je brille comme le soleil quand ils m'appellent Ngannou.»
« Wildfire" et « Find Your Way » reflètent également l'ambiance musicale générale de l'album. La première moitié de « Wildfire » est dominée par la guitare, le piano et la voix, avant de basculer soudainement vers un son électro, funk, Njang, Assamba et Nkom. L'ensemble de l'album nous emmène dans un voyage entre ces contradictions, toujours porté par la voix travaillée, brute et aiguë de Joyce, ainsi que des rythmes parfois rétro, flirtant parfois avec le burlesque, comme on peut l'entendre sur « Find Your Way ».
En guise de conclusion avec « Times 2 », on a l'impression d'être assis aux côtés de la chanteuse, une guitare à la main, écoutant Kwacoco Bible de près. Cette proximité devient encore plus palpable dans « Home », car elle se livre vraiment, partage presque ses blessures, ses espoirs, le tout sur une production qui a nécessité l'apport de quatre producteurs talentueux : Julien Epouhe alias PAP, Ben Bossambo, Dijay Karl et Guardian Nshukwi.
La dernière piste ressemble à une douce caresse à la manière d'Alicia Keys, nous mettant dans un état d'esprit parfait pour écouter un ami se confier. La présence de l'artiste est encore plus marquée, car les paroles semblent être empreintes de vérité et de sincérité. Cette atmosphère qui imprègne toutes les chansons crée naturellement un désir de poursuivre l'écoute, comme si on était à la recherche d'une nouvelle anecdote pour mieux comprendre le personnage.
Kwacoco Bible mérite pleinement son nom, car il comble les attentes forgées dans notre impatience, et se positionne comme un reflet de nos vies. Offrant un confort d'écoute digne des plus grands, avec des mixages et des mastering approfondis, l'album de Joyce Babatunde répond aux normes du marché mondial, même dans une industrie musicale saturée. Avec son authenticité, son confort auditif et son introspection, je donne à cet album un 10/10 pour son audace sincère. Je vous le recommande chaudement, bon appétit musical !
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