Dakar Music Expo 2022 : que retenir des échanges professionnels ?
La ville de Dakar (Sénégal) accueillait du 3 au 6 février dernier, la 3e édition de son marché musical Dakar Music Expo, qui s'est un peu plus « internationalisé » cette année. Les participants ont, pendant 4 jours de conférences et d'échanges, identifié des pistes importantes pour un meilleur développement du business musical sur le continent africain.
Drapeaux tricolores dans un ciel d'azur, vuvuzela et paillettes - Dakar arborait ses plus belles couleurs ce 6 février pour la grande finale de la Coupe d'Afrique des Nations de football, quand la centaine de professionnels invités au Dakar Music Expo 2022 s'est retrouvée à l'Institut culturel italien pour un dernier apéro, au terme de 4 journées de travail intense.
Cette année, Dudu Sarr, le promoteur du salon qui avait pour thème principal « Dakar goes global », a retenu plusieurs sujets pertinents pour les panels, allant de l'importance souvent ignorée de l'édition musicale, aux états généraux de la musique au Sénégal, en passant par un état des lieux des marchés musicaux français et italien, et par le développement du beatmaking au pays de la Teranga.
Ben Oldfield, représentant du groupe The Orchard, a été le premier à se mettre en évidence le 3 février dans la salle de cinéma de l'Institut Français (IF) de Dakar, pour un panel au cours duquel il a présenté sa compagnie, The Orchard, fondée en 1997 et pionnière dans la distribution et la licence de contenus musicaux et audiovisuels pour les artistes et labels indépendants.
Le professionnel français a, à travers l'anecdote des vendeuses nigérianes qu'il a rencontrées à Lagos (Nigeria) en train de danser sur de la pop coréenne, présenté un monde de plus en plus ouvert, où les cultures se brassent, favorisant un réel enrichissement des musiques du monde. Et pour lui, l'Afrique a une partition importante à jouer dans ce grand concert mondial, qui ne demande que plus d'authenticité et de créativité.
Aux musiciens présents, qui espèrent tous briller un jour à l'international, Ben a fait une déclaration imagée et pleine d'enseignements : « Une musique est comme un bébé, ce n'est pas sa taille à la naissance qui compte, mais bien sa courbe de croissance dans la durée ». Pour le développement d'une oeuvre et par extension, d'une carrière, patience et stratégie sont des données importantes.
Après Ben, Michèle Beltan venue des Caraïbes, a quant à elle présenté de façon détaillée, le fonctionnement des plus grands services de streaming musical dans le monde. Pour elle, mais aussi pour Claire Diboa, Vincent Kunda, Cédric David et bien d'autres professionnels qui interviendront lors de ce DMX 2022, les musiques africaines ont besoin, pour mieux se vendre à l'international, d'une meilleure promotion et d'un travail puissant de marketing comme les Nigérians et Sud-africains réussissent à le faire, respectivement pour l'afrobeats et l'amapiano.
Pour atteindre l'idéal qu'elle poursuit, la filière musicale du continent doit aussi se souder et miser sur l'échange des connaissances ; c'est ce que prône Michèle Beltran :
Avoir la connaissance c'est avoir le pouvoir - avons nous répété tout le long de mon panel. J'aimerais justement donné du pouvoir à mes collègues africains, en leur apportant ce que je sais. Pourquoi d'autres devraient en profiter - les latino-américains, les européens et pas les Africains ? Je prends donc un grand plaisir à offrir ici, des clés pour mieux comprendre l'industrie et y faire profit.
Internet est devenu la plaque tournante du commerce musical international, en témoigne la place centrale de la distribution numérique dans les débats et conférences du DMX. Les professionnels avisés qui se sont réunis à Dakar, ont donc tenu à appeler les artistes africains et leurs staffs, à réfléchir à des stratégies optimales pour une monétisation de leurs créations à l'échelle continentale déjà, et progressivement, au niveau mondial. Il y avait en filigrane dans les différentes interventions, une exhortation au panafricanisme culturel et aux échanges entre les espaces francophones, anglophones et lusophones du continent.
Au DMX 2022, le concept de « distribution musicale » a été étudié sous 2 volets : la distribution numérique principalement, mais aussi le live.
Le second aspect, celui du live, méritait d'ailleurs d'être étudié sérieusement, en ce temps de pandémie où les grandes manifestations culturelles sont souvent prohibées ou limitées de part et d'autres à travers le monde, face aux interminables vagues de contamination et aux mutations du coronavirus.
Pour des participants comme Claire Diboa ou encore Vincent Kunda, l'Afrique dont la scène live connaît une réelle croissance depuis près de 2 décennies, avec la naissance de nombreux festivals et salons/conférences musicales, devrait être résiliente et réussir à pérenniser ses événements.
En effet, la survie de ces rencontres est essentielle au développement des artistes qui, en plus de se faire écouter sur les plateformes de distribution en ligne, devraient pouvoir se retrouver sur scène pour communier réellement avec leurs fans.
Vincent Kunda, venu du Congo, a présenté en images son Festival Kongo River, pour inspirer les promoteurs conviés à travailler sur des concepts innovants, afin de développer le secteur live du continent. Il s'est pour sa part appuyé sur les atouts touristiques de sa région au Congo, pour implémenter une initiative culturelle qui a très vite été identifiée et appuyée par le pouvoir public.
Le secteur musical africain, dans sa quête de développement, n'a pas d'intérêt à s'isoler ou à se refermer sur lui-même. Pour bien avancer, il a besoin de communiquer avec le monde et de s'inspirer de ce qui se fait ailleurs. C'est pourquoi le DMX a proposé deux modèles pour son édition 2022 : le marché musical français et celui italien.
Il faut dire que de Dakar à Paris, en passant par Rome, la chose qui est recherchée reste la même : une meilleure rémunération pour les artistes et une industrie musicale encore plus viable.
Quoique dans l'exemple des pays occidentaux qui ont été étudiés, l'implication du pouvoir public dans le secteur créatif semble plus important qu'en Afrique, où il est souvent laissé à des acteurs privés, très limités dans leurs moyens.
Margaux Demeersseman, responsable du pôle veille, innovation et prospective au Centre National de la Musique (CNM), a été claire à ce propos : « En France, il faut reconnaître que le secteur de la culture en général, est très suivi par l'état - en témoigne la création d'un Centre National de la Musique, qui est un dispositif important pour contrôler et réguler le secteur ».
Au DMX 2022, l'industrie musicale sénégalaise a aussi été diagnostiquée. Pour parler de la scène pop et hip hop locale notamment, le micro a été tendu à des beatmakers, soit ceux qui inspirent les tendances avec leurs claviers maîtres et leur ingéniosité. Il y avait notamment ISS 814 et Steady Key pour animer l'échange passionnant
Au tour du journaliste Lamine BA de Music in Africa, un autre cortège de professionnels locaux a procédé à une critique poussée du développement de l'industrie musicale du pays de la Teranga. Ils ont soulevé des points importants qui expliquent le statu quo d'un secteur pourtant plein de potentiel : le manque de technique de la part des talents, le problème d’information et le manque de soutien des structures privées.
Pour que l'industrie sénégalaise et africaine atteignent leur meilleur niveau, il faudrait déjà qu'à la base, il y ait des artistes de bon niveau, conscients des enjeux de leur métier. Pour le rappeler, le DMX a fait appel à Blick Bassy, artiste et entrepreneur à succès du Cameroun, dont le pitch s'est voulu inspirant pour les participants à son talk et sa masterclass. De l'exposé du musicien, on retiendra surtout ce passage pour le moins essentiel :
Un artiste, ce n'est pas seulement celui qui sait chanter ou interpréter ; c'est également le porteur d'une philosophie de vie. Quelqu'un qui arrive à se tracer un chemin sans être conditionné par les lourdes exigences sociales et le regard d'autrui. L'artiste c'est celui qui réussit à s'affranchir de toute pesanteur, pour délivrer un message limpide, sincère et cohérent, à travers ses créations et sa façon d'être.
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