Salif Keïta, un jubilé musical sur fond de transmission de témoin
50 ans de carrière, ce n’est pas 50 jours. Et si le descendant de Soundjata Keita, Salif Keïta, décide de tirer sur le frein à main, même s’il n’écarte pas la possibilité de collaborer avec d’autres artistes, c’est de la meilleure des manières qu’il compte rester dans la mémoire de ses fans. Pour son jubilé, l’auteur de « Mandjou », propose un album d’une facture supérieure qu’il a décidé d’intituler Un autre blanc.
Par Amadou Sanou
La pochette de l’album est un tout un symbole. Le chanteur tout de noir vêtu tient une guitare posée au sol. Le teint blanc de Salif fusionne avec le noir de ses vêtements. Le noir et blanc qui le définissent, lui qui est autant noir que blanc. Lui, à qui appartient le noir et le blanc. Lui qui ne trouve son équilibre que dans cette dualité.
Mais, la beauté et la symbolique de la pochette n’équivalent pas la qualité des mélodies que contient cet album. Un autre blanc est un concentré de symphonies apaisantes qui nourrit l’âme, « qui adoucit les mœurs ». Ecouter les dix titres de cet opus est une catharsis. Une élévation spirituelle soutenue par des textes d’une pureté extraordinaire.
« Wêrê wêrê », qui était à l’origine un hommage à l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara, s’est mué en un hommage à tous les grands hommes politiques africains. Ces « Mansa » du continent sont glorifiés avec la Kora et le Djembé, Kadhafi, Thomas Sankara, Kwamé Nkrumah, Lumumba, Mandela, Sékou Touré, Modibo Salif Keïta, Houphouët-Boigny, Desmond Tutu… sont qualifiés de « Lion », à travers une métaphore.
Pourquoi plus de nom d’Alassane Ouattara dans la chanson ? « Certaines maisons de disque n’aiment pas qu’on chante le éloges d’un président en exercice », a-t-il justifié.
Mettant en parallèle les soucis d’une femme et la crise en Syrie, le chanteur explore les contrariétés des mères et le fait que « leurs enfants se faufilent entre les balles » en période de conflit. C’est une critique contre les guerres fratricides, un hommage également à toutes les personnes décédées durant ces crises insensées.
« Tonton » titre promotionnel soutenu par un beau clip vidéo est une ode à l’amour. C’est une promesse et un engagement à s’aimer mutuellement et à respecter la parole donnée, un serment de mariage.
La chanson « Itarafo » est l’une des meilleures collaborations car elle fait intervenir différentes générations d’artistes. D’un côté, Salif Kéita et Angélique Kidjo dans un duo qui prend des allures de duel, subliment d’entrée le titre. Et arrive le jeune MHD qui pose ses flows d’une manière magistrale sur les sonorités. Chaque artiste est à l’aise dans son interprétation et le rendu est un délice. « Itarafo » est rythmé et contraste avec les mélodies langoureuses dont le chanteur de « Mi amore » s’est fait maître.
Et vient « Diawarala ». C’est ce genre de chanson à laquelle on ne comprend presque rien mais qu’on peut écouter toute une journée. Sur ce titre, Salif Kéita a fait appel à Yemi Alade. Que vient-elle faire ici ? Pourrait-on se demander. Et pourtant, le rendu ne laisse de marbre pas de marbre. La chanteuse nigériane surfe superbement sur les douces mélodies mandingues au point de surprendre agréablement.
Avec le sud-africain Ladysmith Black Mambazo sur « Gnamalé », l’auteur de « Nous pas bouger » parcourt des sonorités sud-africaines. Un bel alliage créé tant au plan musical qu’au niveau de l’accord des voix.
En somme, un hommage rythmé et dansant est rendu à « Bah Poulo », quand « Tiranké » est glorifié par des sons plus softs, plus fins. Sur « Lerou lerou » le chanteur chante les louanges de ses bienfaiteurs, leur bonté, leur humanisme.
Au-dessus des créatures se trouve Dieu. C’est pourquoi le titre « Mansa Fo la », une chanson reggae roots chantée en duo avec Alpha Blondy, rend à Dieu sa grandeur. Cette reconnaissance des deux icônes, dans un texte simple à travers des réalités bénignes, plonge le mélomane dans une spiritualité, une méditation.
En procédant à un tel atterrissage, l’une des plus grandes voix de l’Afrique au plan musical joue la carte du l’humain qui doit tout à son seigneur et du sage qui transmet son art à une nouvelle génération. Un autre blanc est à consommer sans modération.
Artiste : Salif Keita
Album : Un autre blanc
Label / Année : Naive Records / 2018
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