Hama - Houmeissa
Le compositeur nigérien Hama fait paraître aujourd'hui, vendredi 18 janvier, son tout nouvel album instrumental Houmeissa. À la croisée des chemins entre tradition et modernité, l'opus, que j'ai eu le privilège d'écouter avant sa sortie, est un authentique voyage au coeur du Sahel.
Le travail de Hama est prodigieux, et le mot n'est pas trop fort.
L'intitulé de son premier titre, « Terroir », a tout de suite piqué ma curiosité. Je m'attendais en l'ouvrant aux sons des cornes et flutes anciennes, à des sonorités traditionnelles propres au Niger.
Mais les premières notes de l'oeuvre, exécutées sur un piano électronique, font étrangement penser à K 2000, le film futuriste du scénariste et producteur américain Glen A. Larson, qui a connu un certain succès dans les années 90.
L'instrument électronique apporte une touche techno et synthwave à la composition, par contre la mélodie elle, mène vers ces sentiers arides de transhumance, où le berger sahélien chante avec lyrisme son espoir de trouver le bon pâturage.
Paradoxe ! Là réside certainement le génie de Hama, qui tout le long de son opus Houmeissa, se sert d'un instrument moderne, pour retransmettre les musiques séculaires de son terroir.
C'est ce même contraste que propose « Houmeissa », titre phare de l'album, qui m'a replongé en enfance, du fait de sa ressemblance avec la musique du jeu vidéo Street Fighter du développeur japonais Capcom que j'aimais tant.
Les trois magnifiques minutes du morceau voient s'enchevêtrer différentes tonalités du synthétiseur autour d'une mélodie aux accents traditionnels.
« Dounia », troisième titre de l'opus, semble enfermer quelque chose de profond derrière sa mélodie saccadée, un tantinet plus douce que « Terroir » et « Houmeissa ».
Le mot « Dounia », d'origine arabe, est d'une certaine teneur philosophique voire théologique. Il désigne le monde, l'ici-bas...
« Dounia » résonne comme un hymne à la vie, une esquisse musicale du quotidien avec ses joies et ses peines, une présentation artistique de l'existence humaine et ses nombreuses vicissitudes. C'est ce que j'ai perçu dans le morceau, à travers les nombreux rifts de Hama sur son clavier.
« Bororo » m'a aussi beaucoup parlé, certainement parce que son intitulé trouve un sens dans ma langue le sango (République Centrafricaine), où il est utilisé pour désigner les Peuls.
Appelés aussi Foulani ou encore Fellata selon les pays, les Peuls sont un peuple traditionnellement pasteur établi dans toute l'Afrique de l'Ouest et au-delà la bande sahélo-saharienne. Ils sont particulièrement nombreux au Nigeria, au Niger, dans le nord du Cameroun, au Mali, au Sénégal et en Guinée (32,1 % de la population).
Du fait de leur nomadisme, les Peuls ont répandu leur art dans plusieurs régions du continent africain. Le morceau « Bororo » a été l'occasion de constater le trait culturel qui les lie, malgré leur éloignement géographique.
Son tempo rapide, chargé d'allégresse, recrée l'ambiance du worso, une fête peule du printemps, au cours de laquelle les hommes dansent le guerewol pour tenter de courtiser les charmantes demoiselles.
Avec son fond monotone et les nombreuses improvisations de Hama sur son clavier, « Takamba », exécuté selon le principe solfégique de la gamme chromatique, m'a quelque peu choqué. Une sorte de musique de thriller à l'africaine, qui installe le suspens, inspire la peur, la terreur.
Dans la même veine, « Wassa », « Touareg » et « Baoura » semblent avoir été écrits pour traduire d'ineffables émotions. Ces morceaux poussent à la transcendance et vous happe littéralement dans l'univers riche de Hama.
Avec ses bonus « Takamba remix » et « Yeta Yeta », Houmeissa, mis en vente ici à partir de 17 dollars US, vaut bien son prix.
Voyage au coeur du Sahel comme je l'ai appelé dans mon introduction, l'opus de Hama est un produit du label Sahel Sounds, dirigé par l'américain Christopher Kirkley.
Petit bémol cependant, j'aurais aimé entendre des voix d'hommes s'exécuter sur certaines pistes de l'album qui est exclusivement instrumental. Ç'aurait été aussi intéressant d'y faire intervenir quelques instruments traditionnels pour apporter plus d'allure à l'oeuvre.
Vous en demanderez peut-être un peu plus vous aussi en l'écoutant, mais le travail de Hama est bel et bien achevé, il ne reste plus qu'à l'apprécier.
Il est évident que jamais personne n'épuisera le contenu de cette vaste oeuvre. Les 40 minutes d'écoute de Houmeissa m'auront laissé de nombreuses interrogations et cela fait son charme, que pour saisir davantage, je me devrai de réécouter une infinité de fois.
Artiste : Hama
Album: Houmeissa
Label & Année : Sahel Sounds (Niger), 2019
Commentaires