La rumba congolaise proclamée « patrimoine culturel national »
Par Lye M. YOKA
La ministre de la culture et des arts Astrid Madiya Ntumba, après avis de la Commission nationale des sites et des monuments ainsi que celui de la Commission de promotion de la rumba sur le plan national et international, a décidé par arrêté ministériel, le classement de la rumba congolaise sur la liste du patrimoine culturel immatériel national. Un vrai événement unique dans ce domaine depuis 1960 !
Ainsi, il semble bien parti le processus enclenché depuis 2012; depuis le symposium organisé par la Commission nationale pour l’Unesco et la Commission correspondante belge francophone en vue de la promotion du patrimoine culturel congolais.
L’on sait comment, depuis lors, en partenariat avec le Bureau de l’UNESCO à Kinshasa, la Commission nationale pour l’UNESCO, l’agence de communication EALE CMCT, la Délégation Wallonie-Bruxelles, l’Institut national des arts (INA) s’active à inscrire la rumba congolaise sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial de l’humanité. Fort heureusement, le ministère de la culture et des arts a été attentif à cette initiative de portée internationale.
Afin d’arriver à l’étape ultime de la reconnaissance mondiale, il est bon de rappeler les critères à remplir par les Etats candidats, à savoir :
1) la reconnaissance de l’élément proposé comme ayant une valeur exceptionnelle et indéniable, au titre national et international ;
2) la reconnaissance de la valeur pérenne de l’élément et de son enrichissement de génération à génération ;
3) l’adhésion de la communauté à cette reconnaissance ;
4) l’adhésion de la société des scientifiques et des chercheurs spécialistes ;
5) la prise en compte formelle par l’Etat concerné de l’importance nationale de l’élément ;
6) la constitution d'inventaires et de « pièces à conviction » probants par rapport à la valeur de l’élément. S’agissant du processus, les animateurs du projet ont rempli presque tous les critères, et une requête a été adressée à l’UNESCO-Paris, via la Commission nationale pour l’UNESCO, afin d’obtenir des appuis en termes de consultation nationale et internationale, concernant particulièrement les inventaires.
Comme on voit, l’arrêté ministériel susmentionné vient compléter et enrichir ceux signés en août 2016, et qui instituaient la Commission de promotion nationale et internationale de la rumba congolaise, ainsi que les membres de cette Commission. Les motivations justifiant le dernier arrêté de reconnaissance de la rumba au titre de Patrimoine culturel immatériel national, outre qu’elles préparent le classement international, mettent l’accent sur l’urgence de la conservation d’un élément qui, de génération à génération, a toujours été l’expression éminente de la diversité culturelle, des qualités esthétiques et artistiques, ainsi que des exhortations à la solidarité communautaire.
Si l’on ajoute à cela l’odyssée de cette musique, telle qu’elle a tracé ses itinéraires et son imaginaire au-delà des siècles et des continents, depuis la traite négrière au 15e siècle, en passant par des allers-retours durant la colonisation au 19e-20e siècles comme produit complètement transformé et commercialisable, jusqu’à son surgissement spectaculaire, notamment au Congo, dans une synthèse dynamique, passionnante et passionnée, on comprend alors combien cette odyssée fait corps intime avec son épopée fulgurante.
Cette épopée (« epos » en grec signifie « récit »), démontre que la rumba est plus que la seule musique ou la seule danse.
Elle est devenue au fil des innovations, une façon et une passion de vivre , un mode de séduction, de jubilation certes, mais aussi une attitude d’interpellation et de résistance face aux incertitudes de la vie… En plus cette épopée a pris en compte à la fois les dimensions musicales, littéraires, « sapologiques » (vestimentaires), et même politiques.
On peut se réjouir que depuis une vingtaine d’années, des travaux de recherches de pointe, au Congo et à l’étranger, sont menées par des universitaires et par des indépendants pour relever ces caractéristiques d’odyssée et d’épopée, tout en les reliant à des stratégies historiques, scientifiques et artistiques de coalition et de réseautage vis-à-vis des autres pays et des autres continents concernés, comme le Congo-Brazzaville, l’Angola, le Cameroun, le Brésil, Cuba ; ou comme l’Amérique latine en général, l’Europe latine, l’Afrique et sa diaspora.
A l’INA, les chercheurs ont mis au point, principalement grâce à des logiciels spécialisés, des méthodes de notation avec comme objectif essentiel le passage d’une musique somme toute orale à une musique contemporaine écrite sur partitions et avec possibilité d’une réorchestration relevée, inédite.
Deux anthologies ont ainsi été produites à ce sujet par les soins de la Section Musique de l’INA, en partenariat avec la Délégation Wallonie-Bruxelles. On y trouve, dans ces anthologies, des partitions inédites et retravaillées avec rigueur, des textes les plus emblématiques des auteurs-compositeurs les plus en vue, les plus talentueux, toutes générations et tous genres confondus.
Il reste à présent que la musique congolaise moderne, à travers ses textes littéraires les plus parlants et les plus poétiques, soient enseignés à nos enfants, au nom de leur édification culturelle et intellectuelle et au nom de la promotion des pièces-maîtresses conformes à nos identités culturelles nationales.
Il reste également que les préjugés injustifiés des censeurs soi-disant bien-pensants soient balayés sur base des preuves d’une musique autrement compétitive, qui soit professionnalisée, encadrée, promue en tant que source et ressource de développement.
Il reste enfin de répertorier les ensembles, les institutions, les chaînes radiotélévisées de pointe, dans la perspective de recherches pour la seule qualité de la musique, à l’exclusion de toutes autres expériences d’antivaleurs ou de morosité esthétique. Cela suppose des commentateurs et des critiques d’art confirmés, c’est-à-dire informés et formés, et non plus des chroniqueurs « débrouillards », prosélytes de « mabanga » comme mode de survie alimentaire...
Je le répète : les « mélomanes » et autres spécialistes de la rumba congolaise devraient se réjouir : c’est depuis 1960, depuis 57 ans qu’ils ont attendu cette promotion de la rumba au rang reconnu du patrimoine culturel national… Oui, un vrai événement qui n’est pas moins un paradoxe !
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