La musique rap en Mauritanie
Inscrit dans les formes actuelles des musiques, le rap a connu différentes phases d’appréciation en Mauritanie. Il a d’abord été perçu comme une curiosité et une menace culturelle, avant de gagner la sympathie du public jeune, pour ensuite connaitre une appropriation populaire. Les efforts de ses acteurs scéniques et consommateurs passionnés s’inscrivent dans l’endurance, pour le gain d’un droit de cité et d’alternatives à la problématique de sa considération publique.
Survol des origines et de l’appropriation populaire
Le vent de conquête du rap made in USA et des mouvements dérivés s’est fait un peu partout dans les années 1980. Il constituait un modèle mêlant sons, danses et emphase de la créativité de la jeunesse urbaine, à travers des clips musicaux originalement conçus et véhiculés par les médias. Sa réception en Mauritanie a eu lieu dans la même période sans effets populaires concrets, si ce n’est l’adoption chorégraphique du break dance par Degree Diz dès 1987 puis, l’incorporation d’autres genres du hip hop, dont le rap, à partir de 1991, avec Erneste Thié du groupe Salam et Men Posy.
Le milieu des années 1990 et les années suivantes ont enregistré la constitution de solistes et de groupes musicaux pionniers, dont entre autres : Dia Min Tekky, Waraba, Military underground, Minen Tey, Ewlade Leblad, Adviser, et Rue Publik. Ils étaient les créateurs et interprètes les plus en vue et les plus représentatifs, à l’image de modèles sénégalais inspirants et devanciers.
Le mouvement musical était cependant nouveau et endossait une perception populaire l’identifiant comme expression artistique d’une culture étrangère.
Mais, l’expression du rap mauritanien portait des formes d’inculturation, de par l’adoption de langues locales à la dénomination de certains de ses interprètes et à son texte musical. Elle était majoritairement présente à Nouakchott et certains musiciens originaires d’autres contrées incorporaient leurs cultures locales à la scénographie de sa production musicale, qui enregistrait aussi la naissance du premier groupe féminin : « Les filles du bled ».
La popularité du rap grandit dès lors auprès du public jeune, avant qu’un travail constant sur une décennie (2008 à 2018) ne l’ouvre les portes de l’adoption populaire, par le biais d’événements scéniques.
Les événements et albums marquants liés au rap
Les rencontres régulières de groupes de jeunes au stade olympique de la capitale, s’adonnant au beat box vers la fin des années 1990, représentaient déjà de premiers faits marquants du rap mauritanien. L’analyse de la ferveur juvénile ayant entouré ces manifestations dénote avec le recul, de l’engagement des premiers adeptes du rap à inscrire leurs actions dans l’endurance, face au défi de la reconnaissance.
La formalisation de cet engagement va commencer à partir des années 2000, par une série d’événements dont les plus marquants seront :
- Les sorties des premiers albums à partir de 2001, entre autres : Nibkhi Mauritanie de Papis Kimmy, premier album de rap mauritanien ; Président de la Rue Publik de Couly Man et Monza ; Gonga de Diam Min Tekky…
- Le début en 2004 de la professionnalisation de quelques acteurs du mouvement Hip hop, dont certains rappeurs, dans le cadre de l’apparition de premiers studios d’enregistrement, et la parution de la première compilation de rap mauritanien avec Jam Min Tekki, Altéro, La Rue Publik, Mac City et Waraba ;
- La première édition du festival successivement dénommé Assalamaleykum (2008) puis Assalamaleykoum Nouakchott Festival International ANFI, par le producteur Kane Limam (lire par ailleurs) ;
- La participation du rappeur Waraba au collectif « Aura » (Artistes Unis pour le Rap Africain), qui réunissait en 2007, les plus grands rappeurs de l’Afrique de l’ouest ;
- La structuration et la consolidation (partenariats techniques et projets de formation) du Festival ANFI de 2008 à 2018, avec une popularité plus grande (15 000 à 40.000 festivaliers) et une attention institutionnelle ;
- Les consécrations populaires de titres ou albums : « Gueyeme », « Vabraka », d’Ewlad Leblad ; »Thiagal » d’Adviser ; « Ça commence à Nouakchott » de Hamzo Bryn ; les featuring de Taleb Latimore avec Viviane Chidid « C’est la Mauritanie » et « Mourabitounes » de Leïla Moulay avec Adviser, pour lequel le dernier double album (Inawona), consacre à la tête de fil du rap mauritanien ouvert à la world music ;
- La tenue d’un concours de rap assez représentatif de la diversité culturelle et territoriale à l’édition 2018 du Festival ANFI, qui a révélé au grand public les talents prometteurs de groupes de provinces.
Ce listage non exhaustif de faits et événements fait ressortir des étapes d’évolution entreprises principalement par des acteurs visionnaires, dont la personnalité à l’imagination la plus fertile dans le travail d’organisation du secteur est Kane Limam.
Ce producteur, plus connu sous le nom d’artiste de Monza, est également auteur- interprète, actif depuis l’âge de 15 ans sur la scène hip hop. Sa popularité grandit en 2004, avec la sortie de son premier album entièrement conçu à Nouakchott, en duo avec Couly Man. Les disques de cet opus seront confisqués par les autorités. Ce qui n’empêche pas leur réédition au Mali et leur adoption populaire, à travers une tournée du groupe sur l’ensemble du territoire (Spiegel 2014).-
L’attention institutionnelle commence à être manifeste sur les activités et réalisations culturelles, collectivement menées par les rappeurs, au sein du festival ANFI. Mais une reconnaissance publique du rap mauritanien et son ouverture au marché international tardent à se manifester, du fait d’entraves étatiques et d’autres internes au mouvement.
Contraintes et défis
En effet, un certain nombre de querelles internes sur le leadership et l’organisation professionnelle constituent la première série de problèmes auxquels se confronte le rap mauritanien.
À cela s’ajoute, la nécessité de poursuivre les premières initiatives de consolidation des connaissances artistiques et techniques, permettant d’améliorer leur environnement musical. Des projets de formation visant la structuration de leur secteur sont à envisager, pour favoriser le rassemblement des compétences et la transmission des savoirs nécessaires à une conquête du marché international.
Cependant et primordialement, quelques défis locaux sont urgents. Il s’agit de faire accepter en débat, des sujets d’actualités politiques et culturelles tabous de la société mauritanienne, à travers une présence équitable du rap dans la proportion de diffusion des productions musicales live par les médias publiques (Diao 2014), et la participation au sein de l’Union des Artistes et Musiciens de Mauritanie (UAMM), à l’adoption et à l’application d’une législation nationale sur les droits d’auteur (Clerfeuille 2019).
Le rap mauritanien est jeune du point de vue de l’histoire, de l’implantation et de l’expérimentation de cette forme musicale en Afrique. Son parcours local enregistre des résultats évocateurs sur sa maturation au sein de la population.
L’actualité de sa période de naissance primait sur le phénomène de la mondialisation, présentée à juste titre comme porteuse d’éléments culturels aliénants, au moment où la jeunesse priorisait la consommation de musiques de contestation et d’origines étrangères (occident et orient), au détriment du patrimoine mauritanien. Le rap local a de ce point de vue une conquête à entreprendre sur une frange conservatrice de la population mauritanienne, en aspirant valablement à une considération, avec le concours des autorités publiques.
Sources
Bal, A. (2019), La musique populaire mauritanienne
Clerfeuille, S. (2019), Mauritanie – droits d’auteurs et piratage : une absence de volonté politique
Diao, C. (2014) et Limam, K. (entretien avec le rappeur Monza), Le vrai débat, c’est d’accepter l’identité nationale dans sa diversité
Kassataya (2018), Le rap mauritanien prospère sous le poids des tabous
Monza (2016), Ministère de la culture et de l’artisanat (ajouté le), le Hip Hop mauritanien avance, mais difficilement
Mourre, M. (2011), Rap à Nouakchott, entre langage et esthétisme : vers un remodelage du politique par la jeunesse ? Diversité urbaine, 10 (2) 129140
Ndiaye, B. B. (2008), le Hip Hop mauritanien : état des lieux d’une musique en mal de reconnaissance
Spiegel, J. (2014), Mauritanie : Monza, un flow très cash
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Édité par Lamine BA
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