Les femmes dans la musique béninoise
La musique, à l’exemple des autres secteurs de création au Bénin, est faite de génie, mais aussi de mécanismes insidieux d’exclusion. En ce sens, les femmes ont pendant longtemps été objet de marginalisation et de préjugés. Toutefois, l'évolution des mœurs a contribué à les décomplexer, à les rendre plus audacieuses, plus confiantes, et surtout, à l’écoute de leurs propres ressentis. Ainsi, dans le domaine musical, elles parviennent mieux à transgresser les normes fixées, à oser et s’épanouissent de plus en plus dans ce secteur dominé par les hommes.
Les pionnières
Il remonterait à l’époque des musiques de tradition orale, le temps où les femmes ont commencé par prendre place dans la musique béninoise. Peut-être à partir du 19ème siècle, mais sans aucun doute jusqu’à la fin du 20ème siècle.
En effet, il y a toujours eu des griottes parmi les peuples et groupes ethniques du pays. Ces femmes étaient soit des louangeuses, des pleureuses, des chanteuses, ou des musiciennes (d’instruments essentiellement traditionnels de l’époque tels que les castagnettes, les gongs, les flûtes artisanales, etc.), soit des conteuses. Elles étaient donc considérées comme les gardiennes des valeurs sociales et des traditions historiques de leur communauté. A la façon de Gnon Yérékou de Tchaourou.
Il faudra cependant attendre autour des années 1960, pour voir une femme s’investir réellement dans le monde de la musique moderne au Bénin. Non sans faire face au machisme, aux critiques dénigrantes, ou encore à des intimidations spirituelles. Cette pionnière moderne : Edia Sophie parviendra avec détermination, en dépit des critères conservateurs, à être la première femme béninoise à s’imposer dans un orchestre tel que le Renova Band.
Il est cependant à observer que parallèlement, dans différentes régions du pays, l’éveil des femmes dans la musique se fait de plus en plus. Le Bénin voit se révéler presque simultanément des chanteuses modernes au seuil des années d’indépendance, et plus encore vers les années 80. En leurs voix se confondent l’angoisse d’une époque post-coloniale, l’exhortation à des aspirations communes de paix, la problématique d’une société humanisante. L’une, Vivi l'Internationale, aura été l’une des voix les plus imposantes en la matière, qui chante à l’orée des échauffourées de la période révolutionnaire, un message d’apaisement, de conciliation ; engagée autant dans la vie sociale que politique.
Une autre : Kiri Kanta, s’affirme dans la zone septentrionale du pays, à partir des années 1978. Grâce à son timbre vocal aux accents sahéliens, elle parvient à s'imposer dans les orchestres où elle chantait (notamment ceux de l’entreprise textile de Parakou « Ibetex », de Sagbohan Danialou, et de Stan Tohon). Son parcours sera marqué par trois albums : Ignin Mindassan paru en 1991, Contrat abeni paru en 1993 en Allemagne, Simbori paru en 2000. Elle fut élevée au grade de Chevalier dans l’Ordre du Mérite, en 1995.
Angélique Kidjo
Angélique Kidjo fait ses premiers pas dans l’arène dès l'âge de six ans, elle apprend les premiers rouages du métier grâce à sa mère et ses frères. Entre soul, rythm and blues, jazz, funk et musique africaine, sa voix décapante et riche de larges possibilités, la rend célèbre dans la sous-région, puis la mène en France et aux Etats-Unis.
Aux côtés du bassiste Jean Hébraïl, qui devient son mari, elle parvient depuis 1990, et au fil de ses quatorze albums, à faire de sa musique un carrefour d’identités, et d’influences. De plus, sur scène, Angélique Kidjo dévoile un tempérament volcanique qui parvient à enflammer et impressionner les publics. Ainsi, au Bénin, elle incarne l’exemple de l’épanouissement totale de la femme dans la musique, tant sa carrière musicale, se veut la plus aboutie ; au point de faire rêver toute aspirante à la musique.
Elle sera suivie par des voix majeures comme celles de Rek Souza, dont le style est la synthèse de la pop occidentale et de deux rythmes traditionnels : l’Agbadjahungbo (version haoussa du rythme fon Aogbahoun), et l’Alizonhoun (musique de marche des haoussas lors de certaines cérémonies religieuses). Puis d’Assy Kiwah, connu pour son succès vers 2000 : « Hwetanou », qui dévoile un univers délicatement fait de nos langues nationales (Fongbe, Yoruba,Dendi,…), nos cultes, nos possessions endogènes.
Les nouvelles générations
La présence des femmes dans la plupart des métiers autour de la musique au Bénin, pourrait avoisiner les 30% avec une répartition très variable selon les secteurs. Les femmes sont par exemple très absentes dans les métiers de manager et de producteur avec un taux d’inexistence de 95%. Or, elles sont présentes à près de 60% pour les chœurs, en studio comme en concerts. C’est probablement, pourquoi il existe une proportion beaucoup plus importante de femmes choristes, chanteuses et danseuses que d'instrumentistes.
Bien sûr, il y a carrément un orchestre de femmes à Parakou ; mais à part cela, beaucoup d'amateurs à Cotonou comme un peu partout dans les autres villes ; et donc, presque pas de professionnelles femmes qui en vivent à plein temps. Cette information n’est cependant soutenue que par des témoignages et non des statistiques qui demeurent très lacunaires, voire inexistantes dans le secteur.
Quoiqu’il en soit, la musique béninoise au féminin pourrait être scindée en six branches : la musique traditionnelle, la musique religieuse, la musique tradi-moderne, la world-music, la musique populaire de variété béninoise, et la musique urbaine.
Puisant dans les différentes danses et les rythmes de nos patrimoines immatériels béninois, la musique traditionnelle est dominée par des artistes tels que Norbèka, le Trio Tériba, Sena Noble (Eloïse Degui), Sèdami (Valérie Azondékon), Princesse Esther Tissoh, etc.
La musique tradi-moderne compte aujourd'hui parmi les genres musicaux béninois en vogue, parce que les artistes y trouvent la panacée entre l'ancrage socio-culturel géographique, la transmission identitaire et la re-création pour un univers tout de même en rapport avec les temps actuels.
On y identifie des artistes tels que Nono Miwa, Blandine N’tcha, Lisa Sala, Yollande Koupey, Stard Love, Marie Sinoubey, Ria Kanté, Princesse Stella, Mariam Kankarou, Fanny Sènan, Akodjènou Noëllie, Marlène Zinsou, Zérina Adjéoda, Princesse Sika, Sèna Joy, Justine Singbo, Tata Grâce, Princesse Amaya, Edwige Hessou, Ba Flora, etc.
La world-music en tant que musique d’ici et d’ailleurs, est généralement perçue comme un genre raffiné pour initiés. Ce qui semblerait justifier une visibilité limitée à l’intérieur du pays mais plus grande en dehors, pour des artistes comme Pépé Oléka, Koudy Fagbèmi, Nila Djogbe, Madou, Falyssath, Kiinzah, Ramou, Fafa Ruffino, Zeynab Habib, Ifè, Faty Kouchekeho, Sessimè, etc.
En ce qui concerne la musique populaire, elle rassemble des artistes dont la musique répond à une vocation festive et/ou dansante. Bien qu’elle puisse emprunter à la mélancolie, ou à des faits divers de nature sociétale ou humaine, cette musique se veut essentiellement commerciale (donc plus rentable), et reste destinée à un public plus élargi.
Dans son élaboration elle peut prêter soit à des concepts nationaux, comme le Noudjihoun, ou le Gogohoun ; soit investir des genres ivoiriens, congolais ou encore d’autres origines. Elle regroupe des artistes comme Okine, Ella Martins, Chokki, Miss Espoir, Oluwa Kêmy, Dossi, Pélagie la vibreuse, La Go H-Ley, Lady G (Lydie Glèlè), Oket Baya, Princesse Charm, Nelly, Linda Dossou, As de Pik, Giselle H, Valérie Mignon, Line Star, Lyss Mouss, Méola, Castella Ayilo, Emmanuelle de Souza, etc.
La musique religieuse au Bénin est avant tout dominée par le Gospel dans lequel excelle particulièrement Anna Teko. Ses consœurs sont : Dona Chanvoedou, Sandra Heriti, Joyce Mambo, et plus récemment Will Honor.
La musique urbaine est essentiellement dominée par le rap, le R’n’B, le reggae et le slam. Il est donc possible d’identifier des chanteuse R’n’B telles que Naria, Mady, Eïssy ; une reggae-woman comme Sèdodé ; des slameuses telles que C@ress et Harmonie ByllCatarya ; des rappeuses, comme Beezy Baby, Kouadja, et Sadky.
En définitive, il en ressort, qu’en dépit des mêmes difficultés liées à la précarité de l’industrie musicale au Bénin, qu’elles partagent d’ailleurs avec les hommes ; les femmes tentent, tant bien que mal, d’exister et de s’imposer. Cependant, il faut dire que leur faiblesse dans le milieu, réside soit dans l’absence de formation, soit dans le manque d’équipe autour d’elles ou de bonnes stratégies de communications pour leurs travaux, soit dans le manque d’implication à part entière dans leur statut d’artiste.
En effet, en dehors de quelques-unes, qui se sont totalement investies dans la création musicale, avec un rythme constant de production, la plupart, a une pratique dilettante, parce qu’exerçant d’autres métiers souvent plus rentables. Il est donc à attendre que des réformes (économiques surtout) dans le secteur, daigne les rendre plus régulières.
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