La musique traditionnelle de la Mauritanie
Le cadre de gestation de la musique mauritanienne est un espace intermédiaire entre le Maghreb et la zone subsaharienne, soudano sahélienne. La Mauritanie a été un centre de convergences civilisationnelles ayant produit une diversité identitaire de sa population, composée de communautés de cultures mauresque (maures blancs et maures noirs) et noire subsaharienne (peuls, soninkés et wolofs).
L’histoire et l’organisation de cette musique relèvent de survivances culturelles dans la division sociale en corporations, comprenant la caste des musiciens. Les ethnies composant la population mauritanienne partagent la spécificité ancienne et présentielle du personnage du griot, dans le processus de production de leurs musiques traditionnelles respectives.
Des particularités sont pourtant tout aussi représentées du point de vue de la vie musicale, des orientations stylistiques, du matériel sonore et de la sonorité.
L’Azâwân : musique traditionnelle maure
Dans l’imaginaire collectif, la communauté maure détient le quasi-monopole de l’expression culturelle de la Mauritanie. D’après sa tradition orale et sa légende sur sa musique, dénommée Azâwân, l’étape d’ancienneté de cet art remonterait au règne de l’État almoravide (XIIe siècle). Cependant, des traces historiques certaines attestent l’existence des Iggawin : caste des musiciens traditionnels. Leur présence est établie au XVII siècle, période pionnière des invasions arabes vers l’Afrique nord - occidentale.
Détenteurs d’une musique arabo berbère à l’origine, le statut de griots accordé aux Iggawin viendrait de l’adoption et de l’apprivoisement d’instruments de musique (bolon et ngoni) et de pratiques socio musicologiques (maitrise de la parole et conservation de la mémoire) rattachés à leur vécu et séjour à Tombouctou et dans l’aire mandingue. Des études ethnomusicologiques sérieuses sur leurs modes musicaux, envisagent deux échelles de sons de leur nomenclature musicale, comme issues de la musique bambara, à coté de celles de culture arabo-islamique probable.
Ces modes musicaux représentent le système musical maure. Au nombre de cinq, ils permettent la classification des formes musicales, selon qu’elles soient liées à la culture musicale (musique arabe moderne) ; au timbre ou au registre de la source sonore (voix de femme, d’enfant, chant et cri d’animaux…) ; à la nature ou à l’objet du texte - poème (chant de guerre, chant de romance, psalmodie) ; à l’accordage d’instruments… Dans l’étude sur le système théorique de la musique maure, Mike Herting, selon Maalouma Bint Meidah et Lemrabott Ibn Meidah, considère dans ce patrimoine : « La présence d'une théorie entièrement travaillée dans une culture orale ». Ce qui confère à la musique maure un caractère savant.
La production authentique de la musique traditionnelle maure est à relier à divers contextes comme, la cour et son espace politique (musiques guerrières, d’histoire et d’éloge) ; le cadre populaire et profane (musique de danse des hommes, gesticulant avec des bâtons ou sabres comme armes ; musiques de divertissement, d’agrément ou encore exclusives aux femmes, comme le bandjé à chœur homophonique) et à la religion (musique de psalmodie et d’éloge dans les mosquées et en prélude de concerts).
Les illustres représentants contemporains de cette musique sont, entre autres, le joueur de tidinit Khalifa Ould Eide, les chanteuses et joueuses de ârdîn, Dimi Mint Abba, Tahara Mint Hembara et Malouma Mint Meïdah. Ils sont dépositaires d’une tradition authentique incarnée par la derniére génération de musiciens traditionnels de l’ère moderne maure, et symboliquement représentée par Aïcha Mint Chigalih et Mokhtar El Meïdah, pére de Maalouma.
Fortement représentés, du point de vue numérique, les maures et leur culture musicale sont grandement associés à l’expression de la musique traditionnelle mauritanienne. Cependant, ce patrimoine national accorde une place au résultat du brassage ethnique et historique, avec les populations subsahariennes.
Les musiques traditionnelles de culture noire subsaharienne
Elles sont le produit d’habitants autochtones et de provenance historique subsaharienne comme le Mali, le Sénégal, le Niger ou encore le Ghana. Cette présence ancienne est à placer au-delà de l’histoire moderne de la Mauritanie ; elle est le fruit de l’expansion de grands empires ouest-africains de la période du Moyen Âge, antérieure à la présence arabe, et ne résulte pas du découpage colonial et frontalier actuel.
Les descendances communautaires détentrices des musiques traditionnelles de culture noire subsaharienne sont les hal pulaar (Pularophones constitués des peuls et des toucouleurs), les wolofs de la vallée du fleuve Sénégal, et les soninkés. Elles partagent quelques identiques contextes historiques d’exécution de leurs musiques avec celle des maures. Notamment, la musique de corporation des bergers et, les productions musicales de cour pour l’éloge de familles royales, de la chefferie ou encore de l’armée. L’adoption ancienne de la caste des griots dans la subdivision par classe de la société maure, n’est sans doute pas étrangère à cet état de fait.
Cependant, et hormis ses conséquences musicales expliquées par ailleurs, les caractéristiques des musiques traditionnelles de culture noire subsaharienne sont différentes de celle des maures. Des pratiques musicales de ce groupe communautaire sont tributaires d’ancrages socioculturels aux socles traditionnels du sub - Sahara.
Parmi celles-ci, on peut citer la musique festive rythmant les différentes étapes de la vie sociale ; la musique ésotérique de corporations (forgerons, chasseurs, pêcheurs, artisans du bois…), intimement liée à la pratique professionnelle chez les soninkés et les poularophones ; celle sacrée de manifestations rituelles, ou encore la musique de danse impliquant chorégraphie individuelle (wolofs et poularophones) et ballets (poularophones et soninkés).
Les obédiences et représentants vedettes de cette musique sont : Barou Sall Ndiarou, Saïdou Guédda (musique traditionnelle peule) ; Abou Diouba Deh et Ousmane Gangué (Musique moderne peule) ; Ganda Fadiga (Musique traditionnelle soninké).
L’information sur ces cultures musicales ne relève pas seulement de l’observance des pratiques et de leur association au socle traditionnel. Les instruments de musique, de par leur facture, adoption et usage, fournissent également des renseignements culturels.
Les instruments de musique
Les instruments de musique traditionnels suivent la répartition ethnomusicologique, avec une prédominance pour les cordophones, suivis des membranophones, des aérophones et idiophones. À l’image de certaines pratiques musicales, la présence de certains instruments de musique traditionnelle mauritanienne résulte d'héritages arabo-islamiques (Ney : flûte et Tbal désignant une percussion chez les maures), ou mandingue (hoddou ; xalam et gaimbere : luth traditionnel respectif des peuls, wolofs et soninkés).
L’instrumentation classique de la musique maure est constituée de la tidinit (cordophone - luth de 4 cordes), de l’ardine ou ârdîn (cordophone harp- uth d’une dizaine de cordes variables) et du Tbal ou Tbel (membranophone tambour fait de peau de vache et de bois, comme caisse de résonance).
Certains peuvent avoir une fonction unique (jeu individuel du tbal comme messages d’alerte) et des applications musicales doubles (jeux percussifs, en sus des cordes, sur les membranes de l’ardine et de la tidinit).
Cependant, le tbal partage l'exclusivité rythmique et percussive avec le daghuma, idiophone sous forme de calebasse, joué avec la main et la cuisse. Les autres instruments sont d’usage individuel et le plus souvent corporatiste : le Nayfara (aérophone) des bergers Harratines, le gnaïbra (cordophone - luth monocorde et de petite taille) et le rbab (cordophone - vièle monocorde) des Nemadi (chasseurs et nomades).
Les cordophones sont également plus représentatifs dans les musiques traditionnelles de culture noire subsaharienne. On y retrouve celles de facture quasi identique à la tidinit maure : le hoddou peul, le xalam wolof et le gaimberé des soninkés. Leur analogie organologique laisse entrevoir une filiation prétendant une généalogie provenant du ganabir, instrument présent dans la cour de Mansa Souleyman, souverain du Mali (XVIe siècle) et décrit par Ibn Battuta.
Dans le sens inverse, les wolofs des villages walo et de la vallée, adeptes de la confrérie Tidjanya, ont fait usage du tbal maure, à partir du XIXe siècle, pour accentuer leurs cantiques. Plus récemment, d’autres illustrations d’influences culturelles ont fait valoir les adoptions d’instruments par transfert, du milieu mandingue vers la Mauritanie, notamment la kora (cordophone harpe-luth), le djembé (membranophone) et le balafon (idiophone).
Deux grandes communautés culturelles ont développé des expressions sonores d’influence arabo berbère et soudano sahélienne, pour constituer l’identité originelle du patrimoine musical de la Mauritanie. Cette musique, analysée dans son ensemble, reflète aussi l’élaboration et la construction de savoirs faire anciens, et de produits de civilisations ayant fructueusement cohabité, à travers des emprunts et adoptions de faits et de matériaux musicaux.
Bibliographie
Arnaud, G. et Lecomte, H. (2006), « Les Maures» in Musiques de toutes les Afriques, Fayard, pp. 72-75.
Arnaud, G. et Lecomte, H. (2006), « Les Peul, les Haoussa et les Songhaï » in Musiques de toutes les Afriques, Fayard, pp. 149-162.
Caul-Futy, E.F. (2012), « Michel GUIGNARD : Musique, Honneur et Plaisir au Sahara. Musique et musiciens dans la société maure », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 21 | 2008, mis en ligne le 17janvier 2012, consulté le 04 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1342
Herting, M. (non daté), Maalouma Bint Meidah et Lemrabott Ibn Meidah (d’après), « Systéme théorique de la musique maure : mode, instruments et microtonalité »
Guinard, M (1975), Musique, Honneur et Plaisir au Sahara, Paris, Geuthner.
République Islamique de Mauritanie - Ministère de la Culture et de l’Artisanat (2015-2019), Musique traditionnelle mauritanienne, http://www.culture.gov.mr/spip.php?article283&lang=fr
République Islamique de Mauritanie - Ministère de la Culture et de l’Artisanat (2015-2019), Les principaux instruments de la musique traditionnelle mauritanienne, http://www.culture.gov.mr/spip.php?article284&lang=fr
Salem, L. Ould M. (2003), « Les sources de la musique maure » in Hommes et migrations, numéro thématique France-USA : Agir contre la discrimination. I-Philosophies et politiques, pp. 122-124.
Discographie
Mauritanie : Chants des femmes Nemadi. Buda records 1974272
Mauritanie. Fuuta. Rippo. Musiques pulaar. Mussa Watt et le Rippo. Colophon records CD 117
Le medeh des Haratines de Mauritanie. Artistes arabes associés AA 163
Griots de Mauritanie. Hodh occidental. Traraza. Prophet 20
Musique maure. Mauritanie. Ely Ould Meiddah. Moctar Ould Meiddah. Prophet 29
Chants de griots. Ensemble el-Moukhadrami. Institut du monde arabe 321004
Aïcha Mint Chighaly. Griotte de Mauritanie. Inédit W 260078
Dimi Mint Abba. Musique et chants de Mauritanie. Ethnic / Auvidis B 8768
Malouma. Dunya. Marabi 46806-2.
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Édité par Lamine BA
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