5 questions à André Yoka, Professeur et directeur général de l’INA en RDC
À l’occasion des 60 ans d’indépendance du Congo-Kinshasa, André Yoka, directeur général de l’Institut national des arts (INA) nous livre ses analyses sur cette période historique sur le plan politique et culturel. Il revient également sur la candidature de la rumba congolaise au patrimoine culturel immatériel de l’humanité déposée en mars dernier auprès de l’UNESCO.
Bonjour Professeur Yoka, la RD. Congo célèbre ce 30 juin ses 60 ans d’accession à l’indépendance. Que ce qu’on peut retenir de cette date ?
Cette année, la Fête de l’Indépendance arrive dans des conditions insolites hantées par la pandémie du covid-19. Cela invite à un exercice profond de méditation sur notre devoir de résistance individuelle et collective. Résistance par l’ascèse et résistance créative.
Le 30 juin 1960, c’est aussi la sortie d'« Indépendance Cha Cha », la chanson interprétée par Grand Kallé et son African Jazz. Que vous rappelle ce moment ? Comment l’avez-vous vécu ?
L’histoire de cette chanson emblématique est une sorte d’épopée. La chanson est en fait liée à l’organisation de la Table ronde quelques mois avant le 30 juin. La Table ronde avait réuni à Bruxelles des délégués congolais et des représentants du gouvernement colonial pour négocier les termes de l’émancipation de la colonie. Finalement, une maison d’éditions belge FONIOR, en partenariat avec une autre correspondante à Kinshasa, LONINGISA, ont mis au point la tournée historique de l’orchestre African Jazz dirigé par l’artiste Joseph Kabasele (alias Grand Kallé). Il faut signaler la contribution et l’entregent des frères Kanza (Thomas, premier universitaire en Belgique et proche de Lumumba et Philippe, premier directeur de l’institut national des arts actuel). Pendant toute une semaine de soirées de gala étincelantes, l’orchestre African Jazz, constitué de sept artistes (Kabasele, Longomba, Izeidi, Kasanda, Muamba, Brazzos, ‘’Petit Pierre’’) émerveillent les délégués congolais et leurs invités belges.
Le 30 juin 1960 à Kinshasa, les « ambianceurs » kinois ont vécu, une nuit, blanche et particulièrement chaude au rythme afrocubain et rumba d’« Indépendance cha cha » dans tous les bars mythiques : Congo Bar, Amouzou, Quist, Zeka Bar, Amouli Bar, Comète Bar, Malandila Bar…. Tout cela, selon les récits enflammés de nos ainés, jazzeurs et noceurs impénitents ; car les enfants que nous étions ne pouvions pas accéder au bar, conformément aux lois en vigueur. Depuis, c’est vrai, la chanson a conquis l’Afrique et le monde.
Le succès de cette chanson a dépassé les frontières de la RDC et devenu l’hymne des indépendances africaines. Quel rôle a joué l’art, particulièrement la musique dans les révolutions africaines ?
Les beaux-arts et les belles-lettres ont énormément contribué non seulement à l’émancipation des afro-descendants, mais aussi des Africains de la Terre-Mère. Depuis le début du XXe siècle, les Noirs afro-américains, branchés sur le rêve du retour à la terre-mère africaine, ont redoublé d’inspiration nostalgique. Cela a naturellement eu des répercussions sur les Africains des colonies. C’est par exemple le cas du mouvement de la Négritude regroupant des étudiants et des intellectuels africains et caribéens, comme Senghor, Césaire ou Damas.
Chez nous, malgré la chape de plomb qui couvre la vie coloniale au Congo-belge, des voix s’élèvent contre l’oppression, notamment après les grandes guerres mondiales. Exemples : la chanson « Ata ndele » (Tôt ou tard) d’Adou Elenga prémonitoire de l’affranchissement de la colonie belge ; exemple de l’écrivain-journaliste Lomami Tchibamba, qui à la fin des années 40 écrit des pamphlets et des récits interpellateurs sur la gestion coloniale. Un article qui lui coûtera cher, c’est : « Que sera le Congo dans le monde demain ? ». Il sera arrêté, et finira par s’exiler à Brazzaville. À partir de là les prises de position s’accumulent et se raidissent pour acculer l’administration belge à faire des concessions. Les émeutes du 4 janvier 1959 à Kinshasa-Matonge casseront le rêve belge de perpétuer son emprise sur le Congo…
60 ans après, quel tableau brossez-vous du secteur culturel en RDC. Que ce qui a changé ?
À l’image de la débrouille générale qui caractérise la vie nationale, la culture a eu ses hauts et ses bas. Arrêtons-nous seulement aux meilleurs souvenirs. Comme la participation du Congo au Festival des Arts nègres de Dakar en 1966 avec des troupes de théâtre et des orchestres éblouissants de talent. Idem en 1977 au Festac de Lagos. On peut signaler à l’interne, au Congo, en 1974, le Festival d’Animation culturelle et politique avec des groupes-chocs du Parti-Etat (MPR, parti crée par le président Mobutu), électrisés.
Le Festival National de la Culture et des Arts, en 1976 à Kinshasa, avait tenu toutes ses promesses en termes de diversité culturelle et artistique de haut niveau. Et que dire du méga-Festival organisé en 1974, en marge du combat de boxe qui opposa Mohamed-Ali à Georges Foreman, et qui a réuni à Kinshasa les stars de la musique mondiale, en Europe et dans les Amériques ! … Inutile par ailleurs de signaler la participation des artistes à des manifestations d’envergure à l’étranger à titre individuel ou officiel. C‘est le moment de mentionner le formidable Festival YAMBI organisé en Belgique et en France en septembre 2007, avec 154 artistes congolais de toutes générations et de toutes disciplines. Une tournée triomphale !
Notons qu’à côté de toutes ces manifestations artistiques à succès, il a été organisé des forums nationaux et internationaux de réflexion sur le destin du Congo et de l’Afrique. Exemples : en 1979 le Congrès Mondial des Etudes Africaines avec comme thème « la dépendance de l’Afrique et les moyens d’y remédier ». En 1981, en pleine effervescence de l’Authenticité, les écrivains et les universitaires congolais organisent le Colloque national « Authenticité et Développement ». Les premières critiques contre le recours à l’Authenticité fusent… Elles se confirmeront lors du Symposium International « L’Afrique et son avenir » en 1985, occasion du bilan critique des idéologies africaines en cours. L’INA programmera en 1978 un Colloque international sur la préservation du patrimoine culturel en Afrique. Rappelons aussi le Symposium international sur la paix dans la région des Grands Lacs en 2000, grâce à l’Université de Kinshasa. Et lors du Sommet de la Francophonie à Kinshasa en 2012, les intellectuels congolais et de la diaspora ont démontré des capacités inouïes d’inventaire et de réflexion prospective.
Vous présidez la commission de la promotion de la Rumba comme patrimoine culturel national et international. La RDC et le Congo-Brazza ont introduit en mars dernier une candidature commune auprès de l’Unesco. Ou on en est avec cette candidature ?
Après des années d’investigation et de réflexion sur l’odyssée et l’épopée de la rumba congolaise dans le temps et l’espace, les experts congolais des deux rives du fleuve Congo ont décidé l’inscription de cet élément exceptionnel sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Les experts avaient effectivement tenté de démontrer que la rumba était populaire et vecteur, quand elle est bien inspirée, de la cohésion nationale et de la joie de vivre ; que les milieux universitaires, naguère réticents ont commencé à piocher sur les tenants et les aboutissants sociologiques et esthétiques de cette rumba ; que les gouvernements sont de plus en plus sensibles au rôle mobilisateur de cette musique populaire ; que des témoignages sont palpables pour plaider, à travers des inventaires constitués par des spécialistes, pour un élément qui est susceptible de promouvoir l’économie de la culture et les industries créatives. En plus, la rumba a conquis ses palmes à travers le monde entier, s’épanouissant d’ailleurs au-delà de la musique proprement dite, par des innovations sulfureuses de la danse, de la sape, des initiatives d’entraide entre fans, etc.
La Commission nationale Rumba que j’ai l’honneur de diriger en RD. Congo, en duo avec mon frère et collègue Mfumu Fylla du Congo-Brazza, a transmis à l’UNESCO-Paris, depuis le 26 mars 2020, c’est-à-dire à temps, et en version électronique, la candidature commune signée par les deux ministres de la culture des deux Congo. Depuis le 18 juin 2020, la Commission a transmis la version papier de ce dossier de candidature, conformément au règlement…
Nous sommes optimistes évidemment, mais modérément, puisque le jury du secrétariat technique à l’UNESCO est souverain dans ses choix… Croisons les doigts donc !
Commentaires
s'identifier or register to post comments