L’industrie du disque au Congo-Brazzaville
Par Privat Tiburce Martin Massanga
L’industrie musicale du Congo Brazzaville est en perte de vitesse depuis la fin des années 80 du siècle dernier. Elle aura été l’une des plus fleurissantes d’Afrique. Aujourd’hui, elle connait une sorte d’essoufflement, malgré son remarquable pédigrée.
Elle souffre d’un manque d’organisation (production, distribution et promotion) et dépend d’un secteur qui a du mal à se repositionner au regard de la numérisation, d’internet et de la concurrence menée par le souffle des nouvelles vagues musicales ouest-africaines (Coupé Décalé ivoirien, Azonto ghanéen et sonorités nigérianes) et du manque d’intérêt des pouvoirs publics. Le secteur reste encore plus ou moins informel et connait depuis les années 1950 diverses fortunes.
Prémices d’une musique et balbutiements d’une industrie
L’histoire de la musique du Congo Brazzaville se confond avec celle de la RDC. De la pratique à la diffusion, cette industrie est marquée par moult échanges entre les musiciens des deux pays d’une part, et les faiseurs de tubes (techniciens, producteurs, promoteurs, médias…) d’autre part. Ces professionnels et entités du domaine ont en partage la même langue de travail (Lingala), les mêmes structures et aussi la même cible. On essaie de situer la genèse de la musique congolaise dans la période relative à la naissance des premiers quartiers de Brazzaville : Bacongo et Poto-Poto[i]. Il s’agit simplement de ses premiers balbutiements.
Dans un article publié en juillet 2010 dans Le Potentiel de Kinshasa et repris sur le site Mbokamossika.com, Jeannot ne Nzau Diop, exprimait l’impossibilité de cette entreprise de marquage temporel: « Parler de la musique congolaise d’avant 1930 est un exercice difficile à soutenir, parce que sans archives et autres documents probants , nous ne serons pas en mesure de situer notre musique au moment de l’urbanisation des cités de Léopoldville et de Brazzaville. A partir de 1930, on pouvait observer ce qui constituait déjà le repère qui permet aujourd’hui de parler de l’émergence du phénomène musical congolais moderne. » C’est ainsi qu’on considère Paul Kamba[ii] comme le père spirituel de la musique moderne du Congo Brazzaville au travers de son groupe Victoria Brazza à partir des années 30-40 (du 20ème siècle). Mais cette première génération n’a pas laissé grand-chose concernant les matériaux enregistrés. Les quelques œuvres de l’époque disponibles aujourd’hui ont été enregistrées à Kinshasa auprès des commerçants grecs (Edition Ngoma) et à Radio Brazza.
Quelques facteurs historiques du développement musical au Congo
La musique congolaise s’est vite développée dans les années 40-50. Plusieurs situations l’ont mise en relief : le contexte politique de l’époque (la guerre mondiale) fut un des facteurs de son développement. Tel que le souligne Sultan Zembellat sur le site Maziki.fr[iii] : « Il importe de rappeler que Brazzaville la capitale de l’Afrique Equatoriale Française et de la France Libre à cette époque est une ville importante, une plaque tournante musicale du fait d’installation par les colons français d’un puissant émetteur de Radio qui diffuse des musiques et surtout celles des groupes locaux. De 1940 à 1960 la Radio Brazzaville arrose toute l’Afrique de la Rumba congolaise. De plus, des lieux de bals dansants tels que Faingnond, Congo Ba font de Brazzaville un lieu d’animation et d’ambiance. » Il faut y ajouter la commercialisation des phonographes ayant permis à certains foyers aisés d’apprécier les œuvres de leurs compatriotes. La musique moderne se démocratisait. Les installations de la radio faisant aussi office de studio d’enregistrement.
L’âge d’or : omniprésence de l’Etat, studios modernes, salaires et droits d’auteurs
Les années 60, 70 et 80 du 20ème siècle ont vu éclore des groupes et individualités : Bantous de la Capitale et Essous, Franklin Boukaka, Rido Bayonne, Les Mbamina, Pamelo Moun’ka, les Anges, Casimir Zao, Ange Linaud Ndjendo, Trio Cepakos, Pierre Moutouari, José Missamou, Tchiko Tchikaya, Aurlus Mabélé et Loketo,Mamy Claudia. Ces années ont vu l’émergence des groupes et la mise sur pied des structures discographiques. Cette ère flamboyante a été rendue possible, en partie, par la prolifération des studios mobiles. Grâce à des magnétophones Nagra, les artistes enregistraient à leur lieu de répétition, de concert ou au domicile d’un proche. Gérard Kimbolo de Ballet les Anges s’en souvient : « Nous avons réalisé beaucoup d’enregistrements ici chez nous à Moungali sur l’avenue de la Paix, le siège du groupe Ballet les Anges et notre lieu de répétition. D’autres groupes venaient aussi le faire ici.»
Cette période marquée par le parti unique faisait de l’Etat le principal promoteur de la culture. Le gouvernement avait érigé des structures de production musicale. Certains musiciens devenaient des fonctionnaires de l’Etat, d’autres des salariés des entreprises propriétaires d’orchestres (Super Comerail de la Comilog[iv], Hydro-Musique d’Hydro-Congo, Télé-Music de l’Onpt[v] ), et d’autres encore touchaient régulièrement leurs droits d’auteurs à la Sacem[vi] ou au BCDA (Bureau Congolais des Droits d’auteur).
La Socodi[vii] (société congolaise du disque) est créée en 1970 pour assurer la production discographique de tous les orchestres. Elle est remplacée en 1983 par l’IAD[viii] (Industrie Africaine du disque) qui fut, à la fois, un studio de 24 pistes, un label de production, de distribution et une usine de pressage de disque vinyle et de duplication des cassettes.
Cet âge d’or était marqué principalement par la rumba. De 1960 à 1980, on pouvait dénombrer une centaine d’orchestres pratiquant ce genre symptomatique de la musique congolaise. Bien que d’autres styles avaient aussi su se mettre en valeur : des chansonniers (Franklin Boukaka et Jacques Loubelo), des orchestres de musique de recherche comme les Mbamina, des groupes vocaux(Les Cols bleus[ix] avec Rigadin Mavoungou ou Les Ombres), des ballets-orchestres (Lemba avec Michel Rapha), des griots (Loussialala) ou des saltimbanques et chanteurs comme le groupe Très Fâchés. Cependant, ce parrainage d’Etat n’a hélas pas permis la viabilité durable de cette industrie ni une vraie émergence du secteur de la musique. L’Etat n’étant pas un bon acteur commercial.
Des Mécènes aux producteurs amateurs
Malgré des années fécondes et de présence soutenue sur le marché africain, la musique congolaise n’a pas bénéficié d’une véritable structuration de sa chaine de valeur. Des mécènes ou bienfaiteurs faisant office de producteurs. Quant à la distribution, elle est toujours entre les mains de simples commerçants. Dans leurs magasins, il n’était pas rare de voir des appareils de duplication illégale. Il n’a existé aucun grand label de distribution. On achète toujours les disques dans les kiosques ou des étalages des marchés. Quelques producteurs avaient, un tant soit peu, des labels organisés: Tamaris, Disco Mabélé, Bono Music, Ndiaye. Toutefois, il y a eu des chanteurs qui ont pu bénéficier de l’expertise des labels étrangers (antillais, africains et européens) : Eddyson, Pathé Marconi, Syllart production, Sonima, JPS et Gefraco.
Période de vache maigre
Cette industrie n’est pas encore sortie de l’auberge. Depuis la fin des années 90, elle est dans le creux de la vague. La piraterie l’a largement laminée avec l’arrivée du numérique. Tous les grands noms d’alors ont presque disparu. La nouvelle génération peine à redonner une nouvelle dynamique à cette industrie. Malgré les quelques grands événements organisés par le gouvernement à coups de milliards de francs CFA comme le Festival Panafricain de musique. Quant aux maisons de production, elles n’existent plus. La seule qui depuis bientôt huit ans propulse, sans grand succès, un certain nombre de groupes est Letiok production.
Les médias, non plus, ne jouent un rôle important dans la promotion des artistes locaux. Quant à la question des droits d’auteurs, elle reste encore un grand chantier bien que des améliorations ont été enregistrées dans la collecte et la redistribution de cette redevance par la Bureau Congolais des Droits d’auteurs depuis l’arrivée de Maxime Foutou à sa tête. La seule planche de salut pour les artistes reste aujourd’hui les dédicaces, bien qu’elles écorchent la qualité artistique des œuvres produites.
[i] Vers 1900 [ii] Paul Kamba (1912-1950), dit « Tata Paulo », est le père tutélaire de la musique moderne [iii] Anthologie de la musique centrafricaine [iv] Compagnie Minière de l’Ogoué de droit gabonais ayant eu pour base la ville de Makabana [v] Office National des postes et télécommunications [vi] Société des Auteurs, Compositeurs et Musiciens de droit français [vii] Studio d’enregistrement et fabrique de pressage installés par la coopération chinoise [viii] Elle a été saccagée lors des guerres à répétition ayant touché Brazzaville dans les années 90. L’artiste béninois Nel Oliver fut l’un des premiers techniciens. [ix] Groupe vocal de Pointe-Noire
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