L'éducation musicale en Tanzanie: 100 ans de perspectives
Par Mitchel Strumpf
Il y a 100 ans, la culture du Tanganyika consistait principalement en un ensemble d'accords : social, politique, économique, linguistique entre autres. Le présent document examinera l’accord des sons, appréciés ou pas, et ce que les peuples du Tanganyiaka entendent par ‘musique’. Cette musique évolue au fil du temps sous l’influence grandissante des maîtres coloniaux, missionnaires religieux, aventuriers commerciaux et autres. Ce texte fournit un aperçu de l’éducation musicale au cours des 100 dernières années à travers une série de « perspectives ».
L’enculturation de la musique au Tanganyika / Tanzanie
Ce mouvement culturel apparait bien avant le début des années 1900, lorsque les peuples du Tanganyika sont exposées aux traditions musicales des pays africains et d‘ailleurs. Alors que les médias (la presse et la radio – lancée en1928) n’ont pas encore d’impact majeur sur la tradition musicale.
On peut supposer qu’en 1915, l’enculturation de la musique (le processus d'apprentissage de ses traditions musicales) est essentiellement un processus d’assimilation d’éléments culturels, et ce dès la naissance. La musique se transmet de diverses façons comme aujourd’hui. Les religions et cultures (chrétiennes, musulmanes) ainsi que les croyances africaines traditionnelles sont déjà présentes en 1915. Chacune de ces croyances ou religions ont leur propre tradition musicale qui se transmet de génération en génération. Beaucoup de jeunes participent également aux rites d'initiation où se transmettent certaines traditions musicales.
Les maitres de la musique, musiciens de la cour et autres gardiens du patrimoine, ont conservé leurs traditions et identités respectives. Mulokozi (2002) traite de la formation des poésies épiques bardes enangadu Bahaya de l'ouest de la Tanzanie, et mentionne le célèbre Trifoni Mashombela (1905-1995), qui joue de l’enanga et apprend les poèmes épiques du Bahaya, à un jeune âge (peut-être pendant ou autour de 1915). Mulokozi précise que la plupart des bardes / musiciens de spectacles de poésie épiques ont appris de leurs parents ou amis (2002:57 ).
L’apprentissage de la musique (essentiellement à travers la participation de l’audience et/ou l’observation des interprètes de musique, comme décrit ci-dessus), est d’une grande importance. Tout comme l’apprentissage de la langue et de la culture, le processus d’apprentissage de la musique est long et minutieux et s’accompagne de rituels comme par exemple le choix de l’instrument ou de la musique interprétée selon les circonstances. On peut supposer aujourd’hui qu’il a fallu du temps pour qu’un musicien ou chanteur se familiarise au répertoire traditionnel et maitrise la performance musicale.
L’apprentissage des traditions musicales prend diverses formes. Par exemple, en tant qu’observateur, assimilant ainsi de nouvelles connaissances ou des techniques. La musique coordonne également les gestes au quotidien comme par exemple faire paître le bétail et pagayer un canoë tout en créant des sons qui souvent se transforment en sons traditionnels d’une culture; ou encore en observant et en imitant les sons mélodiques d'animaux, en particulier les chants d'oiseaux de la région.
Apprendre la musique par imitation
Les traditions musicales musulmanes sont présentes bien avant la période considérée dans le présent document, tout comme la première vague d’évangélisation (et de la musique) catholique des missionnaires augustins portugais qui débarquent à Zanzibar avec Vasco Da Gama en 1499. La Congrégation du Saint-Esprit, les Pères Blancs et les moines bénédictins commencent le travail d'évangélisation en Tanzanie au début du 19ème siècle et l'Eglise luthérienne de l'Allemagne débute ses activités en 1887, lorsque la première station missionnaire est fondée à Dar es Salaam. La musique d’église d’influence occidentale, fait également partie du processus d’acculturation en Afrique.
Les chants des églises européennes introduisent des tonalités occidentales diatoniques, essentiellement des motifs rythmiques simples, des mouvements harmoniques de base et des chants homophoniques, aux nouveaux fidèles africains, déjà enracinés dans leurs traditions très différentes. Une attention particulière à la qualité du chant, aux répétitions et à la performance influencent l'esthétique Tanganyika. Les hymnes sont étudiés en détail et répétés avant d’être chantés le dimanche matin, ce qui ne se fait que très rarement dans les représentations des ensembles vocaux africains de l’époque.
Les prières, le mode de vie et l’attitude des missionnaires influencent les nombreuses idéologies, les comportements et l’esthétique des peuples du Tanganyika. Les sons, les représentations iconographiques (par exemple les vitraux des cathédrales en ville) et les instruments de musique (des petits orgues des églises du village aux impressionnants orgues des cathédrales en ville) sont étroitement associés aux images pieuses des saints missionnaires. Les magnifiques échos des grandes églises et cathédrales, et les airs des orgues (de la basse profonde des tuyaux sonores aux sons aérés des flûtes), très différents des airs africains familiers, font partie de l’apprentissage musical. La magnificence du Dieu tout-puissant de l'homme blanc s’articule avec les nouveaux sons et icones des églises.
Les missionnaires introduisent « l'éducation formelle » au Tanganyika au milieu du 19ème siècle. Ce devoir religieux justifie l’introduction de la musique dans les écoles du Tanganyika, même si la musique est enseignée sous forme de chants d’église. L'administration allemande en Afrique orientale accorde, à ses débuts, une grande importance à l'éducation de qualité pour répondre aux besoins du pays sous contrôle allemand. La musique est alors importante, en particulier la musique occidentale, et les cours de musique sont introduits aux programmes des premières écoles établies.
Selon l’ethnographe allemand Karl Weule (1909), la sélection des membres et les représentations du célèbre boys band de Tanga de la côte nord du pays (l'un des tous premiers orchestres de danse de la région) se déroulent en privé, renforcées par le rigoureux système éducatif allemand.
L'école des garçons à Vuga, Tanzanie (1914). N °. 67.918a. Archives du Musée National de Dar es Salaam.
Apprendre la musique pour trouver un emploi
L'île de Zanzibar joue un rôle important dans l’histoire des fanfares en Afrique orientale. Alexander MacKay (1848-1890), missionnaire pendant de nombreuses années en Ouganda, nous informe des traditions du royaume du Bugandaau début des années 1880. Dans son journal de 1879, il parle des tambours et clairons d’origine persane ou européenne, importés de Zanzibar et d’autres régions le long des côtes jusqu’au Buganda.
À la fin des années 1800 et au début des années 1900, Zanzibar est également un lieu reconnu pour ses traditions musicales arabes, ainsi que pour son étalage de force militaire présentée dans les parades officielles. Matona (2010) mentionne la formation de clubs de musique à partir de 1905 - par exemple, le NadIkhwan Safaa (ou la véritable fraternité), qui existe encore aujourd’hui, et permet l’apprentissage des traditions arabes comme le taarab.
Kisarawe en Tanzanie (1898) - Un " orchestre de trombones " avec un révérend et professeur de musique allemand. N ° 68,160 (3a). Archives du Musée National de Dar es Salaam.
Dans les années 20, les fanfares, désormais sous contrôle britannique, sont présentes au Tanganyika et à Dar es Salaam. Pendant la longue période d’avant la Première Guerre mondiale, les écoles allemandes assurent l’apprentissage des cuivres. La formation allemande est principalement vocationnelle, dans le but d’orienter les apprenants vers des postes rémunérés du secteur musical. Martin (1991 : 73 ) affirme qu’à l’arrivée des Britanniques en 1919, « il fut alors aisé de recruter des soldats africains capables de diriger un orchestre militaire. Ils ont constaté que de nombreux joueurs de fifre, de clairon ou de tambour étaient disponibles ».
Perullo (2011) souligne toutefois que la formation musicale consistait à l’époque à combler les postes vacants des forces militaires. Il suggère que, omis les rares écoles tanzaniennes qui offraient des cours de musique, l’armée assurait une formation musicale formelle. Il soutient qu’aujourd'hui encore, « Beaucoup de musiciens populaires qui jouent du saxophone, du tuba ou de la trompette ont appris à le faire dans les fanfares militaires ». (2011: 49)
Band of the 4th King’s African Rifles (milieu des années 40).N ° 72.503a. Archives du Musée National de Dar es Salaam.
La diffusion des traditions musicales
Les missionnaires et enseignants coloniaux en poste assurent l'apprentissage de la musique et la formation musicale dans les années précédant l'indépendance du Tanganyika. «Nous devons apporter la musique à ces gens » se référant clairement à « la musique classique occidentale». Un certain nombre d'écoles de musique et centres de formation accueillent des européens ainsi que des étudiants tanzaniens.
A partir de la fin des années 50, le professeur Gerhard Kubik se démarque par son enthousiasme pour les traditions musicales tanzaniennes. Au cours de son passage en Tanzanie, Kubik offre des conférences sur base de ses découvertes et sur les meilleurs moyens de recueillir les informations et mener des travaux de recherche. Il se rend également au Musée national à Dar es Salaam, où il organise de longs ateliers destinés aux jeunes musiciens et chercheurs tanzaniens sur les méthodes de recherche et d’enregistrement des traditions musicales de la Tanzanie, et accompagne ses étudiants sur le terrain.
Les possibilités d’études en ethnomusicologie en Tanzanie
Divers établissements proposent des programmes orientés vers l’ethnomusicologie au niveau pré-universitaire et universitaire (premier cycle et troisième cycle). La Dhow Countries Music Academy (DCMA), une institution non-gouvernementale et à but non lucratif, ouvre une école de musique à Stone Town au Zanzibar en 2002. Elle propose des cours de musique et fournit les instruments aux participants. L'accent est mis sur l'enseignement des styles de musique du Zanzibar tels le taarab, le beni et le kidumbak. La plupart des formateurs sont des enseignants locaux originaires du Zanzibar.
L'Université de Dar es-Salaam (lancée en 1963, peu après l'indépendance de la Tanzanie), crée le Département des Arts (art, théâtre et musique) qui deviendra en 1966, le Département des Beaux-Arts et des Arts Plastiques. L’unité de ce département se charge des formations B.A., M.A. et doctorat dans de nombreux domaines, y compris une formation spécifique en ethnomusicologie et l'étude des traditions musicales de la Tanzanie. Au cours des huit dernières années, ce département a accueilli un colloque annuel en ethnomusicologie ; une plateforme internationale pour les chercheurs et musiciens intéressés par la musique du Continent, en particulier la musique de l'Afrique orientale.
Apprendre la musique à travers la mise en valeur de la diversité des expressions culturelles
De nouvelles opportunités s’offrent aux jeunes Tanzaniens passionnés de musique, en particulier dans l'exécution contemporaine des traditions musicales populaires. Ces opportunités sont davantage liées à l’aspect économique plutôt que culturel / esthétique. A titre d’exemple, l'Union Européenne (UE), sponsorise une nouvelle école de musique à Dar es Salaam, Music Mayday, qui a pour objectif principal «de promouvoir et de renforcer les industries créatives de la Tanzanie en favorisant le développement des capacités dans l'exécution musicale, la technologie et la gestion de la musique ».
D'autres programmes, conçus pour le divertissement, sont également disponibles dans diverses communautés en Tanzanie. Par exemple, le célèbre musicien tanzanien Vitali Mayembe, travaille beaucoup avec les jeunes de Bagamoyo, en diffusant des messages sur la santé, la scolarisation des filles et autres, à travers la musique.
Aujourd’hui, certaines communautés réalisent que les traditions anciennes sont profondément enracinées dans leur culture et que la nouvelle génération ne peut qu’en bénéficier. C’est le cas du village Gogo de Chamwino au centre de la Tanzanie (20 milles à l'est de Dodoma, la capitale législative de la Tanzanie). Chamwino est une communauté encore très rurale et les habitants des villages environnants (dans l’Ugogo, la terre des Gogos) portent grand intérêt à leur musique et leur danse traditionnelles. La musique et la danse Wagogo ont été étudiées et répertoriées dans les grandes collections de Tracey (en 1950), de Kubik (en 1962) et plus récemment par les chercheurs tanzaniens Frowin Nyoni et Kedmon Mapana. Les études du Dr Mapana mettent l'accent sur la promotion de l'éducation musicale tanzanienne non seulement dans les activités communautaires mais dans les écoles.
La musique en Tanzanie a certainement évolué au cours des 100 dernières années. Ce texte retrace l'histoire de l’apprentissage de la musique et son influence sur plus de 125 groupes ethniques en Tanzanie, chacun composé d’un ensemble d’accords culturels, d’une même identité ethnique. Ce texte permet enfin au lecteur de revivre les grands événements du Tanganyika / Tanzanie tout en explorant comment l'éducation musicale a récemment pris de nouvelles dimensions.
Références
Kubik, G. 1998. ‘Intra-African Streams of Influence in Africa’. In Stone, R. (ed.) The Garland Encyclopedia of World Music, vol. I.pp.293-326. Kubik, G. 2010a. Theory of African Music. Vol. II. Chicago: University of Chicago Press. Mackay, A. u.d. (1880 or 1881?).Journal de Mr. Mackay en Ouganda du 1er Janvier 1879 au 31 Janvier 1880. Mapana, K. 2013. 'Enculturational Discontinuities in the Musical Experience of the Wagogo Children of Central Tanzania'.Campbell, P. & Wiggins, T. (eds.). The Oxford Handbook of Children’s Musical Cultures. Oxford: Oxford University Press. Martin, S.H. 1991. 'Brass Bands and the Beni Phenomenon in Urban East Africa'.In Journal of the International Library of African Music. Vol. 8 (1): 72-81. Matona, M.I.H. 2010.'The Development of Taarab Music in Zanzibar’. Document présenté au Dhow Countries Music Academy. Miller, C. 1974. Battle for the Bundu, The First World War in East Africa. New York: MacMillan. Moyse-Bartlett, H. 1956.The King’s African Rifles: A Study in the Military History of East and Central Africa, 1890-1945. London: Aldershot, Gale and Polden. Mulokozi, M.M. 2002. The African Epic Controversy: Historical, Philisophical and Aesthetic Perspectives on Epic Poetry and Performance. Dar es Salaam: MkukinaNyota Publications. Perullo, A. 2011. Live from Dar es Salaam; Popular Music and Tanzania's Music Economy. Bloomington: Indiana University Press. Sturmer, M. 1998. The Media History of Tanzania. Dar es Salaam: Ndanda Mission Press. Thoonen, J.P. 1941. Black Martyrs. London: Sheed and Ward. Wachsmann, K. 1971. 'Musical Instruments in Kiganda Tradition and Their Place in the East African Scene'. Essays on Music and History in Africa. Evanston: Northwestern University Press. Weman, H. 1960. African Music and the Church in Africa. Traduit par E.J.Sharpe. Uppsala, Sweden: Institute for Missionforskning. Weule, K. 1909. Negerleben in Ostafrika. Ergebnisseeinerethnologischen Forschugreise.2. Aufl. Leipzig: Brockhaus.Le document se concentre sur l’apprentissage de la musique dans la région du Tanganyika, rebaptisée Tanzanie en 1964 lorsqu’elle rejoint les îles de Pemba et Unguja pour former Zanzibar. L’étude se situe “il y a cent ans’ soit à partir de 1915, l'année suivant le début de la Première Guerre mondiale.
Kubik (1998) traite de ces migrations et influences sur les courants intra- africains. Ruth Stone (Ed.) Africa: The Garland Encyclopedia of World Music, vol. I (293-326). Tanganyika a connu des influences culturelles intra- africaines du Ngoni de l'extrême sud, d'Afrique du Nord / influences arabes, du Buganda, etc.
Karl Weule (1864-1926), professeur d'ethnologie à l’Université de Leipzig, a étudié les cultures du Plateau Makonde et a également fait des observations culturelles dans plusieurs régions du Tanganyika. Il effectue les premiers enregistrements de la musique du Tanganyika (1906), dont certains ont été analysés plus tard par Eric von Hornbostel dans son article: " Wanyamwezi - Gesange " (Anthropos 4 : 781-800 , 1033-1052), la première étude analytique publiée, qui porte sur la tradition de la musique africaine.
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