Reddy Amisi : « le secret de ma longévité... »
Avec un peu plus de quatre décennies dans l’industrie de la musique, Reddy Amisi est l'un des grands noms de la rumba congolaise. Auteur et compositeur prolifique avec une dizaine d'albums à son actif, il a récemment accordé une interview à notre rédaction pour discuter de son parcours exceptionnel et de ses réalisations. Interview.
Bonjour Reddy Amisi ! Vous avez récemment célébré vos 40 ans de carrière, ce qui est remarquable dans l’industrie de la musique. Quel bilan tirez-vous de ces 4 décennies et surtout, quel sentiment cela vous procure ?
Bonjour Patricia ! C’est avec une immense joie et un profond sentiment d’accomplissement que je regarde le chemin parcouru. J'ai débuté ma carrière avec plusieurs amis, et voir qu'après 40 ans, je suis toujours présent alors que beaucoup n’ont pas eu cette longévité me remplit de fierté. J'ai eu la chance de réaliser plus de 12 albums, un exploit dont je pense être l’un des rares membres de notre groupe, Viva La Musica, à pouvoir se vanter. Jamais je n'aurais imaginé que ce jeune homme des années 80 célébrerait un jour 40 ans de carrière. C'est pourquoi j'avais proposé à mon équipe d'organiser une grande tournée anniversaire, pour rencontrer mes fans à travers la RDC, l'Afrique et l'Europe. Je profite également de cette occasion pour annoncer que, dans le cadre de cette tournée, je me produirai au mois de novembre au Bataclan, la salle mythique parisienne. J'espère annoncer dans un futur proche d'autres dates.
En résumé, je suis très heureux de célébrer ces 40 années de carrière, et je peux dire que le bilan de ces quatre décennies est largement positif.
Vous avez forgé votre carrière au sein de l’orchestre Viva La Musique de Papa Wemba où vous êtes resté pendant de nombreuses années (1982-2000). Quelles leçons précieuses avez-vous tirées de cette expérience et comment ont-elles façonné et soutenu votre parcours professionnel par la suite ?
Les leçons que j'ai apprises se reflètent véritablement dans tout ce que je fais aujourd'hui. J'ai énormément appris, mais j'ai également beaucoup contribué. J'ai découvert l'amour du travail, la ténacité, et comment faire face aux situations difficiles. En effet, en 40 ans de carrière, tout n’a pas toujours été facile. Beaucoup voient ma longue carrière et pensent que tout a été rose, mais c'est loin d'être le cas. J'ai traversé des périodes difficiles, comme la recherche de nouveaux producteurs ou de moyens financiers pour enregistrer un album, et j'ai dû apprendre sur le tas les notions de l'industrie musicale telles que la coproduction ou la répartition des pourcentages sur les ventes d'albums.
Je pense aussi aux nombreux conflits entre les membres de l'orchestre, qu'il s'agisse de conflits de personnalités ou de jalousies. Lorsque vous regardez l'histoire de Viva La Musica, vous constaterez que beaucoup de chanteurs ont successivement quitté le groupe pour créer leurs propres orchestres pour ces raisons. Je pense, par exemple, à Victoria Eleyson de King Kester Emeneya, à Djuna Djanana, et d'autres. Je suis resté dans le groupe pendant des années non pas parce que c'était facile tous les jours, mais parce que j'avais soif d'apprendre. C'est pourquoi j'ai choisi de rester longtemps aux côtés de Papa Wemba, que je considère comme mon mentor.
Vous venez de mentionner Papa Wemba avec qui vous avez collaboré pendant de nombreuses années. Quels souvenirs gardez-vous de votre longue collaboration avec celui qui vous a affectueusement surnommé « Bailo Canto » ? Avez-vous des souvenirs ou des anecdotes particulières qui vous reviennent à l’esprit lorsque vous pensez à lui ?
Je garde évidemment de nombreux souvenirs de Papa Wemba. Je me souviens de la première fois où je l’ai rencontré. Il m’a dit en lingala : « Petit frère, le peu que je te donnerai, fais toujours en sorte de t’organiser avec. » Il m’a dit cela car il avait la réputation de ne pas bien payer ses musiciens. Une autre anecdote amusante qui me revient à l’esprit, c’est lors de notre tournée au Canada. À notre arrivée, sa valise a été volée. Il s'est donc retrouvé sans ses habits de scène, ces vêtements de marque pour lesquels il était connu. Il m’a alors appelé pour me demander de lui prêter ma valise afin qu'il puisse emprunter quelques tenues pour le concert (rires) !
Plus sérieusement, je garde le souvenir de quelqu’un qui m’a toujours encouragé à ignorer les critiques, à surmonter les tensions au sein du groupe et à travailler dur. Ce sont ces conseils que j’ai gardés avec moi toutes ces années et qui m’ont inspiré pour ma chanson « Prudence ».
Douze ans se sont écoulés entre votre dernier et l’avant-dernier album. Pourquoi avoir fait une pause si longue et qu’est-ce qui vous a motivé à reprendre le chemin des studios ?
Il n’y avait pas vraiment de raison particulière. J’avais décidé de faire une pause parce que j’avais besoin de me reposer. J’estimais avoir beaucoup travaillé et que c’était le moment de me ressourcer. À l’époque, je sortais des albums presque chaque année ou tous les deux ans, et j’avais vraiment besoin de faire un break. C’était aussi la période où les albums ne se vendaient plus vraiment. L’industrie de la musique était en pleine mutation. Les disques physiques disparaissaient peu à peu, et nous passions à une nouvelle ère technologique. J’ai donc trouvé que c’était le moment opportun de faire une pause bien méritée. La musique, c’est mon travail et ma passion, et cela commençait à me manquer. C’est donc naturellement par amour pour le travail et la musique que j’ai repris le chemin des studios.
Depuis plusieurs années, vous militez pour l’amélioration des structures de redevances et la protection des œuvres musicales des artistes congolais. En 2018, vous avez appelez à la mise en place d’une « commission devant recenser le nombre exact d’institutions qui utilisent les œuvres musicales des artistes congolais, afin d’imposer une redevance adéquate ». La situation s’est améliorée aujourd’hui ? Votre appel a-t-il été entendu ?
Je constate qu'il y a eu quelques améliorations. Par exemple, avant, la Socoda payait les artistes sans fournir de feuillets justificatifs. Ils nous versaient simplement une somme sans préciser de quel album ou chanson provenait ce paiement, ce qui me semblait peu professionnel. En revanche, en France, chaque paiement est accompagné d’un feuillet détaillant l’origine, c’est-à-dire le pays d’où provient le paiement, par exemple le Canada, l’Australie, etc. Cela permet de savoir que, si tu te produis au Sénégal, le public aime particulièrement la chanson "Libala".
Néanmoins, je constate quelques progrès. Par exemple, la Socoda a récemment commencé à inclure ces feuillets justificatifs avec les paiements. Maintenant, c'est à nous, artistes, d'être proactifs et de proposer des solutions concrètes. Avec la nouvelle ministre de la Culture, nous allons demander une audience pour lui proposer des actions concrètes et voir comment nous pouvons, ensemble, améliorer la situation des artistes congolais.
C’est vraiment dommage que beaucoup d’artistes congolais meurent pauvres, alors qu'ils ont produit beaucoup d'œuvres tout au long de leur vie. Beaucoup de nos compatriotes se demandent comment et pourquoi des chanteurs en Europe peuvent devenir millionnaires avec un seul album. J'ai douze albums, et pourtant, je ne suis pas millionnaire. C’est parce que le système au Congo ne nous permet pas de vivre correctement de notre art. Imaginez le nombre de bars, de boîtes de nuit, de chaînes de télé et de radios qui jouent notre musique quotidiennement. Si le système de redevances fonctionnait correctement, de nombreux artistes pourraient vivre confortablement, voire devenir millionnaires, grâce à leur art.
C’est toujours triste que, lorsqu’un artiste meurt ou est malade, il faille faire des appels aux dons ou à la générosité des autorités. Si la Socoda faisait correctement son travail, ce genre de situation n’existerait pas. Il y a donc quelques avancées, mais le combat continue et beaucoup reste à faire.
Lorsqu’on évoque votre nom, les thèmes de persévérance, de courage et de détermination reviennent souvent. Pour beaucoup, cela vous distingue des autres chanteurs de rumba, qui se concentrent généralement sur les relations amoureuses. Pourquoi ces thèmes sont-ils récurrents dans vos chansons et sont-ils presque devenus votre signature ?
C’est vraiment simple. Depuis mon jeune âge, j’ai toujours aimé la musique et admiré les musiciens. J’ai passé beaucoup de temps à étudier la musique et j’ai remarqué que de nombreux artistes ne prêtent pas attention aux paroles ni aux thèmes de leurs chansons. En analysant cela de plus près, je me suis rendu compte que peu de chanteurs savent écrire leurs propres paroles et font souvent appel à des paroliers externes. Selon moi, un parolier ne peut pas toujours capturer et transmettre l’essence de votre pensée. J’ai toujours pensé qu’être artiste, c’est avoir une plateforme pour faire passer des messages à la société, au même titre qu’un parlementaire par exemple. J’ai donc décidé assez tôt dans ma carrière d’utiliser la plateforme que m’offrait la musique pour écrire et composer moi-même mes chansons, afin de transmettre des messages qui me tenaient à cœur.
Surtout qu’en Afrique, il y a énormément de préjugés concernant les artistes. Le public pense souvent que nous sommes des vauriens, des gens qui ne réfléchissent pas, qui ne font que boire et fumer, etc. J’ai donc décidé de me démarquer tôt dans ma carrière en abordant des thèmes qui préoccupent la société, qui sensibilisent, qui font réfléchir et surtout, qui me valorisent en tant qu’artiste. Par exemple, j’aborde cela dans la chanson « Bomengo ata kala », où je parle de l’expérience des jeunes Congolais qui immigrent en Europe et qui, une fois sur place, ne font pas grand-chose. Contrairement à cela, j’insiste sur le fait que je suis allé en Europe pour me cultiver, apprendre et ensuite appliquer ce que j’y ai appris dans mon pays.
Je ne voulais pas faire partie de ces chanteurs qui parlent d’amour à longueur de journée et que le public considère comme dénués de profondeur ! C’est pourquoi j’ai choisi d’incorporer de la sagesse dans mes chansons.
Quel regard portez-vous sur la scène musicale congolaise actuelle, qui semble en perte de vitesse par rapport à des musiques telles que l’Afrobeats ou l’Amapiano. Pour conclure, quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes artistes congolais d’aujourd’hui pour redonner à la rumba congolaise sa gloire d’antan ?
Effectivement, notre musique, notre rumba, perd son authenticité. Il est crucial de préserver l’identité de notre musique. Les jeunes sont souvent attirés par la facilité et les tendances du moment, mais ils manquent parfois de repères. Notre musique a une forte authenticité, et je lance un appel aux jeunes artistes congolais pour qu'ils préservent l'essence de notre rumba, qui est une musique puissante et appréciée dans le monde entier. Beaucoup ne connaissent plus les bases de la rumba, et je les encourage à se tourner vers leurs aînés, comme moi, pour apprendre et se faire encadrer. Cependant, je ne peux pas aller vers eux avec des conseils non sollicités, car cela pourrait être mal interprété et perçu comme prétentieux.
Chaque génération apporte son propre apport et sa contribution. Cependant, un autre constat est que les jeunes d’aujourd’hui cherchent souvent le succès facile et les tubes de l'été, en se souciant peu des thèmes de leurs chansons. Le problème avec cette approche est qu’on peut facilement tomber dans l’oubli après 2-3 hits à succès. S’inspirer des tendances n’est pas mauvais en soi, mais il est essentiel de travailler dur, d'apprendre les bases de la musique et de viser la longévité. Pour répondre à votre question, le conseil que je peux donner, et que j’ai moi-même suivi tout au long de ma carrière, est de rester authentique et diversifié dans les thèmes abordés. C'est, à mon avis, ce qui rend ma musique intemporelle et m’a permis de traverser plusieurs générations.
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