Le highlife en Afrique de l’Ouest
Ce texte donne un aperçu des origines, de l’évolution et du statut du highlife en Afrique de l’ouest.
Même si ses origines sont peu claires, le highlife s’est imposé au cours du 20e siècle comme la lingua franca musicale de l’Afrique de l’Ouest anglophone (et quelques régions de l’Afrique francophone) – et son héritage demeure encore de nos jours.
Les origines du highlife
Il est difficile d’identifier la nature du highlife car le son, la fonction et le genre lui-même évoluent constamment. 75 ans d’existence? Un siècle ? Peut-être plus ? Personne ne le sait. Ce genre provient-il du Nigéria ? Du Ghana ? De la Sierra Leone ? Est-il apparu spontanément dans différentes régions de la côte ouest africaine ? Au-delà de l’Atlantique ou quelque part dans les Caraïbes ?
Alors que les racines du highlife s’étendent à travers l’Afrique de l’Ouest, la Côte de l’Or- aujourd’hui connu sous le nom de Ghana- est typiquement reconnue comme point de convergence. La Côte de l’Or accueille une tradition musicale progressive à commencer par l’adaha, une fanfare africanisée datant de la moitié du 19e siècle lorsque le Régiment des Antilles de Jamaïque de Sa Majesté est affecté sur la Côte du Cap avec des tambours et des marches de fanfare ainsi que des mélodies caribéennes. Alors que la popularité de l’adaha s’étend sur tout le territoire, son exécution dépend d’instruments en cuivre très couteux ce qui donne naissance à une nouvelle version plus abordables de la musique dans les cercles moins élitistes. Ainsi né l’osibisaaba, exécuté par des percussions et des instruments plus accessibles tels que la guitare et l’accordéon.
La guitare est originairement popularisée par des marins de la côte Kru du Libéria. Au début du 20e siècle, alors qu’ils traversaient les ports ouest africains, ils diffusèrent une technique basique en chantant des chants inspirés de chants marins anglais et de mélodies caribéennes. Le style s’infiltre en Sierra Leone, et est connu comme le maringa ou en termes plus familiers la « palm wine » - car typiquement jouée dans des bars qui servaient la boisson locale, le vin de palme fermenté. Au Ghana, le guitariste Jacob Sam modifie le son de la palm wine de rythmes indigènes à la guitare avec son trio Kumasi. Il compose aux alentours de 1919 ‘Yaa Amponsah’, la chanson aujourd’hui considérée comme le prototype d’un genre nouveau : le highlife.
Mais pourquoi « highlife » ? On pense que le nom est apparu comme une réflexion du profil plus glamour donné à la musique des orchestres de la haute société qui jouaient lors des danses formelles organisées par l’élite ghanéenne émergente. Alors que ces orchestres et leurs audiences étaient fiers de leur restitution parfaite de la musique de bal occidental; vers le début des années 20, leur répertoire est parsemé de mélodies palm wine. Ces morceaux sont bien reçus des audiences qui saluent l’occasion de sortir des pas rigides et copieusement répétés de la valse, du foxtrot, du quickstep, du tango et du quadrille pour se dégourdir les jambes dans les mouvements spontanés et déhanchés des rythmes locaux familiers.
Ces bals sélects sont ouverts aux quelques chanceux qui peuvent se permettre d’observer le code vestimentaire – même si le prolétariat est autorisé à rôder à l’extérieur, observant des fenêtres les rites exubérants d’un bal. Le musicien d’orchestre Yebuah Mensah se rappelle: “le terme ‘highlife’ fut créé par des gens qui se rassemblaient autour des boites de nuit, pour regarder et écouter les couples s’amuser. Le terme désigne d’abord les musiques indigènes jouées à ces endroits par des groupes tels que les Jazz Kings, les Cape Coast Sugar Babies, Sekondi Nanshamang ou plus tard l’Accra Orchestra. Le highlife pour ceux qui n’ont ni l’élégance ni les moyens de se permettre un billet d’entrée de 7s.6d ou encore les tenues de bal et chapeaux haut-de-forme.
La montée du highlife: l’héritage d’E.T Mensah
Emmanuel Tetteh Mensah (1919-1996), le petit frère de Yebuah Mensah, est celui qui permettra au highlife de sortir des salles exclusives. E.T Mensah commence à jouer dans les grands orchestres de bal. Les soldats américains en affectation au Ghana après la Seconde Guerre Mondiale, popularise le jazz et le swing et c’est ainsi que Mensah connait le succès avec les Tempos, un petit groupe d’influence swing qui s’essaie au calypso ainsi qu’à une version jazz du highlife. E.T Mensah et les Tempos font un tabac lors de leur tournée au Nigéria en 1953. Les stations de radio ne jouent que les morceaux de Mensah et les groupes nigérians n’ont d’autre choix que de reprendre les morceaux de Mensah pour satisfaire l’envie insatiable du public pour le nouveau son ghanéen.
Bobby Benson (1921-1983) – dont le Jam Session Orchestra se spécialise typiquement dans le jazz, le blues, le calypso et le mambo- est le premier chef de bande à tenter de copier Mensah. Mais, la première réelle superstar nigériane du highlife est Victor Olaiya (né en 1931) qui à la fin des années 50 remplit ses sets entiers de sons de Mensah ainsi que des Black Beats, Red Spots, Rhythm Aces et autres nouveaux orchestres de danse ghanéens qui ont fleuri à l’arrivée du phénomène Mensah- tous traduits en langues locales nigérianes.
Mensah fait de longues tournées à travers l’Afrique de l’Ouest, allant au Dahomey (Bénin actuel), au Cameroun, au Liberia, à Sierra Leone, en Guinée et au Togo. C’est ainsi qu’il institue sa musique comme son africain le plus stylé et moderne – une musique africaine du futur, emblématique du continent marchant avec force du colonialisme à l’indépendance. En effet, peu de temps après l’indépendance du Ghana en 1957, le président Kwame Nkrumah déclare le highlife comme musique officielle de la nouvelle nation. Des musiciens nigérians tels que Roy Chicago (1931?-1989) y infusent des éléments locaux comme le yoruba pour éviter toute association au highlife ghanéen.
La croissance du highlife à travers la côte ouest africaine: 1960 à nos jours.
Rex Jim Lawson (1937-1971) est sans doute le chef de bande le plus connu pour avoir injecté un caractère distinctement nigérian au highlife. Il s’inspire des rythmes d’ashiko et autres musiques indigènes pré-highlife de sa région natale du Niger Delta. Le nigéria revendique le highlife comme musique national après son indépendance 1960. Entre temps, au Sierra Leone, la musique de Mensah est fortement appréciée mais l’orchestre de danse des Tempo’s ne semble pas plaire contrairement à la palm wine executée par Ebenezer Calendar (1912-1985) et son Maringer Band, S.E Rogie (1926-1994) et Famous Scrubbs.
La guerre civile de 1967 à 70 interrompt tout débat sur le statut du highlife comme musique nationale au Nigéria. Avec la division ethnique et politique du pays, la musique aussi se divise. La plupart des musiciens du highlife proviennent de la région orientale du pays et cherchent à faire sécession. Ils désertent la capitale de l’époque, Lagos pour retourner dans leurs villes natales laissant place au juju. Le highlife n’est plus la voix universelle et bien aimée d’un Nigéria unifié mais le genre continuera de grandir dans le Nigéria oriental et midwest avec encore plus de variantes. Stephen Osita Osadebe (1936-2007) et Celestine Ukwu (1940-1977) transforment la tradition de l’orchestre de danse en s’inspirant davantage du folklore igbo et en atténuant le bombas cuivré avec des rythmes afro-cubains languides et doux. Victor Uwaifo s’inspire également de la musique cubaine et du folklore de son Edo natal ainsi que du rock n’ roll pour développer sa propre variante dénommée akwassa. L’ensemble igbo Oriental Brothers abandonne l’orchestre de danse et la trompette et universalise un nouveau groupe de guitares flashy préférant s’inspirer des solos de guitares électriques du soukous, de la rumba du Congo et du Cameroun que des favoris ghanéens comme “Yaa Amponsah”.
La nouvelle guitare highlife gagne de en popularité où les vieux orchestres de danse sont remplacés par des styles importés comme la soul et le reggae, donnant naissance à des nouvelles stars tels que African Brothers, le groupe d’Alex Konadu’s, les City Boys et les K. Gyasi’s Noble Kings. L’instabilité économique et politique des années 80 voit cependant la fin de la culture highlife contemporaine.
Conclusion
L’esprit du highlife ne s’est pas complètement éteint – il est juste sous une autre apparence. Le highlife aujourd’hui s’est fondamentalement imposé comme la lingua franca de l’Afrique de l’Ouest anglophone (et quelques régions en afrique francophone). Ses concepts rythmiques et mélodieux composent l’ADN qui continue d’animer la diversité sonore régionale. « Chaque musique au Nigéria emprunte quelque chose au highlife » déclare Victor Olaiya, qui maintient la flamme du highlife allumée à plus de 80 ans. « Que ce soit le fuji, le juju, l’afro-juju, ou l’afro n’importe quoi ; toutes ces musiques ont un ou deux éléments du highlife».
Si on écoute bien, on peut même entendre le rythme décalé du highlife murmurant au ‘Naija’, son hiphop tendance. La variante ghanéenne de ce style contemporain ne se cache pas d’être plus évidente de par son propre nom inspiré du genre : le « hiplife ». Alors que les jours où les africains sciemment cultivés et vêtus de robes de soirées, grands chapeaux et queues de pie exprimant leur africanité sur des rythmes natifs joués par des orchestres de bals à influence occidentale s’estompent, l’Afrique de l’Ouest continue de vivre le highlife.
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