Concert : La magique empreinte de Krys M à Douala
Élégante et généreuse, l’artiste de 29 ans, a dévoilé les notes de son tout premier album Empreinte de 12 titres, au cours d’une soirée survoltée à l’Institut Français du Cameroun, le 9 Novembre 2024. Retour analytique de sa performance dans la ville de tous les excès.
Ambiance pré-concert
Il est 16h33 minutes précises, lorsque j’entre dans la salle de spectacle de l’Institut Français du Cameroun. Se trouve alors aux premières loges, la chanteuse et ses danseurs que je prends la peine de saluer, ainsi que les membres de son équipe à l’image de Willy Mba, en charge des RP. Le concert lui doit commencer dès 19h00. Krys M se trouve alors en pleine balance avec ses musiciens. Derrière moi, se trouvent de nombreux enfants, venus pour la circonstance, sans doute installés par leurs parents à l’avance pour éviter les désagréments de dernière minute. Au fil que les minutes défilent, les choses se précisent. Elle fera alors des tests micro, test sons, lumières également pour préparer l’entrée et toute sa performance. L’un des artistes invités sur son album, viendra lui aussi pour l’exercice. Je remarque une artiste dégagée, qui garde le sourire, et au-delà, une complicité avec sa troupe de danseurs qui l’accompagnera.
Début des hostilités
Aux alentours de 18h00, l’esplanade de l’Institut Français grouille de monde. Les fans et éventuels curieux, venus en masse se trouvent en rang. Près du pas de la porte principale, les gadgets de l’artiste sont présentés et les pass-souvenirs (sacoche contenant l’album CD, un T-shirt, et une boisson) remis aux mélomanes qui en font l’achat. 18h30, la team Krys M sous le regard de l’administration IFC, fait entré le public qui s’installe progressivement. Rapidement, la salle affichera complet, et de nombreuses personnes bloquées à l’extérieur, ne pourront malheureusement pas assister au show.
Face à nous, le grand rideau bordeau est tiré. Puis à 19h10, une voix se mue en host de la soirée, il s’agit d’Eric Amougou qui introduit le comédien camerounais Flenchou. Pendant 16 minutes environ, il donnera du fou rire à l’assistance, histoire de baliser le terrain. A sa suite, une vidéo sera projetée faisant office de l’introduction de l’album Empreinte en moins de 7 minutes. Dans ce court film, le parcours de la compositrice est retracé en 11 années de carrière, depuis le crew Mo Girls, jusqu’à sa carrière solo actuelle.
Il est 19h31 minutes, lorsque sonnera dans la salle un trompettiste d’un autre genre, habillé en tenue traditionnelle de la région de l’Ouest, son instrument aux couleurs du drapeau du Cameroun pour symboliser l’unité. Il fera le tour de la salle comme pour annoncer l’arrivée d’un roi ou d’une régente, en prononçant des mots en langue Baleng, le dialecte d’origine de la chanteuse. Il sera rejoint par un porteur d’une lance de chasse.
Les lumières sont éteintes, la salle plongée dans un noir d’impatience se fige, le public retient son souffle. 19h40 minutes, les rideaux sont levés, une porte dérobée qui symbolise son entrée en scène avec des motifs distinctifs. Krys M fait son apparition, assise sur un escalier blanc de fortune, micro en main, éclairage bleu sombre, fleurs décoratives, toute de noir vêtue : Le public pousse des cris de bonheur !
La chanteuse débute alors sur une note triste. « Je pleure », extrait de son album Empreinte, est le titre avec lequel elle entame son entrée. De sa voix incisive, avec l’usage constant du vibrato (technique de modulation de la voix), la chanteuse mise sur l’émotion. J’ai de la peine à la reconnaître, car elle avait essuyé des critiques légitimes, vis-à-vis de sa prestation jugée décevante en Octobre 2023 à Kigali, (Rwanda) lors des Trace Awards.
C’est une Krys M beaucoup plus assumée, confiante, qui ouvre le bal, qui transpire une nette amélioration.
On est séduit immédiatement par la profondeur des trilles, la finesse de son attaque, la précision des accords de ses musiciens, la dynamique d’un discours d’hommage qui, loin d’être seulement musical, se voit partagé entre l’ardeur et la noblesse de ton, s’imprégnant d’une poésie et d’une sensibilité qui émanent naturellement de cette émouvante instrumentiste : Car oui, Krys M sait jouer à la guitare. « Je pleure » fait une pensée émue à sa mère décédée qui n’a pas la chance de la voir réussir en musique aujourd’hui, et par ricochet à nos proches disparus.
L’orchestre lui emboîte le pas pour cette première partie, avec de superbes sonorités afropop, Essèwè, et caribéennes sur « Coco Love », et l’on louera notamment l’étendue énergique des danseurs du groupe Ébène, et la transparence des textures que Krys M tente d’obtenir en langue française, anglaise et duala. Dans la symphonie qui suit « Want You Back », il se pose dans le même mouvance, deux plaidoyers successifs pour un amour authentique à retrouver.
Juste après ses entractes sentimentaux, c’est bien avec une autre forme d’héroïsme que nous avons rendez-vous ! Cette fois-ci sur la chanson « Le Temps », sous des airs Bendskin et Samali (danse traditionnelle d’animation), qui revêt des messages forts relatifs au pardon et à l’importance du temps que l’on accorde à ceux qui nous sont proches.
L’harmonisation sur « Mayiki » via une tonalité Bikutsi et des guitares très distinctives, traduit d’un certain enthousiasme par une direction de haute tenue, et d’une précision exemplaire. Si la lecture de ce mouvement s’avère particulièrement tranchante, elle sait respirer ensuite dans un « Banger » empreinte de gravité qui annonce la deuxième partie du concert.
Après « Il va donner pour moi » repris en chœur par le public, Krys M souligne ainsi à nouveau le caractère complice et populaire de ses partitions, dans une prestation qui révèle une profondeur étonnante et une parfaite maîtrise des plans sonores.
C’est dans un décor traditionnel et moderne, orné de symboles des chefferies de l’Ouest-Cameroun, reflétant 9 vies comme 9 notables que s’est situé sa belle mise en scène. Krys M a une façon moderne de respecter le classicisme des institutions traditionnelles, tout en conservant son identité. Au milieu des extravagances et excentricités que l’on peut voir ici ou là sur nos scènes aujourd’hui, cela rassure et repose.
En outre, l’émotion que nous apporte « Mekouwou » sous des couleurs afropop, élargit la ligne parallèle avec « Piego Ge La » en langue Baleng, ou l’auteure de l’EP Surface a délivré des encouragements à la jeunesse camerounaise qui essaye de s’en sortir tant bien que mal, dans un écosystème difficile.
L’un des moments importants de la soirée a été l’apparition de la légende camerounaise André-Marie Talla qui a partagé la scène, et ce dans une humilité déconcertante, sur le titre « Elle est jolie », dont les melophiles ont littéralement privatisé dans leurs cœurs. Changement de température extrêmement dansant sur « Après le Boulot » marqué par des chorégraphies déjantées.
Krys M, de son vrai nom Megne Noubissi Christelle achèvera son tableau par ses trois titres phares « Qui croira verra », « À chacun sa chance » troisième chanson francophone camerounaise la plus écoutée de l’histoire, et son avant-dernier projet discographique pour dire « Merci » à ses fans venus nombreux.
À ses côtés, Krys M avait une belle présence : Babe Biyo’o Benoit Gabriel (pianiste), Medjo Meva’a René (guitariste), Ondoua René Steve (Batteur), Menanga Ngah Marcel (percussions), Femissou Raïssa Lucienne (chœur), André Roland Tang (chœur), Rayanne Abanda (chœur), Albert Serge Tchuembou Ngantchueng (bassiste) et la scénographie assurée par Etienne Talla, et la team Krys M.
Vibrations poétiques et mesures techniques
Le concert était expressif, rythmé [les métronomes régulièrement audible] magnifiquement diverse et caractérisée selon le/s soliste/s en action. Au delà de l’errance active qui fait vibrer chaque mélomane, s’inscrit aussi le sens même de la forme : gardienne jalouse et inflexible de la mesure à son entrée en scène.
L’on se serait aussi attendu à une Krys M beaucoup plus sensible, dans une démonstration extravertie, avec une guitare à la main. Ainsi cela lui aurait évité la sécheresse mécanique et vocale observée lors de certains passages, ou le non-équilibre respiratoire (au niveau du souffle) se faisait ressentir pour les plus attentifs. Un travail de fond à faire dans le futur pour amplifier sa nette amélioration. J’aurai également souhaité voir durant la scénographie certains des instruments traditionnels suivants : le mekongtchouah, le gong, un idiophone ou des sonailles bamilékés.
Toutefois, elle dispose d’un certain nombre de qualités : diction claire, pleine de sens et d’humour, timbre, accent distinctif, projection idéale et maîtrise stylistique. Son sourire, lui va comme un gant, et c’est un répertoire où on la sent particulièrement heureuse. Traditionnaliste très assurée, ses coloratures virevoltent, légères, non sans rappeler par moment l’art de poser.
Pour le moment, Krys M est pleine de malice, avec l’assurance de la jeunesse. Si les rares aigus de ses partitions sonnent parfois fragiles, son médium et ses graves, sont chauds et moyennement timbrés, sans jamais perdre en diction. La mezzo-soprano camerounaise est une merveilleuse actrice chantante car elle sait danser, notamment lors des récitatifs où elle nous tient en haleine par son élocution. Si elle disparaît complètement lors des ensembles, on ne peut l’en incriminer qu’à moitié. Elle nous charme d’emblée par son accent de type transalpin. Avec beaucoup de discipline, Krys M sera capable de transcender les montagnes dans le futur, et faire exploser son plein potentiel, car la musique est un art à part entière, qui en demande beaucoup en termes d’exigences.
Dans ce gourmet auditif qu’est Empreinte, les registres patrimoniaux et intermédiaires sont représentés à l’image du Tchamassi, Mangambeu, Bendskin, Afropop, Essèwe, Samali, et couleurs caribéennes. De la perspicacité des sujets, à la composition, il s’agit d’un disque varié qui prône la diversité culturelle à la fois aérienne. Au-delà de tout, Krys M veut marquer son histoire d’une Empreinte indélébile ! C’est sur une note de vives émotions, la chanteuse en pleurs, que le spectacle s’est achevé, Krys M sans doute bouleversée par l’amour qui lui a été donné à Douala, et le sentiment d’avoir accompli une chose qui lui tenait à cœur : se dévoiler au monde ! Le 29 Novembre 2024, son album sera disponible sur l’ensemble des plateformes digitales.
Artiste : Krys M
Titre : Merci
Année et Label : 2024 / KM Production
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