Les modes de monétisation de la musique du Congo-Brazzaville
Par Privat Tiburce M. Massanga
Comment les musiciens congolais arrivent à vivre de leur musique ? L’auteur présente dans son texte le modèle économique et autres moyens mis en place par les artistes et les professionnels du secteur musical pour gagner de l’argent.
Etat des lieux de l’économie musicale congolaise
La musique congolaise est économiquement à la croisée des chemins depuis environ deux décennies. La page de l’époque où l’on voyait des files de gens devant les boutiques de disquaires attendant la mise en vente d’une nouveauté est définitivement tournée. La vague digitale qui s’est déversée dans ce microcosme y a changé toute la donne. La plupart des labels de production et de distribution ayant fait flores au cours du dernier quart du 20ème siècle ont mis la clé sous le paillasson ou battent de l’aile.
L’autoproduction ayant supplanté la production a pour corollaire la disparition des droits mécaniques. A cette déstructuration de la chaine de valeurs musicale, il sied d’ajouter l’absence des salles de spectacles dans les villes et villages du Congo. Ainsi, les artistes continuent à pérenniser la tradition des concerts dans les bars-dancing. Chose qui n’est plus au goût du jour d’une certaine catégorie de mélomanes. Ce nouveau paradigme oblige les musiciens et leurs staffs de management à ne plus dépendre d’un modèle économique. Seule une stratégie de diversification des démarches commerciales et économiques peut leur permettre de tirer leur épingle du jeu.
Le ‘name-dropping’ (dédicaces ou Mabanga) s’érigeant en modèle économique
Il est devenu de plus en plus rarissime d’écouter une chanson rumba ou un générique[i] (ambiance saccadée) d’un album congolais sans qu’elle ne contienne un florilège de noms débités de bout en bout dans un morceau. C’est l’expression d’un nouveau mode d’autofinancement de la musique. Depuis toujours, la citation des noms de personnes coexistait avec les textes dans la chanson congolaise. C’était une manière gratuite pour les artistes d’exprimer leur reconnaissance vis-à-vis de leurs bienfaiteurs et mécènes au travers de leurs disques.
Mais depuis environ 20 ans, cette pratique s’est à 90 % transformée en business sous l’influence des musiciens de la République Démocratique du Congo. Elle est en grande partie l’apanage de la jeune génération. C’est ainsi que le journaliste et écrivain congolais, Mfumu Fylla Saint-Eudes, dans son livre La Musique Congolaise du 20ème siècle (chronique)[ii] écrit : « Dans un effet de mimétisme général, tous les orchestres citent les mêmes noms aussi bien à Kinshasa qu’à Brazzaville .Certains citoyens lambda à la recherche d’une célébrité futile n’hésitent guère à dépenser leurs maigres deniers pour avoir droit à une dédicace. Par ce biais, les musiciens congolais ont réussi à créer une source de revenus supplémentaires ». Aujourd’hui, le ‘name-dropping’ revêt trois formes : la simple citation de nom, le farotage [iii] et la chanson dédiée. Un musicien, selon sa renommée, peut y gagner de 500.000 francs CFA (1000 dollars US) à 10 millions de Francs Cfa (de 2000 à 20 000 dollars US).
A propos, Raymond Tsi, administrateur du groupe Extra-Musica Zangul, reconnait que « les dédicaces font perdre aux chansons leur valeur artistique, mais elles permettent aux artistes de s’en sortir aujourd’hui. Sans les Mabanga, les jeunes artistes tireraient le diable par la queue. Car une personne citée dans un morceau continue d’entretenir le musicien tout le temps que la chanson aura du succès. »
La Problématique des droits d’auteurs
En janvier 2013, le quotidien Les Dépêches de Brazzaville dans un article intitulé « Les artistes musiciens saluent le travail du Bureau congolais des droits d'auteurs » rapportait le ressentiment des musiciens brazzavillois sur les droits d’auteur: « Depuis que je fais la musique dans ce pays, c'est maintenant que je jouis de mes droits d'auteurs. Même si ce n'est pas consistant, cela me permet de payer mes factures. Les nouveaux dirigeants de ce bureau nous émerveillent chaque jour », s'est réjoui l'artiste Chairman Jacques Koyo. C’est dire que certains musiciens sociétaires du Bureau Congolais des Droits d’Auteur (BCDA) perçoivent, ‘couci- couça’ leurs royalties. D’autres, malgré leur affiliation à cette instance, n’y ont pas accès ou se questionnent sur l’objectivité du système de répartition mis en place. Des artistes, en fonction de leurs œuvres et de leur renommée, touchent des sommes d’argent allant de 20.000 francs FCA (40 dollars US) à 4.000.000 FRANCS CFA (8 000 dollars US) par an.
Toutefois, le BCDA accuse encore un déficit de transparence et un manque de moyens idoines pour assurer les recouvrements. La plupart des médias ne payent pas cette redevance. L’argent collecté provient essentiellement du partenariat avec la SACEM[iv] et d’une taxe dont s’acquittent les propriétaires des bars-dancing, des night-clubs, des taxis et bus de transport en commun.
La vente par colportage et le Streets CD
Faisant souvent de l’autoproduction et ignorant les circuits de distribution, les musiciens, les moins bien connus, vendent eux-mêmes leurs produits. D’abord auprès des connaissances, ensuite auprès du large public. Ils passent dans les restaurants, dans les bureaux ou maisons de certaines « grosses légumes », commerçants ou hauts fonctionnaires proposer leurs œuvres. De même, quand ils ont un concert ou participent à un festival, avant ou après la prestation, ils n’hésitent pas à proposer leurs CD au public. Petit à petit ils écoulent des centaines de disques.
Les concerts et les cabarets hebdomadaires, un modèle économique d’échelle.
Malgré l’inexistence des salles de spectacles, les ensembles musicaux du Congo continuent à perpétuer la tradition des concerts dans les bars-dancing. Autant pour exprimer leur art que pour gagner de l’argent. Chaque week-end, nombreux sont les groupes de musique qui drainent vers des lieux habituels de nombreux fidèles mélomanes. Avec ou sans ticket d’entrée (500 ou 1000 francs CFA soit 1 ou 2 dollars US), ces spectateurs contribuent à faire vivre les orchestres. Dans certains endroits, c’est sur le prix de la boisson, revu à la hausse, que les ensembles musicaux trouvent leur compte. Le supplément de 300 à 500 francs Cfa sur chaque bouteille de boisson leur revenant de facto. Dans d’autres, on invite les spectateurs à participer à volonté à constituer la cagnotte du groupe. Par ailleurs, il y a une autre catégorie de groupes qui touchent des cachets en jouant des concerts (à l’intérieur et à l’extérieur du pays) ou en participant aux programmations des festivals ou de l’Institut Français du Congo de Brazzaville et de Pointe-Noire.
Quelques tournées à l’étranger
Dans la même démarche, ils sont quelques rares musiciens ou groupes qui bénéficient de temps à autres des tournées à l’étranger, en Afrique ou en Europe. A l’instar d’Extra-Musica, Zao, les Bantous, Oupta, Mel Malonga, Chicadora…
Chaque année, le promoteur congolais, Beethoven Mpela Yombo organise l’événement baptisé La nuit du Congo. Des plateaux itinérants de la musique congolaise dans des pays étrangers (une ou deux villes) avec des groupes mixtes venant de Brazzaville. Pour cet événement annuel il existe des sponsors nationaux et des partenariats avec des villes ou des promoteurs culturels des pays de destination.
Le parrainage et le sponsoring, une démarche pas assez développée.
Le parrainage et le sponsoring s’inscrivent actuellement dans le registre des nouveaux modes de financement de la musique congolaise. Il arrive souvent qu’un groupe ou un musicien travaille en partenariat avec une entreprise (souvent de téléphonie mobile) ou une institution étatique (Protocole national lors des cérémonies officielles). Certes moins nombreux, mais il est des groupes ou des individualités qui ont des contrats de partenariat avec des entreprises pour jouer un rôle de mascotte en associant leurs noms aux images de marque de ces sociétés ou pour animer leurs cérémonies internes et externes (fêtes, lancements de produits, inaugurations….). Roga Roga et Casimir Zao, par exemple, sont sur toutes les affiches de la société de téléphonie Azur et les deux participent aux événements de promotion des produits de celle-ci. Le batteur des Bantous de la Capitale, Ricky Siméon, avait prêté son image pour la promotion d’un produit de la société de téléphonie mobile MTN. Dans le même élan, les Brasseries du Congo ont copté quelques incontournables DJ (Dj Migo One, Epela et Dj Anti-virus) de la vague « Coupé-Décalé versus congolais » pour animer leurs campagnes promotionnelles. Elles organisent aussi des compétitions télé-crochets dont les lauréats gagnent quelques millions de francs CFA.
Dans le même sillage, en période de campagne électorale, les ensembles musicaux sont sollicités pour animer les meetings politiques. Il en va de même pour les campagnes de sensibilisation pilotées par des institutions de santé ou de lutte contre certains maux de la société (corruption, déforestation, braconnage…).
Par ailleurs, les sociétés de téléphonie mobile rétribuent les artistes dont les chansons sont utilisées dans leurs serveurs comme sonneries
[i] Premier titre d’un album. Il est fait essentiellement de rythme et d’animation dans la musique congolaise
[ii] La Musique Congolaise du 20ème siècle (chronique). Impreco. Kinshasa, 2006, 475 P.
[iii] Mot venant du jargon musical ivoirien qui signifie distribuer des billets de banque aux musiciens dans un concert
[iv] Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (France).
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