Le Cameroun d’abord 2 : la maturité instinctive de Xzafrane
Clair comme de l’eau de roche dans son discours. Authentique comme à son habitude. Naviguant entre rap conscient et sages polyrythmies, le dernier disque de Xzafrane « Le Cameroun d'abord 2 » ans sorti le 26 Novembre 2023, offre une synthèse intéressante d’une recette qui ne cesse de s’aiguiser. Retour sur un disque d'un soldat du micro en pleine tournée nationale en 2024, qui nous plonge en apnée, dans un univers extrêmement militant, où l'appel à l'engagement et le vécu ont été préférés aux faux-semblants.
Lorsqu’on parle de la génération camerounaise contemporaine et qui impacte, on a souvent tendance à nommer quasi instantanément Bantou Possi, X-Maleya, Krotal, Boudor, Roggy Stentor, Valsero, entre autres (ils sont nombreux). Néanmoins il serait préjudiciable de les oublier tant ils ont œuvré pour cette scène depuis maintenant plusieurs années, sans pour autant prendre toute la lumière et les fleurs qu’ils méritent: Xzafrane fait parti de ces artistes. Humble, passionné, et extraverti, il conduit une pirogue dont la pagaie est suffisamment aiguisée pour ne pas tomber dans les courants de nos fleuves moins tranquilles.
L'album lui, est sorti à moins de 24 mois de la Présidentielle camerounaise qui se jouera en Octobre 2025. Si cette date charnière est évoquée, c'est parce que cet album dessine ce que devrait être le Cameroun de demain. Dans une société en pleine mutations, et où la distraction, les contenus pornophoniques, les faits divers ont pris le pas sur les sujets importants, pour Xzafrane, il faut marquer le pas du changement. Le Cameroun d'abord 2 est de prime, une philosophie, un état d'esprit, un appel au changement de comportement.
Autopsie d’un pays
L’album commence par un sample du classique « Sikati » de Talla André Marie, extrait de son album éponyme Hot Koki (sorti en 1975) qui lui vaudra sa reconnaissance internationale. Si le Christian Abessolo de son vrai nom fait ce choix, ce n’est pas le fait du hasard. A la fois une preuve d’honneur, mais un rappel à la conservation mémorielle musicale : Se servir du passé pour arriver au sommet. Dès le départ le ton est donné sur un beat jeté par Ndongo Beats (qui a travaillé avec Danielle Eog). D’ailleurs qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ? « Allume ton cerveau pour mieux kiffer le son, le malheur du peuple fait le bonheur des hommes politiques, c’est l’enfer des pauvres qui construit le paradis des riches (…) C’est notre silence qui rend la pratique du mal prolifique » souligne t-il à l’entame du premier titre « Intronisation ».
Dans « Force », saupoudré par LaRoche, Xzafrane fait un dessin cru de l’écosystème musical camerounais en ce qui concerne les artistes et les créatifs par extension. Entre dénonciations de maux, de la course au buzz, diffusion de sextapes, il regrette le mal être qui se cache derrière les publications numériques et les souffrances silencieuses. « Les plus jeunes ont du talent mais comment les encadrer ? La plupart sont occupés à compte de Likes et à snapper. Si je te parle de droits d’auteurs, je crois que tu vas te suicider. Y’a-t-il un avenir pour l’art au pays du RDPC ? Notre musique agonise, le malaise est profond. Nos stars souffrent en douceur ne te fie pas aux belles photos. » Il recommande les valeurs du partage, de solidarité, se donner de la force.
L’artiste n’hésite pas à faire une passerelle phonographique entre le hip-pop/Rap et les polyphonies de l’Ouest-Cameroun. En effet, « Manger Ensemble » featuring Kareyce Fotso, est conforme à ce que le rappeur nous a montré juste avant la sortie, cet album déroule ses schémas de rimes alambiqués et ses placements habiles avec une grande facilité, sur des productions feutrées. Le message est à la fois sincère et authentique : Casser les « tribus » de la négativité et encourager un Cameroun meilleur. Dans « Rien faire », masterisé par Julien Epouhe (PAP, qui a travaillé notamment sur l’album KwacocoBible de Joyce Babatunde en 2023) l’artiste exprime le danger de la passivité, même si le bonheur est souvent dans les choses simples. Ce titre est sublimé à la fin par une voix féminine exceptionnelle. Sur « Les problèmes », Xzafrane a fait appel à Mr Léo, Russel Beatz (production), et Vladimir Le Doigté Magique (Mixage et mastering) un appel à décompresser car les soucis de la vie ne finissent pas, avec une ambiance déjantée amapiano et coupé-décalé.
Plaidoyer pour Cameroun meilleur
Il offre ensuite un morceau solo « Quand on va Joss » qui parle des sujets d’actualité, des détournements de fonds publics survenus lors du Covid-19 au Cameroun, la grogne des enseignants qui perdure depuis 2021, la hausse des prix du carburant et par ricochet les produits de première nécessité qui empêchent de remplir le panier de la ménagère entre autres. Le rappeur met sur la balance, la fragilité avec laquelle toute dénonciation en ce sens, casse la valeur de la liberté d’expression et met en danger l’auteur de tels actes pourtant salutaires. Dans le visualiser, Xzafrane est menotté, yeux bandés en tenue de prisonnier, une symbolique puissante.
L’instrumental non agressif sur « Le Chemin » avec la voix suave de Sandrine Nnanga contraste d’ailleurs fortement avec le reste du projet qui se veut bien plus doux et aérien. La pertinence de cette chanson qui me rappelle Kayna Samet sur « écorchée vive » (2005). Sur cette septième piste, Xzafrane parle de l’importance de se relever après une chute, et surtout pour une thématique actuelle : L’immigration pour pouvoir réussir, mais comme le dit les deux compositeurs, « le chemin est encore long, car ce qu’on vise c’est le sommet ».
En marge, « Minguili » (featuring LeRoy Tsala) marque ensuite une vraie rupture et continuité dans le disque, en étant le début d’une partie plus chaleureuse. Des mélodies ensoleillées, des basses bien rondes : les productions possèdent un groove imparable faisant du Cameroun d’abord 2 un album parfait pour rider en voiture et prendre conscience, via une édifiante introspection. L’auteur demande de la concentration, pour ne pas se laisser berner dans « Distractions » sous des polyphonies hip-pop et afrobeats.
Avec un flow ultra laid-back, Xzafrane en profite alors pour rappeler de temps à autre ses talents de topliner sur des productions aux influences en majorité françaises ou californiennes, pour ne pas dire panachées sur « Nos Yeux » par exemple, en duo avec la slameuse et chanteuse Lydol. Cette pose phonographique fait remonter des souvenirs agréables à la Kery James, La Fouine, ou encore Grand Corps Malade. Il s’agit de la troisième plus belle chanson de l’album.
Ce parti pris incisif, n’a pas eu pour conséquence de laisser moins de place aux démonstrations techniques du rappeur camerounais, bien au contraire. Exit donc les accélérations brusques comme sur le deuxième couplet de « La vie coute chère », les refrains galvanisants, les productions trap survoltées de « Cerveau » accompagné par la chanteuse Mimie, ou encore les empilements de références de « Tchombé » sur des influences Njang et Bikutsi. L’artiste aère davantage ses textes, pour mettre en avant leur sens, quitte à être moins impressionnant techniquement.
Le producteur ne perd pas pour autant toutes ses qualités de rappeur. Il montre encore régulièrement quel excellent rimeur il est, en particulier au début & fin du projet ainsi que sur la production scintillante de « Troisième République » aux couleurs mandingue et sahéliennes (en featuring avec Désiré Volkan), et distille un certain nombre de punchlines et paraphrases ingénieuses dont il a le secret, en mettant sur le sol, la mal-gouvernance au Cameroun.
Le rappeur profite également du format album pour proposer de nouveaux concepts de morceaux, lui qui était la plupart du temps dans une logique de performance-militante uniquement. De ce point de vue-là, « L’heure de vérité » est une vraie réussite : pour faire représenter la nouvelle génération, il fait appel à Styfler90, King Arthur, Tim Kayzer, Sojip et Elmeko. Faire un morceau de ce style aurait pu être périlleux, mais Xzafrane s’en sort remarquablement bien grâce à son style et à une production de haute volée.
« Le dossier Cameroun a disparu dans le bureau de Dieu »
Le natif de Mbalmayo (région du Centre-Cameroun) réitère également l’exercice du storytelling sur « Ding Ding » version dancehall et rap, chose qu’il avait déjà réalisée sur Le Cameroun Volume 1. Heureusement, une instrumentale énergique lui permet d’en faire un morceau réellement marquant. En revanche, les interludes « Thor » enjolivé avec du saxophone (avec les artistes ivoirien et gabonais Defty et Rodzeng) et « Force » Remix (Ft. Black Ambaz, Aliena, Venum, K-Bill, Viney Dancam, Tonton Boudor) rendent le disque encore plus cohérent.
Cette homogénéité se traduit jusqu’à la fin de l’album avec l’outro « Encore des gens » (ft Marty Danak présent sur le volume 1). Là où il avait choisi l’introspection sur « Nouvelle Afrique » (ft Sultan Oshimin et Didier Awadi) avec un sample de Charlotte Dipanda, il opte pour une démarche audacieuse. Avec une utilisation importante de l’anaphore, figure de style consistant à répéter le même mot ou groupe de mots au début de chaque phrase, il prêche pour un avenir meilleur et interpelle les autorités. Ce choix de réaliser une outro toute en émotion retenue, (acoustique) apparaît pertinent puisque correspondant très bien à la personnalité du rappeur.
Conclusion
L’atmosphère lumineuse en fait un album assez rap conscient, et sa sortie peut même paraître un peu prématurée. On peut en effet imaginer que le disque s’appréciera encore mieux au début des beaux jours, mais cet élément lui permettra aussi de vivre plus longtemps et d’accompagner les auditeurs durant une grande partie des deux prochaines années.
Au-delà de ça, le casting, la qualité et la richesse des productions concoctées majoritairement par Darko’s, Russel, Laroche, entre autres, ainsi que le sens de la formule toujours aussi aiguisé de Xzafrane seront à coup sûr des éléments qui prendront de plus en plus d’épaisseur sur le long terme. Ils pousseront donc à relancer le projet encore et encore, pour y découvrir différents détails à chaque nouvelle écoute. En plus, la tournée nationale engagée entre la fin d’année 2023 et début 2024, redonnent une certaine vitalité.
Les plus perfectionnistes pourront en revanche regretter que les pures démonstrations de technique et d’énergie se fassent plus rares. Pour toutes ces raisons, Le Cameroun d’abord 2 s’impose comme un très bon troisième album : projet le mieux produit de son auteur, sa direction artistique (Jas B, Charly Despote, Fabrice Ngok, Aldrick Essouma, Ebode Nanga, Dark’Os pour ne citer que ceux là) pas exempte de tout défaut, a le mérite de donner une véritable unité au disque en représentant parfaitement l’univers qu’il défend.
Artiste : Xzafrane
Année : 2024
Label : AFAM Company
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