Seppo : le plein de couleurs convivial d’Alexandra
Puissante et magnétique, la chanteuse Alexandra Seppo nous ouvre son univers à travers son tout premier album de 14 titres, nommé Seppo, dévoilé le 3 avril 2024. Ce disque met en lumière ses sources d’inspiration, sa quête d’identité, son besoin de sororité et son rapport à la musique comme exutoire. Regard analytique sur un projet pour lequel la maturité a été convoquée.
Originaire de Dibombari, dans la région du Littoral-Cameroun, la chanteuse de 25 ans, tente de briser une glace, au delà de sa locution en langue Duala, l'une des langues sawa du pays. Lorsqu'elle est présentée le 16 juin 2022 dans la ville de Douala par son label actuel Stevens Music (ancien label des artistes Daphné & Ewube), c'est une voix suave que l'on découvre sur un classique du makossa : « Ndol'am » de la légende Ben Decca. À partir de cet instant, nous avons eu, sa première source d'inspiration. D'ailleurs, elle nous servira « Amitié » écrite par Cysoul (2022), puis « Sokolo » arrangée par Phillbill.
Trouver sa voix
Bito Seppo Alexandra Hortence de son vrai nom, se met à chanter, et très vite, la musique devient une façon de raconter son histoire intime. Sur la pochette de son album couleurs noir et or, floquée d'un sourire et des larmes, représente les deux facettes d'une personnalité qu'elle veut présenter au monde : sa fragilité et sa confiance.
Utiliser la voix pour panser ses blessures, donc.
Mais c’est aussi dans le chant qu’elle trouve un cocon rassurant, un espace de réconfort dans un monde de violences et de tristesse : d'ailleurs la date de sortie de l'album et le titre d'ouverture « Espoir » en sont témoins. Seppo précise pour autant que cela lui rappelle un événement malheureux, le décès de son oncle, qui l'a soutenu dans l'exercice de la musique, tandis que son père s'y opposait dès le départ. Extrêmement pop, dansant, Alexandra Seppo entame son album par une ambiance chaude, sur un fond triste. Pari risqué.
Suis « Ä la Ndè » avec le crooner Hen's, pour un changement de fréquence très Soul, RnB, d'amapiano pour briser la chaîne rythmique. Cette transposition de polyphonies a un avantage de rendre la chanson vivante et un gros inconvénient: la perte de repères du mélophile, qui ne saura pas sur quel pied danser. Je dirai qu'il s'agit d'un titre expérimental, dont la couleur a été ajoutée pour lui donner du volume, via de jolies notes de piano et d'excellents rifts de guitare.
L'artiste s'est aussi attaquée à « Mba Na Na È » de l'icône mondiale du makossa Toto Guillaume, un titre composé en 1981 par ses soins. S'aguicher sur une chanson plus que quarantenaire, a nécessité une seule séance d'enregistrement compte tenu de la discipline de la légende, qui a d'ailleurs apposé comme autre exigence : la prise son d'instruments en live. C'est d'ailleurs ces notes de guitare que l'on retrouve sur le trailer officiel de l'album. Le résultat est flatteur : makossa, essewe, amapiano. A l'écoute, je croirai entendre « Bloqué » de Locko, et les Black Styl, le mythique groupe camerounais. Tout autre chose, « Prête à tout » avec Mimie, qui raconte une trahison vécue en relation amoureuse, sous une vague de plaidoyer pour la femme. Seppo trouve aussi son feu intérieur dans la puissance d’autres femmes. Son travail est imprégné de réflexions, de cicatrices, de la colère et de la vitalité à la fois. La chanteuse attache beaucoup d'importance à l'image et à l'amour sur « Kuchimini » sous des airs tropicaux de Zouk.
La surprise de ce disque, vient du titre « Gimgembre » en featuring avec le rappeur KOCee, pour qui j'aurai vraiment apprécié si son couplet avait été fait en anglais. Le style rap non méthodique donne du punch au titre qui fera sans doute tournoyer plus d'un, mais sans grande conviction. L'effort sur du rap/Hip-Pop est à saluer pour elle. Autre détail : la magie dès les premières dix secondes à la guitare signée
Écrire pour ne pas mourir
« Je t'aime » avec Cysoul, sous des fraîcheurs d'Ango, Milonga, ou du Fado qui sont des registres latino-américains que l'on retrouve en Bolivie, au Mexique ou au Brésil sont représentés en acoustique, avec cette guitare, et cette fin de chanson habillée d'une voix à la clownerie. Chaleur et douceur, elle fait partie des meilleurs titres.
Dans cet album, Alexandra dévoile des textes incisifs comme « Manyaka », sur son rapport à l'amour, désillusion brutale, composition charnière pour comprendre ses failles sur fond de néo-folk, makossa, et d'amapiano éthéré. La chanteuse offre des notes enchanteresses en contraste avec des paroles impulsées par la déception humaine, le tout en français et Duala les deux langues dominantes de l'opus. Les imperfections humaines, ici, percutante sur « La Vie » (en collaboration avec Sandrine Nnanga & Asaba), Seppo dresse un parallèle entre une relation toxique et un crash libérateur, provoqué par son art de tisser une histoire intime, sur un mode littéraire, théâtral, et mythologique: Un titre aguicheur, tout comme « Compliqué » à l'allure makossa co-écrit avec Jacky Kingué.
En marge, elle nous donne de l'énergie en Kwaito, rythmique sud-africaine en anglais sur « Popo », avant de revenir sur ses marques au terroir via « Bukatè » avec le producteur et beatmaker Phillbill, avec des cerises de violoncelle en fond sonore. Dans cette chanson, elle est dominée musicalement.
L'autre temps fort du disque Seppo, est la réédition du titre « Mama Oh mba » de Ben Decca écrite en 2000, extrait de son album Tourbillon, lors de l'âge d'or du makossa. C'est d'ailleurs avec ce titre, qu'elle a été plébiscitée par le public camerounais, sur le réseau social Tik Tok, où la version première avait été grandement appréciée.
"La musique est faite pour être partagée, c’est quelque chose qui me tient à cœur. Sur cet album je reconnais la voix des gens que j’aime, les entendre m’émeut. Si j'ai choisi ces artistes pour mon projet, de Tata Sandrine (rires), Cysoul, Ben Decca, KOCee, entre autres, c'est parce que j'ai pensé qu'il était important d'être accueillie par ceux qui sont bien là dans le village avant moi, pour m'apporter leur expérience et leurs bénédictions (sourire toute en joie) " a-t-elle soulignée en conférence de Presse à Douala le 26 Mars 2024.
Pour finir, le son, la voix, l'ambiance musicale de ce premier album Seppo qui porte son nom, nous ramène un certain nombre d'années en arrière, vers le début des années 80 avec le Makossa, puisque dans de nombreux titres, elle interprète à sa façon, un certain style club-disco-funk propre à cette période reculée qui continue à inspirer une nouvelle génération de musiciens très marqués par Nkotti François, Émile Kanguè, ou encore Dina Bell. Impossible de ne pas passer à côté de ces envolées vocales qui devront être beaucoup mieux soignées en concerts Live, qui d'ailleurs sont très attendus.
La navigation entre les registres et la duplicité linguistique, même si des polyphonies sont plus présentes que d'autres, permet de saluer ce beau travail collectif entamé. Dans ce disque, Seppo s'est voulue expérimentale, et c'est un bémol. Difficile de cerner son gouvernail artistique, qui respire l'exploration. Peut-être pour mieux s'affirmer ? Dangereux. Je reste très attentif à ses prises de parole publique online ou offline, qui peuvent gâcher la magie de son gourmet phonographique, et la faire tomber dans l'oubli. Le souhait est toutefois positif, qu'elle puisse garder la tête froide, capitaliser et entretenir le Seppo qui est en elle, et le faire exploser au monde.
Sa première carte d'identité musicale est la, à elle de nous le faire consommer à toutes les probabilités existantes sous un jeu de fair-play et gagnant-gagnant. Pour ce disque je lui donnerai un 7/10.
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