
Oceanic Feelings : Le disque introspectif d'Ozyris
Le talent camerounais décline sa vision fine et optimiste des tourments de l’existence dans cet EP de 4 titres, commis le 24 Mars 2025. Et livre une partition musicale aussi euphorique que généreuse, dont le maître mot est une continue remise en question.
Vue sur la pochette
Les pochettes d'albums sont pour la plupart inscrites dans l'univers d’une œuvre. Elles offrent une première approche visuelle au projet, et de l’image de l’artiste. Pour ce projet, Ozyris a voulu faire clarté et simplicité. Assis sur une pirogue, en tenue décontractée, regard vers la plage, sans doute l'un des espaces balnéaires à Kribi (Sud Cameroun). Il veut sans doute faire référence à une ambiance de voyage, d'évasion. Toutefois, l'arrière-plan est surchargé, je constate la présence d’autres personnes, des palmiers blancs, des cocotiers, des tables, des bâches à même le sol. Le créatif a voulu faire authentique dans une humilité sans pareille. La titraille de l’album se trouve en bas en gauche, sous une calligraphie simpliste. L’avantage de cette art cover, c’est qu’elle donne le ton du disque. Il faut absolument corriger cela au prochain projet, car une création graphique trahit l’esprit derrière un travail artistique: Cette pochette est à soigner prochainement. Car le mélomane tombé amoureux du visuel avant l’auditif.
Vendée Globe auditif
Il faut être audacieux dans le bon sens, ou sacrément gonflé pour oser appeler son mini-album Oceanic Feelings en mars 2025, alors que la petite saison des pluies frappe à la porte au Cameroun, et que le dérèglement climatique s’accélère dans la plupart des pays du monde. On penche évidemment pour une surdose d’impertinence, doublée d’un optimisme forcené chez Ozyris.
Le chanteur se trouve sur le sentier de sa carrière, connaît ce syndrome de Panurge qui consiste à deviser sur les sujets du moment, au premier degré. Au choix : l’angoisse existentielle mondialisée, les inégalités, les autres injustices sociales, la santé mentale explorée jusqu’au nombrilisme: C'est d'un courage puissant de ramer sur des vents aussi actuels qu'atemporels.
Le disque s'ouvre par une clairière étrange, celle de « Coconut Dreams », en mode trompettiste, sous des airs curieux de Pop pure, à l'image de Gwen Stefani sur « The Sweet Escape (2007) ou encore Pink. Je suis très surpris d'une pareille proposition, encore que la chanson est très aérienne et amplifie l'humour et la bonne vibe qui l'en dégage. D'ailleurs, cette première piste s'achève sur du bruitage en mer, vagues, aigle-pêcheur: Une sorte de carte postale marine.
Prise de risque
Ozyris a un côté canaille en plus, capable d’un lyrisme qui n’appartient qu’à lui, plus proche du sursaut de la dernière chance que de l’héroïsme à la U2.
Sur Oceanic Feelings la deuxième piste qui porte le nom de son projet, il l’a consacrée à une folk pop de crooner, agréable mais loin de l’urgence, à défaut du succès commercial, il le met sous des airs de refrain Reggae avec des choeurs sobres très distinctifs. Mais il ne faut jamais désespérer de ceux que l’on aime ou de la vie en elle-même, et Ozyris le démontre.
Refrain monté sur des ressorts avec des instrus éclectiques, le troisième morceau, « How I Feel » abolit d’emblée toute appréhension. Et remet à l’honneur avec une morgue désarmante les « Come around » du doo-wop que Lou Reed, en son temps, avait su transcender. Le chanteur aurait mis plusieurs mois à accoucher de certaines de ces chansons, mais il ne reste aucune trace d’hésitation sur ces quatre titres à la production classieuse et discrète.
Ozyris, qui ne dit pas son âge, il est un artiste formé en autodidacte et un chanteur pétri de talent dans les deux cas. Même si sa voix nécessite encore des ajustements, en termes de technique et de maîtrise, il s'embarque dans un long périple à la fois propulseur d'adrénaline dans le bon sens du terme.
Entre voyage et témérité
Entre Hip-Pop, folk, Pop et polyphonies étranges, Ozyris avoue les influences d’Erykah Badu et Rachelle Ferrell, en citant les harmonies de Francis Poulenc autant que les vocalises de Michael Jackson, ou encore la japonaise Ichiko Ayoba, réputée pour murmurer aux oreilles des baleines.
Mais il est surtout totalement ailleurs, en lui-même, où il puise une intensité qui trahit son bouillonnement : faussement serein, sa musique est un baume sous l’épaisseur duquel les plaies affleurent, et l'évasion est démasquée, démystifiée.
Dans la mouvance des crooners camerounais aux voix de velours, de Sabrina à Mahalia, jusqu’à la mutante Joyce Babatunde, pas facile de se faire une place. Je reste très confiant pour ce talent, car Il définit assez bien son univers : une néo-Pop teintée de R’n’B et de soul avec juste ce qu’il faut de langueur et de groove mêlés, sur fond de dramaturgie introspective et de cœurs en miettes.
Un cocktail sucré, à l’image de l’écrin Pop jazzy-lounge de « Kribi Beach », qui peut toutefois sembler inoffensif. C’est compter sans son innocence vocale et son habileté à tisser des mélodies en apparence anodines, mais dont la profondeur discrète et subtile s’impose au fil des écoutes. Sa capacité à œuvrer dans un registre proche du hip-hop, sur des motifs newyorkais des années 1970, ou proche de la pop électrique, donne une idée des possibilités qui s’offrent à lui.
Qu’il s’affirme davantage dans l’écriture, afin de ne pas verser dans une pop trop calibrée, et tous les espoirs sont permis.
Tout le monde ne rend pas forcément les armes devant le timbre d'Ozyris, maître d’un instrument d’une beauté renversante, distille un legato de soie et une ligne flatteuse. Sera-ce assez ? Il faut croire que non, car les mots, les accents, les ruptures, l’expression, l’incarnation même souffrent de ce trop-plein de perfection instrumentale qui lisse le périple. D’autant que les arrangements, rétifs à contrarier de telles splendeurs, n’a pas le délié ni l’étoffe de sa créativité.
Pour ce disque j'imagine un brin surjoué, un récit concret. Des instrus verticaux accompagnent le timbre juvénile du créatif, où sons droits et usage de la voix mixte cautionnent une optique historiquement informée, sans parvenir à dissimuler d’abondants maniérismes.
Au sein de ce parcours riche en sautes d’humeur, l’auditeur semble mis dans la confidence par la proximité de la prise de son. Oceanic Feelings offre d’élégantes et personnelles visions, renouvelant notre approche d'une ballade phonographique en mer.
Des aiguës parfois nourris, des phrases chargées de poids et de symboles, un engagement immédiat : Ozyris se livre tout entier, par sa manière de porter le fardeau de ce voyage vers l’inéluctable. D’abord en retrait, les instrus complètent le regard sans fard ni artifice de l'artiste, dont la sincérité et la charge émotionnelle brossent des notes saisissantes, dans leur mise à nu.
Aucun choix radical, mais une logique implacable, un naturel et un accomplissement qui jaillissent, forts, limpides. Pour ce mini-album, je donnerai un 8/10, car les attentes sont encore énormes, et les perspectives beaucoup plus grandes qu'un Océan !
Artiste : Ozyris
Album : Oceanic Feelings
Label/Année : Indie/2025
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