L'industrie du disque à l’île Maurice
Par Sabrina Quirin
Les sorties d’albums, les nombreux concerts et festivals ainsi que la présence de maisons de disque prouvent qu’une industrie musicale existe bien à Maurice. Cet article a pour vocation d’en proposer un aperçu.
Les débuts de l’industrie du disque
On ne peut parler de l’industrie du disque à Maurice sans faire mention des artistes comme Ti Frère, Fanfan et Serge Lebrasse.
Ti Frère, l’un des pionniers de la musique séga, enregistre un premier 45 tours en 1948. Ce disque est réalisé par le studio Damoo, crée en 1919 à Port-Louis, la capitale mauricienne. Cette année-là (1948), marque véritablement les débuts de l’industrie du disque à l’île Maurice.
En 1949, Fanfan, compositeur d’une cinquantaine de chansons, sort son premier disque intitulé Ma Bolema. En 1999, soit 50 ans après son premier album, Fanfan propose Kito lev Néné, qui parait chez Ballerina Music.
Gardien de la musique traditionnelle, le séga, Fanfan est celui qui s’attache aux valeurs culturelles de son pays. Dans une interview accordée en 2008 au site lexpress.mu, l’artiste déclare que l’île Maurice « est dictée par la loi de la jungle ».
Serge Lebrasse, l’admirateur de Ti Frère, est connu dans les années 70 grâce à son célèbre titre Madame Eugène. En 1995, à Londres, l’artiste réédite ses vieux classiques qui vont connaitre un grand succès. A 86 ans, Serge déclare, dans un entretien publié sur lexpress.mu, qu’il quitte définitivement la scène musicale. « J’ai 55 ans de carrière, j’ai rencontré tellement de gens. À mon âge, c’est l’heure de se reposer un peu ».
Une autre génération, celle de Menwar et de Kaya, réussit à révolutionner le séga en le fusionnant avec d’autres styles musicaux. Menwar crée le segaï ; un séga dominé par le blues ainsi que des instruments fabriqués à partir de « coques de pistaches » et de « tiges de fleurs de canne ». On retrouve le ségaï dans l’album Leko Rivyer Nwar paru en 2002.
Kaya, le contestataire, surnommé « le Bob Marley des Mascareignes », crée à son tour, le seggae : un séga mélangé au reggae. Seggae nu la mizik, album paru en 1989, nous propose cette belle musique, qui selon son auteur, apporterait le changement tant attendu des mauriciens. Kaya est retrouvé mort en 1999 dans des conditions obscures (en prison).
Maisons de disque et distribution de musique
L’internet, a complètement bouleversé l’industrie musicale dans le monde et l’île Maurice n’est pas épargnée par ce bouleversement. On ne compte désormais qu’une poignée de maisons de disque et de studios d’enregistrement dont Geda Records, Kapricorn et Grace Records.
Ces labels s’organisent eux-mêmes pour assurer la distribution des œuvres (à travers des magasins et disquaires). S'il y a encore une dizaine d'années, une maison de disque distribuait 2000 CDs à la sortie d'un album, aujourd'hui ce nombre a diminué.
« Autrefois, Maurice ne fabriquait pas de CD. Nous nous tournions vers Singapour et nous ne pouvions commander moins de 1000 CDs. Aujourd'hui les CDs sont fabriqués localement. Même si la société des droits d'auteurs exige à ce que les producteurs prennent 1000 hologrammes pour une œuvre, nous ne mettons en vente que 100 CDs sur le marché avant de commander d'autres si nécessaire », explique Gérard Louis, artiste musicien.
« Nous ne pouvons prendre le risque de distribuer plus de 100 CDs lorsque nous savons d'avance que le public n'achète plus comme avant », ajoute-il.
La distribution de musique à travers les plateformes de téléchargement et d’écoute comme Youtube, Deezer, et Spotify, portent également un coup terrible au marché du disque mauricien. Les gens préfèrent écouter gratuitement la musique en ligne plutôt que d’acheter un CD.
Aujourd’hui, les artistes préfèrent sortir des singles qu’ils proposent gratuitement sur internet et ensuite gagnent de l’argent grâce aux concerts et autres spectacles vivants.
« Nous sommes actuellement témoins d'une situation paradoxale. Alors que l'industrie du disque tourne au ralenti, parce que la production de CDs a drastiquement baissé pour des raisons essentiellement économiques, les concerts et autres sorties musicales sont plus que jamais à l'affiche. Les artistes mauriciens sont contraints de trouver des alternatifs aux albums pour assurer leur carrière musicale et gagner leur vie », constate Gérard Louis, chanteur et organisateur de spectacles.
Piratage des œuvres musicales
Dans les années 90, période pendant laquelle le piratage des œuvres musicales n’a pas l’ampleur que l’on connaît aujourd’hui, la musique mauricienne se porte très bien. On se souvient d’artistes comme Ras Natty Baby et Kaya, qui dominent la scène musicale de l’époque, vendant des CDs sans s’inquiéter du piratage.
Aujourd'hui, l'industrie du disque n'est plus rentable. Le pouvoir d’achat a baissé et un mauricien réfléchit à deux fois avant d’acheter un CD de chansons locales qui coûte Rs 250 (7 USD en monnaie locale) alors que les chansons sont proposées gratuitement sur internet.
La Right Management Society (RMS), chargée de la collecte des droits d’auteur à Maurice, fait de son mieux pour aider les artistes à percevoir leurs redevances. L’organisation enregistre près de 250 œuvres musicales en 2015.
Par ailleurs, les sociétés de gestion collective en Afrique manquent d’outils techniques pour combattre le piratage musical. Certains artistes recourent aux services des entreprises spécialisées qui les aident à protéger leurs œuvres sur la toile.
Quelques titres à succès
Si l'industrie du disque traverse une période de turbulence (à cause du piratage et de l’écoute gratuite de la musique sur Internet), les mauriciens peuvent toujours compter sur leurs artistes qui les font plaisir en leur proposant de la bonne musique.
Alain Ramanisum (Ex-Cassiya), dont le célèbre morceau Li tourner (sorti en 2012, avec la participation de DJ Assad) continue de faire danser l’île Maurice.
Depuis 2007, Clarel Armel met de l’ambiance avec Lipie gris, Ti pocket, Mo bourzoi. Ses titres sont joués sur les radios du pays.
En 2013, Mr Love, surnommé « le lover boy de la scène locale », sort un album Pou Twa. Cet opus connaît un succès grâce à des chansons telles Ti pocket, Kado lavi, Lambians hot, Twa to mama.
Laura Beg, la diva de la musique mauricienne, connue pour ses « Zouk loves » qui bercent les cœurs avec des titres comme L’immensité l’amour, tiré de l’album Mon ti kèr (2014), et Ki toi l’amour, paru en 2012 dans l’opus Tik Tiker.
Les vieux routiers du séga, dont le roi incontesté Jean-Claude Gaspard connu pour ses titres Dhobi de classe, Problème Cari, Pilé Pilé.
Que dire de Mario Armelle, 45 ans de carrière musicale, les mauriciens se souviennent de ses tubes Anita my Love, Cari Posson, Séga Tabla.
Source :Lexpress.mu : www.lexpress.mu Afrisson : www.afrisson.com Interviews réalisées avec Gérard Louis
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