Mauritanie : une éducation musicale aux mains des privés
Pays aux multiples castes où la musique se transmettait pendant longtemps dans les seules familles de griots, la Mauritanie n’a pas développé d’enseignement de la musique depuis son indépendance. Un vide que les musiciens et les acteurs culturels du pays tentent de combler face à une scène musicale qui s’organise et se développe hors des circuits traditionnels.
Un apprentissage majoritairement autodidacte
Traditionnellement, dans les familles d’iggawins, les griots arabo-berbères de Mauritanie comme chez les griots soninké, wolofs ou peuls, la musique se transmet en famille, par imitation. Depuis quelques décennies, avec l’apparition d’une scène contemporaine, et donc d’artistes non castés, la donne a changé.
Comme Cheikh Labyad, 90% des musiciens mauritaniens sont autodidactes, Issu d’une caste de forgerons, non de griots il a appris seul, par imitation le tidinit, l’instrument des iggawins », explique Cheikh Labyad, qui développe aujourd’hui une carrière internationale s'est formé à l’oreille, en écoutant, il a appris les différents modes de la musique arabo-berbère qu'il a adapté à la guitare et joue aujourd’hui avec des musiciens du monde entier, dont l’Orchestre fédéral d’Allemagne.
Des formations prises en main par des musiciens
Pour transmettre sa passion de l’instrument, Cheikh Labyad anime de temps à autre des cours à Nouakchott Music Action (NMA), une association créée en 2008 et dont l’objectif initial était de contribuer à la promotion de l’art et de la culture musicale au sein de la société mauritanienne.
Pour Oumou Sy, ancienne élève devenue membre du groupe l’Harmattan et administratrice de l’association, Nouakchott Music Action (NMA) poursuit plusieurs objectifs qui sont l'encadrement et l'initiatiton des jeunes à la théorie et à la pratique musicale, mais aussi approfondir la recherche du patrimoine musical artistique Mauritanien et faciliter la synchronisation entre musique traditionnelle et musique actuelle.
Directeur de l’association et ancien musicien de Malouma, une des rares stars internationales du pays, Lamine Kane avoue avoir voulu combler un vide en créant NMA.
Car Il n’y pas de formation musicale dans les écoles de Mauritanie, seulement une transmission familiale dans les réseaux griottiques. Entre 1970 et 1992, le gouvernement mauritanien a envoyé des musiciens arabo-berbères se former au Conservatoire de Bagdad et ils en ressortaient au bout de quinze jours avec un doctorat. Totalement ridicule ! Comme il animait des ateliers lors de ses tournées en Europe, il a eu l’idée en 2004 de monter une association pour assurer une formation presque gratuite à des jeunes motivés (une cotisation de 1000 ouguiya soit 3 – 4 euros est demandée).
Avec le soutien de l’Ambassade de France qui a donné les moyens techniques et administratifs. Ils ont fourni les premiers instruments (d’autres ont ensuite été donnés par des musiciens français à la suite d’un appel au don du centre des musiques actuelles de Paris, le Centre Fleury Goutte d’Or), les cours ont lieu au sein de l’Institut Français de Mauritanie. L’idée était de former des musiciens mais aussi des formateurs comme Oumou Sy et de leur donner les moyens de se produire au bout de 4 à 5 ans de formation dans les restaurants et les hôtels.
L'association a constitué plusieurs niveaux et axé sa formation sur trois pôles : la pratique collective, la pratique de l’instrument et la composition. Pour la théorie, les cours portent sur le solfège, la tablature et les grilles d’accord. Les cours sont assurés tous les jours de 16h00 à 19h30 sauf les vendredis et samedis par 7 bénévoles. Une quarantaine de jeunes qui avaient à l’origine entre 10 et 15 ans sont sortis de cette formation et plusieurs groupes se sont formés comme L’Harmattan, Talibe Groupe et Belle Vision.
Lamine Kane n’est pas le seul à tenter de combler le vide laissé par l’institution. En 2010, se créée le Conservatoire international de Musique et des arts des Nouakchott (CIMAN). Le projet est lancé par Sidi Ould Isselmou, un gynécologue mauritanien passionné de musique, assisté du compositeur, musicien Babi Sarr, récemment décédé et de Léon Nadet, trompettiste de jazz, directeur de l’école de musique de Millau.
Mohamed a financé le local, les instruments de sa poche. Ce centre était au début fréquenté par des expatriés mais aussi par des mauritaniens. Le fonctionnement du Conservatoire était assuré par les cotisations des expatriés et le bénévolat des profs, essentiellement des expatriés. Une artiste camerounaise assurait la formation au chant . Pendant trois à quatre ans, les Mauritaniens de milieu modeste ont obtenu des bourses de l’Ambassade d’Espagne et des USA. Etait proposée une initiation aux instruments maures comme le tidinit, le ardin (instruments à cordes), le tbeul (percussion maure) mais aussi une formation aux instruments occidentaux comme les claviers, la guitare et la batterie. Le centre a récemment fermé. Il a dû déménager plusieurs fois suite à des plaintes du voisinage car le soir, étaient organisés des concerts.
Soutenu par l’Ambassade de France (SCAC), l’association El Vajer, les Echos du Sahel, dirigée par le musicien Papis Kone, leader du groupe Wal Fadjiri et producteur du Festival Nouakchott Jazz Plus qui assure un enseignement à l’attention de jeunes enfants et d’adolescents, comprenant une initiation aux instruments et un enseignement théorique, voit le succès de sa méthode progresser au fil des ans : il comptait en 2017 dix-sept élèves, et a vu son chiffre doubler en 2018.
Des formations récentes aux métiers de la musique
La scène hip hop n’est pas en reste et les formations en musiques actuelles assurées par l’association Assalamalekoum, l’équipe de VFC Prod et la Maison des Arts Urbains, témoignent du dynamisme d’une scène en constante progression : 7000 jeunes rappeurs sont recensés sur la scène nationale, affirme Monza, fondateur du tremplin « Assalam Alekoum Découvertes » .
Soutenu par de nombreuses structures internationales (Région Ile de France, Centre Fleury Goutte d’Or, le Danish Center for Culture and Development), Zaza productions, qui organise le festival Assalamalekoum, a pu ainsi faire bénéficier à plusieurs jeunes de formations diverses. Le centre des musiques actuelles fleury Goutte d’Or, explique Danielle Gambino, sa directrice artistique, a accompagné Zaza Productions sur plusieurs projets en 2013 et 2014 dans le cadre d’un projet financé par la région Ile de France.
Ainsi le centre a assuré une formation en pré-production et sur la voie rappée, avec notamment un accompagnement du lauréat du tremplin Assalamalekoum Découvertes, Tonya Fia, et un projet avec Monza. L’équipe d’Esprit d’Ebène est venue à Nouakchott, pour assurer trois formations : pré-production, formation scénique et conseil en développement.
Cette démarche de faire venir une équipe pédagogique qui peut former plusieurs artistes et professionnels mauritaniens à la fois, plutôt que de financer le voyage d’une seule personne, apparait comme la meilleure forme de coopération. Selon Monza, certains organismes comme l’Union européenne n’ont pas la bonne démarche ; ils font des séminaires, des colloques, prennent quelques photos, donne de l’argent dont on ne voit jamais la couleur, tout ça pour justifier leur budget de coopération puis repartent, certains organismes de coopération internationale légitiment des personnes qui n’ont pas le niveau.
Le secteur musical Mauritanien a de gros besoins en booking, administration, management et surtout en formation au son. Quand Assalamalekoum a collaboré avec le CKU, elle a ainsi demandé une formation longue, de trois mois, qui a permis à des jeunes de devenir vidéastes, graphistes, et techniciens du son, et elle a également demandé de leur fournir des équipements qui leur permettraient ensuite de s’autonomiser.
Conclusion
La formation aux différents métiers de la musique est aujourd’hui le credo de plusieurs structures qui ont compris la nécessité d’accompagner une industrie naissante. La coopération espagnole a notamment proposé des formations au sons lors du festival de jazz et en 2003, Mamadou Konté, directeur du Festival Africa Fête à Dakar (Sénégal), et l’opérateur culturel français Hervé Lenormand, avaient assuré des formations en management à sept mauritaniens dont deux sont devenus des figures importantes de la scène nationale, Ousmane Gangué, un artiste de folk à la carrière internationale et Ali Ndao, le manager de Malouma, l’artiste la plus en vue de la scène mauritanienne.
Sources :
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0800583-musiques-mauritanie-tidinit.aspx
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0801120-musiques-mauritanie-tbal.aspx
https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1342
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0798621-musiques-mauritanie-contexte-culturel.aspx
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0799133-musiques-mauritanie-musique-azawan.aspx
Interviews
- Itv Lamine Kane
- Itv Oumou Sy
- Itv Monza
- Itv Cheikh Lebyad
- Itv Danièle Gambino
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Édité par Lamine BA
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