Bref état des lieux du droit d’auteur au Gabon
Il faut attendre 1987 pour voir le Gabon se doter d’une loi protégeant le droit d’auteur. Si l’actualité politique est très riche à cette période, il en est de même pour la scène artistique gabonaise qui connaît déjà quelques célébrités locales.
La consécration législative du droit d’auteur et des droits voisins intervient donc avec raison. Mais, nous le verrons infra, malgré cette intervention législative, le système de protection et d’exploitation des droits exclusifs comporte encore d’importantes lacunes que la mobilisation, tant politique que corporatiste, tente de pallier.
Le cadre légal et institutionnel du droit d’auteur au Gabon
L’Accord de Bangui
Etat membre de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi), le Gabon est en principe lié par l’annexe VII de l’Accord de Bangui, tel que révisé le 24 février 1999. C’est en effet dans cette annexe du traité instituant l’Oapi, que sont reprises les dispositions relatives à la protection de la propriété littéraire et artistique applicables dans l’ensemble des 17 pays membres de l’Organisation.
Une controverse existe sur l’applicabilité directe de l’Annexe VII. L’équivocité à ce sujet est d’autant renforcée que chacun des Etat de l’Oapi, quasiment, a décidé d’adopter une législation nationale propre en matière de droit d’auteur. C’est en ce sens que le Gabon légiféra également en 1987.
La loi et les décrets organiques sur le droit d’auteur et des droits voisins
Le 29 juillet 1987, l’Assemblée nationale adopte la loi organique sur le droit d’auteur. Jusque-là, la réglementation en vigueur était la loi française du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique1.
La promulgation de cette loi a naturellement suscité beaucoup d’attente chez les musiciens notamment. Car avec le nouveau régime réglementaire, naît aussi l’espoir d’une réelle professionnalisation dans la gestion des droits exclusifs et celui de la garantie d’un meilleur revenu pour tous les artistes.
Mais, le cadre institutionnel indispensable à l’effectivité de la loi fait défaut. Les décrets d’application ne sont ainsi pris qu’en 2006, soit près de 20 ans après la promulgation de la loi !
Les institutions dédiées à la protection et promotion des droits exclusifs
Bien que l’Accord de Bangui traite du droit d’auteur et des droits voisins, à travers son Annexe II, l’application de celui-ci ne fait pas l’objet d’une réelle harmonisation dans l’espace Oapi (Organisation africaine de la propriété l’Organisation africaine de la propriété). Ces dernières années, quelques mesures sont néanmoins prises afin de créer des synergies entre Etats membres sur certains aspects de la protection des droits d’auteur.
L’Annexe VII de l’Accord de Bangui met également à charge de l’Etat gabonais, comme aux autres pays membres, l’obligation d’instituer un organisme de gestion collective. La mission de ce dernier doit consister à protéger, à exploiter et à gérer les « droits des auteurs d’œuvres et des droits des titulaires de droits voisins ».
L’Anpac gabonaise
Pour respecter son obligation conventionnelle, explicitée ci-avant, le législateur a prévu dans la loi organique du 29 juillet 1987, que la gestion collective soit assurée par l’Agence nationale pour la promotion artistique et culturelle (ANPAC) créée en 1983. Ce rôle de l’Anpac est très précisément défini dans la loi de 1987, puisque celle-ci lui donne le monopole sur la délivrance des autorisations, la perception des redevances y afférentes ainsi que la répartition des droits entre les auteurs ou leurs ayants-droit.
Cette exclusivité reconnue à l’Anpac, contestable sur le plan juridique, nuira quelque peu aux artistes. En effet, et comme l’avoua son directeur général en 2008, l’Anpac n’a pas encore pleinement réussi à jouer le rôle de promoteur des droits que la loi lui assigne.
Les « initiatives » de la corporation : création du Bureau Gabonais des Droits d’Auteur (Bugada).
La situation monopolistique de l’Anpac sur l’exploitation et la protection des droits exclusifs, sera longtemps interprétée comme un obstacle au regroupement des musiciens autour d’une société de gestion collective « autonome ».
Cependant, face aux turpitudes dans l’application de la législation, la corporation entreprend plusieurs actions auxquelles le Gouvernement semble rester insensible. L’absence de réaction des autorités conduit finalement les musiciens à mettre sur pieds un syndicat des artistes gabonais (SYA). En 2010, une plainte est même diligentée contre l’Etat gabonais pour manquement à ses obligations.
Cet activisme porte ses fruits, puisqu’en 2012 un premier Bureau gabonais du droit d’auteur et des droits voisins, géré par le Sya, est inauguré avec le concours du Ministère de la Culture. Mais, moins de deux ans après cette inauguration, l’Etat entend reprendre la main et placer le Bugada sous sa gestion2.
La mise sous tutelle gouvernementale du BUGADA est entérinée par un décret présidentiel du janvier 2013. L’incompréhension et la stupeur suscitées par cette décision demeurent encore perceptibles aujourd’hui, le Sya continuant à revendiquer la paternité de l’institution. De facto, les deux bureaux coexistent.
Les difficultés de vivre de l’art musical au Gabon
L’absence d’une politique de rétribution
Au Gabon, il n’existe donc pas actuellement une véritable structure de rémunération des artistes. Le dédoublement institutionnel actuel crée un manque de clarté, et reste évidemment préjudiciable à la corporation. Et comme relevé ci-avant, le pays ne dispose pas encore de répertoires fiables, en conséquence les opérations de collecte et de répartition des redevances demeurent impraticables.
Pour tenter de tirer profit de leur musique, les artistes gabonais doivent compter sur les cachets qu’ils reçoivent lors de la tenue de concerts ou de la participation à des festivals.
La problématique de la « piraterie » des œuvres musicales
La piraterie des œuvres inquiète naturellement les artistes gabonais. Avant l’apparition de l’Internet au Gabon, une partie non négligeable des supports musicaux s’apparentait déjà à de la contrefaçon des œuvres. Ainsi, dès qu’un artiste présentait un nouvel album ou un nouveau titre, il n’était pas rare de retrouver quelques jours des reproductions illégales sous la forme de cassettes stéréo et de CDs. Certains musiciens, désemparés, n’ont d’ailleurs pas hésité à faire eux-mêmes la police en ce domaine en allant par exemple contrôler dans des manifestations si leurs œuvres qui y étaient jouées n’étaient pas de la contrefaçon.
Ce phénomène de la piraterie s’est amplifié au Gabon comme dans d’autres pays. Ainsi, dans les grandes villes comme Libreville en particulier, la démocratisation de l'accès à Internet a naturellement accru le téléchargement illicite de musique. Beaucoup d’œuvres musicales gabonaises circulent ainsi et sont partagées, illégalement, sur des plateformes comme YouTube ou par le biais d’autres applications.
Les dysfonctionnements actuels, que nous avons décrits plus haut, contribuent également à accentuer les effets du phénomène de la piraterie des œuvres. L’incertitude sur un organe de représentation légitime des artistes rend difficile la lutte contre une telle piraterie. Ce phénomène est d’ailleurs sous-estimé et aucun observatoire ne permet encore d’en évaluer toute l’ampleur dans le pays.
Aujourd’hui, les musiciens gabonais doivent notamment composer avec un double écueil : l’absence de rétribution dans l’utilisation de leurs œuvres ainsi que la contrefaçon de celles-ci. Malgré tout, il existe des raisons d’espérer qu’un tel constat ne soit pas irrémédiable.
La professionnalisation de la gestion des droits exclusifs est amorcée dans le pays. En effet, outre la formation de fonctionnaires, l’intérêt des professionnels de la musique pour la propriété littéraire et artistique est croissant. Il faut à cet égard saluer l’impulsion qui y est donnée par tous les acteurs, tant publics que privés.
Il faut plaider également pour un renforcement des échanges avec des pays qui disposent déjà, à l’image du Sénégal ou du Cameroun, d’une expertise honorable dans la gestion collective.
1.C’est par un décret du 19 mars 1958 que la législation française sur la propriété littéraire et artistique avait été rendue applicable au territoire du Gabon. 2.En 2011, le Gouvernement gabonais prend une ordonnance amendant la loi du 29 juillet 1987 dans le but de lever le monopole légal confié à l’Anpac.
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