Axel Merryl ou l’humour déjanté qui désillusionne sur l’Afrique
Alors que l'artiste américain Childish Gambino fait sensation sur la toile avec son titre « This is America », l'humoriste d'origine béninoise Axel Merryl s'en inspire pour proposer « This Is Africa ». À la fois drôle et subtile, cette parodie engagée, révèle le génie musical d'un simple humoriste, qui respecte pourtant bien les codes du rap et du hip-hop, dont il se sert pour véhiculer son humour. Dans son oeuvre, Axel dépeint une facette de l'Afrique qu'il espère voir changer. « This Is Africa », c'est son regard sur son continent, depuis un angle de vue bien précis, le Sénégal, son pays de résidence.
Depuis quelques semaines, le phénomène prend de l’ampleur. Childish Gambino a réussi à faire de son « This is America », un succès viral et mondial. L’engagement, l’audace, l’esthétique à la fois hilarante et réfléchie, l’indissociabilité du drame et du festif, y sont certainement pour quelque chose.
This is America - Childish Gambino, 2018
Depuis sa parution, l'oeuvre de Childish Gambino suscite une importante vague de reprises et de parodies autour du globe. Presque tous les continents s’y sont prêtés, l’Afrique aussi !
En effet, le Nigerian Falz, en s’appuyant sur les codes du clip de Childish Gambino, est parvenu à faire un coup d’éclat. Il dénonce avec subtilité et sans détour, des maux qui rongent son pays et touchent plusieurs couches sociales. Résultat : tout le monde en parle, tout le monde relaie (des internautes jusqu’au célèbre rappeur américain P.Diddy).
L'Afrique anglophone ayant trouvé son Childish, place à celle francophone de dénicher le sien ; celui qui pourrait se servir avec génie de tous les ingrédients fournis par l'artiste américain, pour les appliquer à son contexte.
Alors que l’effet Falz continue de susciter de l’intérêt, la réplique francophone n'a pas tardé à se faire. C’est Axel Merryl qui choisit de relever le défi, avec son titre « This is Africa ».
On pourrait tout de suite souligner une généralisation prétentieuse dans l'intitulé, mais elle exprime la volonté de l’artiste, de ne point se limiter à une aire géographique fixe. Cosmopolite, Axel qui est béninois, se sent pourtant chez lui au Sénégal. Les réalités sociales souvent le plus souvent similaires dans les différents pays du continent.
Quoique le pari soit risqué de ratisser très large, « This is Africa » se veut efficace.
La chanson, nécessitant la prédisposition de son interprète à adopter le flow et l'accent rappé de Childish, met en lumière la démarche adoptée par Axel Merryl, qui se sert des médiums disponibles et nécessaires, pour apporter au public un travail humoristique de qualité.
Dans ce portrait à multiples facettes de l'Afrique, vient se greffer un humour distancé, comme pour atténuer le choc qui découle des situations évoquées.
La douleur vive et vivace voire rustique de ses nombreux travers (paresse, retard, incivilités sociales – tout le monde défèque où il veut dans nos villes –, fêtes intempestives au détriment des obligations, etc.), ou drames (s’éterniser au pouvoir, mariage forcé, chosification de la femme, etc.) ; qu’il énumère, deviennent presque imperceptibles.
Le rire sous-jacent rend discret l'inacceptable évoqué et même si Axel Merryl, qui se fait narrateur de nos réalités sociales, ne parvient pas à désamorcer le tragique, il l'apprivoise du mieux que possible, afin que nous nous en servions pour une remise en cause personnelle, sans en devenir revanchard.
Certainement le style d’Axel Merryl est empreint du baroque, tant il lui faut en rajouter pour réinvestir les faits, les récupérer pour mieux les restituer, les aborder de façon décalée pour mieux les rendre acceptables.
Toutefois il ne manque pas de réalisme, encore moins de précision, pour rapporter même ce qui échappe à l'attention, ce qui paraît si banal qu'on n'y porte qu'un intérêt minime. Dans son oeuvre, ce qui est ordinairement perçu, devient artistiquement précieux, décisif.
Se servir même du rien pour faire un tout cohérent, une difficile entreprise qui apporte toute sa pertinence à son travail, soulevant plein de questionnements.
Quand on s'attarde sur le clip, qui se veut être l'élément focal de la parodie « This is Africa », la tropicalisation des séquences vidéo, la scénarisation, le jeu des acteurs, les cadres narratifs, l'espace d'énonciation, la réadaptation (la baffe plutôt que des coups de feu par exemple, ou encore « l’ambiancement » final) ; donnent un caractère personnifié à l’œuvre.
Le curieux qui s'y penche, l'éprouve comme une volonté ardente de contextualisation, comme un regard introspectif de l'artiste, s'effectuant au rythme des images. Ce qui, à priori, devrait donner à tout africain, des raisons d'identification, lui permettant de constater la véhémence du présent dans lequel il se construit.
Et si, ordinairement, tout artiste traduit ses sensations et ses pensées à travers ses œuvres, Axel Merryl, lui, traduit en plus, un imaginaire, une conscience d’être, une pensée complexe de complicité assumée, une manière de vivre consistant à savoir ce qu’on fait de grave et pourtant, s’y plaire voire complaire, de sorte à enrichir autrement les approches de réquisitoires proposés sur ces sujets jusque-là.
Ainsi, la tâche d’Axel Merryl (rappeur de circonstance), qui se sert du rire, l’un des acquis les mieux partagés en Afrique, malgré les précarités, est riche de ressources.
Cela aboutit à une revendication au-dessus de la mêlée. Rien de moins qu'une revendication très pétillante, non pas seulement concoctée à l’encre de la révolte et de quelques tournures sophistiquées ou recherchées, mais une autre revendication d'un autre style : celle qui attaque sans en donner l’air, celle qui accuse sans paraître le faire.
De ce fait, le travail d’Axel en tant que parodie de Childish, permet une remise en cause par empathie, pousse à l'auto-analyse par constatation, sans donner le temps de différencier le moment de réflexion et celui de réjouissances, car tout n’y est pas que propos engagés, mais aussi rythmiques enjouées et pas de danses entraînants.
D’où l'on découvre au final dans « This is Africa » d’Axel Merryl, une cohérence captivante, un rapport évident à la réalité, une intention visuelle prégnante et une démarche artistique inattendue, polémique voire décapante.
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