Lil Wong : Princess Vinia conjugue le patrimoine en symphonies
L’artiste camerounaise pratique la musique comme un art ancestral. Tout à la fois péché mignon, plaisir baroque et œuvre d'élévation, Lil Wong est une carte postale folklorique dévoilée le 23 Aout 2024, qui vaut le détour.
De sa voix imposante, la chanteuse ouvre son disque avec « Barbasin », un titre accompagné d’une sonnaille, un instrument de musique traditionnelle utilisé dans la région du Nord-Ouest, et des Grassfields en général. Arrangé par Gofa Beats, la chanson est un hymne à la patrie, saupoudré d’une guitare et des clochettes aisément posées.
On pénètre, dès les premières secondes de « Kidze Feh », de plain-pied dans la musique. Tous les instruments déboulent en même temps ou presque, enflent et déferlent telle une vague, avancent en un bloc d’énergie pure qui emplit tout l’espace, gomme l’horizon, efface les perspectives, interdit le hors-champ. Il n’y a plus qu’elle: le son ample, puissant et foisonnant des chœurs, à l’esthétique de ruines et aux formats explosés.
Le troisième titre « Nyang Wang », qu’augurent cependant les ambiances minées dont Vinia a le génie, ces boucles à la dérive et ces synthés à l’agonie, le confirme net: l’heure n’est plus à l’affliction. Tandis que des chœurs élégiaques la soutiennent et qu’un cor d’harmonie élève ses notes célestes. « Tumangang », premier chef-d’œuvre du mini-album, synthétise le propos général de Lil Wong: dans la noirceur se nichent finalement des lueurs de notre richesse patrimoniale.
La joie selon l’auteure naît de la douleur, surgit en contraste, par jeu d’ombres et de reliefs, tout comme la musique déroulée au long de la dernière piste « Kikongnin », où s’enchevêtrent les ondes malades, fuyantes et liquides chères à Princess Vinia et le corps solide et ciselé.
La jeune artiste s’échappe alors dans de longues et passionnantes pérégrinations guitaristiques, traditionnelles au gré d’un vestimentaire révélateur de ses origines du Nord-Ouest Cameroun. Des grands moments de panache dont les titres sont inspirés de ses coutumes, elle conclue l’affaire dans une formidable orgie de solos psychédéliques, aux valeurs positives, celles du partage et de la renaissance.
Dans un contrepoint dense, l’optimisme lutte avec des chromatismes doloristes et met en fuite les âmes plaintives en langue Nso/Lamnso. Férue de répertoires rares, l’interprète jette ensuite son dévolu sur la musique dantante. Elle souligne avec bonheur l’étrangeté lunaire et l’authenticité des polyphonies folkloriques de sa région natale. Oui, joués ainsi, ils sont bien cette musique grave jusqu’à une sorte d’austérité, mais belle comme la nuit et la solitude, que décrivaient les artistes Lisa Ngwa, Francis Ndom, ou encore Willy Nfor à qui on doit le tube africain « Yeke Yeke » de Mory Kanté.
Dans « Barbasin », sommet du récital, l’intensité douloureuse des gestes de la chanteuse, confère toute sa puissance d’évocation à cette mystique de l’intime. Pour finir, Lil Wong provoquera les vivats du public, sans surprise, tant cette œuvre est intriguante ! Princess Vinia, par une manière de concentration implacable, rend cette partition fascinante à sa dimension de rituel cruel. Toutefois, il est dommage de ne pas avoir des lyrics vidéo en français ou en anglais, pour mieux faire comprendre les textes issus de cet EP. Sans doute le label, a voulu garder une certaine authenticité.
Ce disque à l’ADN rare en 2024, nous invite à un tout autre voyage. La vitalité, l’inventivité, l’audace de plusieurs sonates traditionnelles remarquablement mises en valeur. Ces instruments qui jamais ne pèsent, cette articulation finement acérée, ces compositions si divers d’attaques, ces nuances jamais forcées, magnifient, traversé d’interrogations, de phrases laissées en suspens.
En deuxième partie, Vinia fait dialoguer les coutumes, les esprits, le cœur, ajoutant une touche de couleur bienvenue. L’interprète a le don de trouver d’inattendues correspondances. Funambule vocale en équilibre entre deux mondes, tissant d’un geste ferme et souple, d’une expression fière et tendre, les fils secrets d’une conversation impromptue, Princess Vinia célèbre avec autant de brio que de goût l’esprit royal, d’un patrimoine à conserver, et d’une humanité à préserver à tout prix.
Artiste: Princess Vinia
Titre : Barbasin
Label / Année : Lionz Muzik - 2024
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