Chanter et vivre de sa musique en RDC
Malgré le manque d’organisation de l’industrie musicale locale, les artistes musiciens congolais ont su inventer d’autres moyens pour vivre de leur art. Dans les pages qui suivent, l’auteur décrit un phénomène propre à la musique congolaise, un système de dédicace fort lucratif.
Les rêves d’un artiste congolais: gloire, richesse et contrats de productions
A Kinshasa, cœur de la musique africaine, le métier d’artiste musicien est omniprésent. Le discours populaire concernant les stars y est empreint de beaucoup de spéculations. Ici, la musique est reine, du moins pour un large public qui discute sans cesse des derniers potins et autres scoops relayés par les chroniqueurs de musique. Tout le monde semble avoir un avis en ce qui concerne l’industrie musicale locale. La vie des artistes est une affaire publique, une sorte de patrimoine commun. Les discussions qu’il est généralement possible d’entendre à Kinshasa sont telles que rien n’échappe à l’imaginaire populaire : comptes bancaires des artistes, contrats de production ou de publicité, tournées internationales, popularité, types de réseaux, relations, marques de voiture de luxe etc…
Les musiciens ont eux-mêmes appris à vivre malgré tout de leur art en lui collant des artifices, et en profitant des opportunités qui s’offrent en plus de la vente du disque, de la vidéo ou des recettes de concerts qui sont par ailleurs la source de conflits entre les leaders et le reste des membres du groupe. Malgré tout, on constate que les stars de la musique à Kinshasa roulent carrosse : ils se construisent des villas et s’habillent chez les créateurs de grandes marques. Ils semblent ne pas avoir à se plaindre. Et l’on ne s’arrête évidemment pas de s’interroger sur ce contraste entre la vie onéreuse des artistes et leurs sources de revenus. On ne peut s’empêcher de conclure qu’ils ont su inventer d’autres moyens pour vivre de leur art.
Le « Libanga », source de revenus originale pour les musiciens congolais
Cet article fait référence aux différentes sources de revenus et analyse en profondeur ce phénomène connu, unique et particulier que la société congolaise a inventé: « le libanga » dont la pratique, « libangitude » ou culture de la dédicace, tend à se propager aux musiques d’autres pays.
Depuis deux décennies environ, les leaders de groupes font appel à la générosité de tierces personnes pour se produire. Ils sont donc souvent sponsorisés par des personnes de bonne volonté qui, tacitement ou de façon ouverte, sollicitent une promotion identitaire. Il faut dire que les disques produits, les concerts locaux donnés ou les apparitions publiques des chanteurs dans les médias restent tout de même les méthodes conventionnelles pour vivre de son art. De plus, elles permettent à l’artiste d’entretenir une relation avec son public qui comprend des riches hommes d’affaires, des personnalités de la vie politique et des citoyens moyens, tous réunis par une même passion : la musique.
Contrats de production en Europe et autres petites combines pour survivre
Qu’on se le tienne pour dit, les concerts ne rapportent plus à Kinshasa. Beaucoup d’artistes profitent plutôt des concerts donnés en Europe pour se faire de l’argent. Cela crée donc un mode de vie très complexe pour ces artistes. Pour plusieurs d’entre eux, leur épouse et leurs enfants sont établis en Europe. Les plus chanceux peuvent ainsi y obtenir un titre de séjour permanent. Ils s’assurent donc une double vie : une en Occident - qui garantit la scolarité des enfants et permet de voyager plus facilement – une autre dans le pays d’origine. Ceci explique le fait qu’une tournée de groupe dans la musique congolaise reste un événement d’importance majeure. De plus, rassembler du monde autour de la musique facilite « la coopération », aide à parler affaires et surtout à rapprocher les gens en quête de popularité ou de renouvellement de celle déjà acquise. [NDLR : Le terme ‘coopération’ ou ‘cops’ désigne au Congo l’art de faire des affaires de manière informelle]
Au plus fort des années de grande rivalité entre les deux protagonistes du clan Wenge Musica, le phénomène « Ngulu » ou aide à l’immigration clandestine s’est avéré être une autre source de revenus lucrative pour les leaders d’orchestres qui ont entretenu pendant longtemps l’espoir de toute une jeunesse à leur service, de « voir l’Europe un jour et mourir ». Le rêve s’est malheureusement estompé avec le démantèlement de ce réseau lors de l’incarcération de Papa Wemba en France en 2004. Et depuis, l’octroi des visas pour l’Espace Schengen aux Congolais est devenu quasi-impossible.
A Kinshasa, selon une idée répandue dans l’opinion publique, la force et le succès d’un orchestre se mesure par sa capacité à voyager fréquemment en dehors du pays. L’Europe, surtout les villes de Paris, Bruxelles et Londres où vit un grand nombre de Congolais immigrés, est souvent vue comme une plaque tournante où se décide l’ascension des groupes. Ces villes occupent l’imaginaire de bien des Congolais parce que les artistes ont en longtemps fait la promotion. Y aller est donc une marque de réussite et représente la possibilité d’acquérir des biens de luxe et, donc, de se doter des accessoires qui accompagnent la musique congolaise moderne.
La libangitude paye plus qu’on ne le croit, mais l’on ne peut dire avec exactitude combien gagne un artiste avec ces dédicaces. Le prix est souvent fixé à la tête du client. Certaines personnes sont devenues accro de cette culture et paient l’artiste des années durant, afin que leurs noms soient toujours cités dans les dernières chansons.
La promotion des marques de bières locales comme autre moyen de se faire de l’argent
L’alcool est fort visible à Kinshasa. Les brasseries le sont encore plus. Elles ne lésinent pas sur les moyens pour inciter le public à consommer leurs produits. L’on est Primus ou Skol, deux des marques phares de bières locales. Ces compagnies font partie des sponsors les plus visibles lors des concerts aux côtés des opérateurs de téléphonie mobile comme Vodacom, Airtel, Tigo, Africell et Orange. Ici, les sociétés brassicoles Bralima et Bracongo ont pris de l’avance en s’investissant dans le sponsoring de la musique au point d’en déterminer les règles du jeu. Elles organisent des concerts populaires et s’assurent de la visibilité omniprésente de leur marque lors de ces concerts. Il est difficile de savoir combien ces compagnies paient les artistes qu’elles engagent pour ce genre d’événements. Ces sociétés choisissent les artistes qui vont représenter leur marque selon soit des critères de popularité ou selon leurs propres critères. Le choix est complètement subjectif. Il arrive souvent qu’elles engagent des artistes démodés prêts à accepter n’importe quel contrat. Le contraste est souvent vite perçu : un grand concert qui draine du monde, un cachet de misère qui permet juste au leader d’arrondir ses revenus et au reste du groupe de se contenter du « tiens pour toi », sans avoir à redire parce qu’il se doit de compenser son droit de prestation avec tout le chapelet des noms à citer lors d’une performance sur scène.
Les hommes d’affaires et les personnalités politiques: parrains des artistes.
Ces personnalités jouissent d’un statut particulier dans l’univers de la musique congolaise. Les artistes les remercient en des termes plus particuliers en utilisant souvent des sobriquets et toute sorte de qualificatifs pour exprimer leur gratitude. Que donnent-ils à l’artiste ? De l’argent, spontanément ou sur demande ; ou encore des services dont l’artiste-musicien se souviendra longtemps.
En République démocratique du Congo, nous sommes tous sponsors de la musique, sans le savoir parfois et sans rien attendre en retour parce que nous aimons nos artistes et la musique. Un billet de 100 dollars posé sur le front d’un chanteur peut aider à assurer le transport de tout le groupe en concert. [NDLR: en RDC. comme dans plusieurs pays africains, le public encourage les artistes en posant symboliquement sur le front un ou plusieurs billets d’argent]. Un fan qui prend en charge la location du matériel de musique contribue à sa manière à soutenir l’industrie locale de la musique. Ce sponsoring informel est également utilisé par les hommes politiques, comme Mobutu l’a fait avec Franco. Le précédent premier ministre congolais, Adolphe Mozito, reste dans la mémoire des artistes comme celui qui leur a le plus témoigné de sa générosité.
L’on retient alors que la musique et la politique en RD Congo sont étroitement liées au point qu’en période de crise entre l’opposition et le pouvoir, les artistes musiciens qui prennent position en faveur de l’un ou de l’autre camp payent le prix le plus fort.
En définitive, la plupart des Congolais qui choisissent de faire de la musique restent dans cette profession. C’est rare de trouver ceux qui se sont convertis à d’autres métiers par obligation ou en désespoir de cause. Beaucoup par contre ont commencé par une autre profession avant de finir comme artistes musiciens. Certaines figures de l’histoire de la musique locale se sont quelque peu frottés à la politique, à l’idée de pouvoir aider et faire changer les choses. Kabasele Tshiamala dit Kallé Jeef a été directeur de cabinet sous Patrice Lumumba, le Seigneur Tabu Ley, a brigué la fonction de vice-gouverneur de Kinshasa.
On peut conclure en disant, qu’un artiste musicien forgé à l’école de l’endurance de Kinshasa réussit à vivre de son art et sait tirer profit de l’environnement quelque fois difficile dans lequel il vit. La « libangitude », pourvoyeuse de statut social et de nouvelles identités a encore de beaux jours devant elle, car elle est devenue une source de revenus stable pour les artistes locaux. Vivre de sa musique au Congo est devenu un art qui ajoute une touche de mystère à la musique.
Par Serge Makobo
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