Jowee Omicil/Jonathan Jurion : « Sénégal nio far ! »
Vendredi 27 mars, 15H30 – depuis le grand corridor du Djoloff Hotel de Dakar, une musique appelle. Puissante et épurée, elle retentit des travées de la cave, le célèbre repère des « jazzophiles » de la capitale sénégalaise.
C’est enthousiaste que je me dirige vers la pièce, et en ouvrant la grande porte noire, le talent des 2 artistes qui jouent m'éblouit : le saxophoniste Jowee Omicil (Haïti/Canada) et le pianiste Jonathan Jurion (France/Guadeloupe)…
Les 2 créateurs sont à Dakar pour des shows dans le cadre du spectacle Regards sur cours et la saison Caraïbes de l’Institut Français du Sénégal.
C’est tout sourire, après le plaisir d’un énième jam partagé pour la préparation de leurs shows du 29 et 30 avril à Dakar, dont 2 sur l’île historique de Gorée, que Jowee Omicil et Jonathan me rejoignent dans l’ambiance intimiste et tamisée de « la cave », pour une conversation sympathique et riche…
Bonjour Jowee et Jonathan, c’était un vrai bonheur d’assister à cette répétition, et je suis particulièrement séduit par votre complicité sur scène. Depuis quand jouez-vous ensemble ?
Jowee - depuis toujours, ai-je envie de dire…
C’est vrai que c’est maintenant seulement que les gens nous voient monter sur scène ensemble parce que des projets nous réunissent, mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que Jonathan et moi jouons ensemble depuis de très longues années…
On a commencé au piano, qui est en quelque sorte la base, mais après je suis allé vers les instruments à vent et désormais, c’est un plaisir d’être accompagné par lui, que j’appelle le « mooc évolué ».
Jonathan – oui Jean, Jowee et moi avons partagé des moments intenses de complicité. Je me souviens encore de l’enregistrement de ses albums Let’s BasH ! (2017) et Love matters (2018) ; nous étions enfermés dans le laboratoire, rien que nous deux, pour travailler sur les compositions piano/sax. C’était extraordinaire !
Justement, parlant de ce duo piano/sax – les plus petits combos de jazz que j’ai l’habitude de voir jouer, ont entre 4 et 6 musiciens, mais vous avez pour votre part, choisi d’évoluer à 2 sur scène. Cette configuration vous permet-elle de passer aisément sur toutes les scènes de jazz ?
Jowee – oui, c’est plus flexible et de toutes les manières, c’est sous cette formule que Jonathan et moi avons commencé ; ce n’est donc qu’un retour à la case de départ.
Jonathan – effectivement, nous sommes revenus à cette musique « ordinaire » que nous pratiquions avec tant de passion à nos débuts.
« Ordinaire » parce qu’elle nous permet d’être libres et de nous passer de bien de supports comme la batterie ou la basse, mais sans jamais trahir les fondamentaux du jazz. Cela nous permet aussi d’ouvrir notre musique et de pouvoir interpréter les choses différemment, à notre façon…
Jowee, tu es né à Montréal (Canada) foyer de musiques populaires, mais tu es originaire d’Haïti, le bassin du compas. Qu’est-ce que ça te fait d’être jazzmen dans ce contexte ?
Il faut déjà dire que dans ma pratique de la musique, je ne me limite pas qu’au saxophone et aux instruments à vent – c’est une façon de dire, que je ne me limite pas qu’au jazz.
J’ai de nombreux ancêtres qui viennent de loin, j’ai beaucoup d’amis musiciens, je suis le fruit d’un important métissage – tout cela m’inspire de la variété. Je ne me prive jamais d’apprendre d’autres styles, de collaborer avec des artistes d’autres horizons, et d’élargir mon univers musical…
Sénégal nio far !
Jowee, ce n’est pas ton premier voyage au Sénégal et tu dois y proposer 2 shows ces prochains jours. Trouves-tu ce public connaisseur ?
Jowee - Sénégal nio far (Sénégal on est ensemble - en wolof, la langue sénégalaise) ! Oui je trouve le public sénégalais accueillant et connaisseur de grande musique. Mais là encore, je dois rappeler que je suis un artiste très ouvert ; je ne viens pas ici pour jouer du jazz pur, mais pour expérimenter de nouvelles choses et trouver une interaction avec le public selon ce qu’il aime écouter.
Je sais faire beaucoup de choses ; plus jeune, le BPM de mon ADN était le hip hop et la house music ; je consomme tous ces genres, mais aussi de l’électro ou de la musique de chambre, et je sais les exploiter pour enrichir et donner plus de couleurs à mon répertoire.
Jonathan – oui, le jazz sert à caractériser notre principal goût musical, mais d’où nous venons, la Guadeloupe pour moi et Haïti pour Jowee, nous baignons dans de nombreuses influences et cela nous permet d’avoir une musique plus dense, adaptée à de nombreux publics.
Nous avons su développer un langage musical qui s’appuie certes sur le jazz, mais qui parle à toutes les sensibilités et qui permet à chacun de s’y reconnaître.
Île de Gorée – des siècles d’histoire et tout un symbole pour le peuple noir ; qu’est-ce que ça vous fait d’être invité par l’Institut Français à jouer sur ce lieu ?
Jonathan – c’est forcément quelque chose qui nous touche, car notre histoire est liée à l’esclavage…
Nous nous sentons africains quoique l’on puisse dire, et depuis nos îles, nous ressentons un attachement très fort à ce grand continent. C’est vraiment très bien que l’Institut Français nous emmène ici, mais c’est quand même un peu déplorable d’attendre que cette rencontre soit favorisée par un quelconque organisme.
Nous devons nous battre nous-mêmes pour multiplier les aller-retours entre les Caraïbes et l’Afrique, même si ce n’est pas toujours aisé. Nous devons recréer la fraternité et réduire la distance que l’histoire nous a injustement imposée.
Aux Antilles, en général, nous sommes tous mus par ce désir profond du « retour en Afrique », ne serait-ce que pour visiter. Mais bien souvent, les moyens font défaut…
Ce profond désir du « retour en Afrique », comment, en tant que musiciens caribéens, le traduisez-vous dans vos créations ?
Jowee – ce sentiment prend forme dans notre style de composition, dans notre façon de jouer les instruments et de sentir les rythmes. Nous puisons beaucoup dans nos musiques tribales, qui restent sacrément ressemblantes à ce qui se fait en Afrique dans des pays comme le Bénin ou le Sénégal.
Jonathan – oui et il faut dire que nous collaborons aussi beaucoup avec les artistes d’Afrique pour préserver le lien culturel et combler ce désir du retour. Nous avons notamment joué avec Jendah Manga, Richard Bona, Cheick Tidiane Seck, Paco Séry, feu Tony Allen – nous ne gardons que d’immenses souvenirs de toutes ces personnalités…
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