Le rap au Niger : de Lakal-Kaney à MD Crew
Parce qu’elle est la plus accessible à tous, la musique aujourd’hui est probablement l’expression artistique la plus mondialisée : d’abord radiodiffusée, puis disponible sur le web, avec l’avènement de Youtube.
Écoutée, influencée, brassée et partagée, la musique est le creuset de mélanges multiples : c’est en quoi elle se réinvente en permanence. Le rap n’échappe pas à ce savant et subtil métissage. D’un point de vue historique, on sait que le rap tire ses racines de la musique afro-américaine, qu’il est né dans les ghettos noirs et latinos du Bronx dans les années 1970 à New York. Ce qu’on oublie souvent d’ajouter, c’est que le rap possède parmi ses ancêtres la musique des griots de l’Afrique de l’Ouest, qui racontaient les gloires comme le quotidien de leur société avec des talents d’improvisation à couper le souffle.
Le rap nigérien, qui a connu son apogée au début des années 2000 jusqu’à être positionné en 2003 comme étant le 4e au monde et le 2e en Afrique après le Sénégal, selon un classement RFI et Africa n°1[1], est à la croisée de ces influences conjuguées. Lesquelles se verront plus tard mâtinées de rap français, à l’instar de NTM, Booba, La Fouine pour ne citer que les artistes ou groupes les plus adulés par les rappeurs du Niger. De Niamey à Zinder, retraçons l’histoire de ce genre musical engagé qui a enfiévré les scènes ouest-africaines et fait naître en ses temps glorieux plusieurs centaines de groupes.
Les Pères fondateurs
Les prémices se font avec l’apparition de la danse hip-hop au milieu des années 1980 avec des groupes chorégraphiques comme Home Boys ou Sikassey, qui sont contemporains de Sidney Duteil[2] en France avec son émission télévisée consacrée au hip-hop en 1984.
Le rap en tant que genre musical, et son mouvement le hip-hop, débarquent au Niger au milieu des années 1990 avec Massacreur, Tod One et Wassika, qui sont à l’affiche du premier concert de rap nigérien au Centre Culturel Franco-Nigérien de Niamey en 1996. Les choses sont encore très peu structurées et les artistes et groupes fraîchement formés se produisent au gré des initiatives et des festivals, à l’initiative du Centre Culturel Franco Nigérien et des radios privées locales. On y chante du hip-hop en haoussa, zarma, tamasheq, fulfulde, kanouri, français et anglais, sur un ton contestataire et engagé, sur fond d’instruments traditionnels et de beats synthétisés.
Les années 1998-1999 sont des années décisives durant lesquelles se forment des groupes emblématiques tels que Suprême Sadek connu pour son single « African soldier » et son album 13 Or, Wass Wong, fusion des groupes Wassika et Wongari avec son leader charismatique Bilal Keit et son album Ana Zoua et un titre emblématique « Niger ize Watun »[3]. 1999 marque une année charnière avec la production de l’album La Voix du Ténéré[4] du groupe Lakal-Kaney[5] qui est le premier groupe nigérien à avoir produit un album au Niger et à avoir fait une tournée nationale qui y est pour beaucoup dans la formation de nouveaux groupes de part et d’autres du pays. Citons aussi une autre star qui a perduré et commencé très tôt, Ras Idriss, fondateur du groupe Black Daps[6], avec l’album Ir Gakassina en 2002, et qui a connu par la suite une carrière solo foisonnante, parti en tournée dans d’autres pays africains et parti quelque temps au Nigeria pour un autre label[7].
Les stars des années 2000
Dans la continuité de ce cercle vertueux, à l’initiative des radios locales et du Centre Culturel franco Nigérien de Niamey qui a longtemps favorisé la mise en place de concours de rap et autres scènes ouvertes visant à dénicher de nouveaux talents, d’autres groupes ont rayonné tels que Kaidan Gaskia[8] puis Kaidan Gaskia 2 avec la chanteuse Safia, rare figure féminine dans le milieu très masculin du rap[9]. Côté féminin, Zara Moussa, quant à elle, incarne tout simplement la première rappeuse d’Afrique de l’Ouest, avec une voix délibérément engagée du côté de la condition féminine au Niger. Son premier album en haoussa et en djerma est produit en 2003, et l’album Ma Rage (label Caravan), en 2012, la fera connaître jusqu’en France. N’oublions pas le groupe Djoro G[10] qui a également fortement marqué cette période, avec les albums Prélude en 2002 et Légende en 2004 . Forts de leur succès, les groupes les plus en vue ont tenté de se structurer davantage en créant des associations telles que Hip Hop Niger ou encore le collectif Lilwal avec Wass Wong, Kaidan Gaskia, Black Daps et Djoro G, qui ont fini par s’entre déchirer, mettant à mal cette dynamique foisonnante.
La relève et l’avenir du rap nigérien
Ras Idriss, dans l’entretien cité plus haut, déplore que « les artistes nigériens ne s’entraident pas », et c’est un moyen pour lui d’expliquer la débâcle actuelle du rap nigérien. Le rappeur Idi Sarki, ex membre du groupe Djoro G, fait part de son sentiment sur l’enclavement de la musique au Niger : « La musique nigérienne est toujours malade. Elle n’arrive toujours pas à franchir nos frontières. Elle se joue localement un point c’est tout. Elle n’est connue que par des nigériens.
Pour que ça s’améliore, il va falloir soutenir les artistes talentueux qui ont l’amour de notre pays. Ceci nécessite le concours de tout les nigériens. [11]»
Il faut cependant regarder du côté de nouveaux groupes comme Kamikaz[12] (ex-Djoro G), Kaf Lagaf[13], Berey Koy[14] , Block S Crew [15] et Lee Yo[16] pour voir que le genre n’est pas mort pour autant. Sans oublier ceux qui sont partis aux États-Unis, forts de leur succès colossal, à l’instar des frères de MDM Crew avec leur dernier album Le Temple des Maîtres (Imperial Music)[17] et du chanteur Ismo One[18]. Ils portent haut les couleurs du rap nigérien en dehors de leur territoire et réinventent le genre à leur façon, pour mieux inspirer par la suite leurs émules. Ainsi en va-t-il de la mondialisation du rap, musique universelle qui s’inscrit dans le local pour mieux dénoncer, fédérer et construire des nations meilleures. C’est probablement hors les murs que le rap nigérien trouvera un souffle nouveau.
Références :
[1] Article d’Emmanuel Haddad, « Le Niger, enfant caché du hip hop africain »
http://www.jeuneafrique.com/173241/culture/le-niger-enfant-cach-du-hip-h...
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sidney_(animateur)
[3] https://youtu.be/iie_ZWGrJUA
[4] Dont le single « Soul Tamachek » https://youtu.be/cUrpHcCuvnA
[5] Biographie du groupe : http://nigerstars.com/zone-artiste-2/musique/170-grpe-lakal-kaney.html
[6] Single « Tous ensemble » https://youtu.be/Dd3rt3C-RzE
[7] Il s’en explique dans cet article du media en ligne fofomag : http://fofomag.com/Index.asp?affiche=News_Display.asp&articleid=2001&ID=...
[8] Deux titres emblématiques, Tchini da zari https://youtu.be/ULMgproeP10
Windi windi https://youtu.be/azsHtv9FJvg
[9] Oumarou Issoufou, à propos de la formation de Kaidan Gaskia 2 :
http://fofomag.com/index.asp?affiche=News_Display.asp&ArticleID=1819
[10] Djoro G, « Unité » https://www.youtube.com/watch?v=AGzcTgJ1f8w
11] http://fofomag.com/index.asp?affiche=News_Display.asp&ArticleID=1866
[12] Single : « Hansine Souba » (Salam Records) https://youtu.be/1JVxQjUzPNs
[13] Kaf Lagaf (Wassa Prod) https://www.musicinafrica.net/node/25337. Single « Tu pèses pas » https://youtu.be/IcZdT3Qfxzc
[14] Single « Niger espoir du Sahel » https://youtu.be/BBl6vnwHK20
[15] Single « Gotché » https://youtu.be/gvFzWhSy51A
[16] Lee Yo (Kortchop productions), single « Bouge ton corps » https://youtu.be/IcZdT3Qfxzc
[17] Cet album, ainsi que les précédents, « Court-Circuit », « Légende et Enfants du bloc » sont disponibles sur Spotify. Voir reportage sur Africa 24 : https://www.africa24tv.com/fr/niger-mdm-crew-groupe-de-musique-urbaine
[18] Miyetti - Ismo One & MD Crew https://youtu.be/5bN58Q82Ij0
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