L’enseignement de la musique en Guinée Bissau
Enseignée depuis toujours dans les circuits traditionnels et familiaux, la musique en Guinée Bissau est aujourd’hui, dans sa transmission classique et contemporaine, aux mains des structures privées, des centres culturels, des ONG et des professionnels de la musique.
Transmission familiale et traditionnelle
Pendant longtemps, la musique a été enseignée en Guinée Bissau dans les seules structures traditionnelles comme les réseaux familiaux. Ainsi un musicien comme Kaba Mané, roi du koussoundé, d’origine socé, diola et ondame (ethnies de la Guinée Bissau), a appris les percussions mandiana et goumbone auprès de ses oncles avant de s’initier à la kora auprès du griot mandingue Djeli Cissokho.
Des structures comme les « mandjuandades », organisations culturelles et solidaires des quartiers et des villages existant depuis plus de 100 ans et destinées à la défense et la transmission des valeurs culturelles et de la musique, jouent un rôle majeur dans la transmission des héritages traditionnels.
L’intérêt des « mandjuandades » est de fédérer les différentes traditions musicales dans les quartiers et donc d’offrir un répertoire riche et varié à la jeunesse, comme le souligne le musicien Aliou Barri : « Les traditionalistes ont des difficultés à montrer tout ce qu'ils ont. Comme les « mandjuandades » sont composées de personnes de différents groupes ethniques, chacune présentant sa propre identité, l'organisation de ces rencontres permet de faire découvrir toutes les cultures guinéennes. Les groupes exécutent des chansons de toutes les ethnies du pays ». Forme d’ « écoles de circoncision », les « fanados de matcho », périodes d’initiation liées à la circoncision, ont un rôle d’apprentissage de l’âge adulte et de la musique pour les jeunes garçons.
« Mocidades » et écoles des orchestres
Sous la dictature salazarienne qui ne désirait pas encourager les musiques de ses colonies, les « mocidades », forme d’écoles de scoutisme, proposait un enseignement classique occidental et formait les jeunes à la guitare, au piano et au chant. Au moment de l’indépendance, Luis Cabral, frère d’Amilcar Cabral, fondateur du PAIGC assassiné en 1973, qui dirigera le pays jusqu’en 1980, encourage l’avènement d’une musique moderne guinéenne.
Certains artistes partent se former à Cuba comme Aliu Barry, le leader de Cobiana Jazz, devenu le directeur des Arts et des Scènes entre 1978 et 1980. La Guinée Bissau crée à cette époque l’Ecole des Arts et la Scola da Musica qui propose un enseignement classique (solfège, guitare, piano, etc…) à une petite élite d’étudiants.
Plusieurs groupes pionniers devenus aujourd’hui légendaires comme le Cobiana Jazz, le Super Mama Djombo et le Nkassa Kobra lancent alors une « école des orchestres » qui s’attache à former des jeunes aux divers instruments et aux styles en vogue de l’époque : salsa, jazz, rumba, fado et une combinaison de rythmes locaux et de musiques caribéennes, brésiliennes et portugaises, qui a inspiré de nombreux artistes de tout l’espace lusophone dont Voz di Cabo Verde, l’Angolais Bonga et la formation Issabary, sans oublier la transmission de l’héritage littéraire porté par les textes de poètes comme Tony Tcheka, Renate Luarence et Noémia De Sousa.
Le rôle des écoles communautaires
Mais les années 1980/1990 qui marquent un recul de la politique culturelle, voit le départ de nombreux artistes vers l’étranger. L’école des Arts et la Scola de Musica ferment leurs portes en 2016. Faute d’enseignants et de moyens (selon une enquête de l’UNICEF, les dépenses d’éducation représentent à peine 9% du budget de l’Etat, contre 20% en moyenne en Afrique et dans certaines régions (Bafata et Gabu), 20% des enfants ne parviennent pas à la fin du cycle primaire), l’enseignement de la musique est absent du secteur public.
Aujourd’hui, la musique (solfège, enseignement des instruments comme le piano et la guitare) est enseignée au sein des écoles chrétiennes dites communautaires, catholiques et évangélistes en particulier comme le Centro Juvenil Jovens para Cristo. Les églises jouent un grand rôle dans l’apprentissage du chant grâce aux chorales dont les techniques vocales ouvrent la voie en Guinée Bissau à d’autres répertoires dont le jazz, la soul et le gospel.
Un rôle de premier plan des acteurs culturels et des ONG
Les Centres culturels étrangers apportent leur pierre à la formation musicale comme le Centre Culturel portugais. Créé en 1989 à l'initiative de l'ancien ambassadeur du Portugal à Bissau, António Pinto da França, cette structure invite des acteurs culturels originaires de tout l’espace lusophone à piloter des programmes de formation et d’échange. Il monte régulièrement à Bissau des ateliers d’initiation musicale (à divers instruments dont la guitare notamment) et mène des actions de formation sur de courtes périodes dans les provinces.
Mais ce sont les professionnels de la musique qui jouent le rôle le plus actif. Ainsi le centre culturel Jose Carlos Schwarz, en mémoire du poète, chanteur et compositeur prolifique, leader du Cobiana Jazz emprisonné en 1971 sous la dictature de Salazar et mort en 1977, dispense jusqu’à aujourd’hui un enseignement classique.
Ces dernières années, plusieurs initiatives intéressantes ont vu le jour comme celle de Netos de Bandim, groupe formé en 2000 par Ector Diogenes Cassamá. Soutenu par plusieurs ONG (Rising Voices, House of Opportunity ou encore Instituto Padre Antonio Vieira), Netos de Bandim a ouvert une école primaire qui donne une éducation de base aux jeunes déscolarisés et les forme aux musiques et danses traditionnelles tout en proposant des spectacles à travers le pays et à l’international.
Au Brésil, en 2013, notamment, dans le cadre du projet Africanizing Marilia, le groupe a animé des ateliers sur la danse et la musique pour montrer le spectre musical riche et varié de la Guinée. Comédien, écrivain, compositeur, chanteur, vivant entre Paris et la Guinée Bissau, Naka Ramiro a ouvert dans le même quartier de Bandim, un village artistique, Ponta Naka, où il organise un festival annuel réunissant de nombreux artistes nationaux et internationaux. Il y assure des productions grâce à un studio d’enregistrement et il organise des workshops pour les jeunes des quartiers défavorisés en faisant venir des professionnels et des instruments d’Europe.
L’originalité de sa démarche est d’allier plusieurs disciplines : une initiation au style créole goumbé (percussions, danse, chant), une découverte des instruments (initiation à la guitare, aux percussions, à la fabrication, rôle social et musical), une formation à l’histoire de la musique guinéenne et aux métiers de la musique comme la sonorisation.
En 2010, avec le soutien de l’ONG Plan international, il a réalisé une tournée dans diverses régions du pays pour étendre son action aux enfants des zones rurales.
Sources
https://journals.openedition.org/cea/2043, centro de estudos internacionais , Ricardino Jacinto Dumas Teixeira, 2016
https://varlyproject.wordpress.com/2010/05/27/soutenir-lecole-de-guinee-...
interview de Naka Ramiro
interview de Albate Osvaldo, gérant de l’espace culturel Ponta Naka
http://association-nakasadarte.org/
Les musiciens du Beat Africain – Bordas Les Compacts
Sans visa, le guide des musiques de l’Espace francophone et du monde – Zone Franche – 1995
https://www.rtp.pt/noticias/cultura/centro-cultural-portugues-de-bissau-...
http://www.afrisson.com/Guinee-Bissau-1605.html
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Édité par Lamine BA
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