Oumou Sangaré – La diva acoustique
21 ans après ses débuts marqués par la signature de l’album Moussolou qui lui ouvrit les portes du succès au Mali et à travers toute la planète, Oumou Sangaré, la diva du wassoulou, nous offre en cette période de pandémie dévastatrice, une œuvre lumineuse enregistrée en un temps record, réalisée avec ses fidèles compagnons d’aventures musicales et totalement unplugged. Une œuvre où l’on redécouvre la puissance et la richesse de sa voix fluide et dépouillée, ainsi que la puissance mélodique de son accompagnement musical.
Après son aînée, Nahawa Doumbia qui fut surnommée « l’enfant des djinns », et fit découvrir dans les années 1980 la musique wassoulou sur les scènes du monde, la diva Oumou Sangaré nous fait revivre une nouvelle fois ce versant spécifique de l’empire mandingue à travers son nouvel opus, sobrement appelé Acoustic.
Sortie sous le label No Format le 20 juin 2020, cette oeuvre comporte 9 titres regroupant des reprises de Mogoya dans une version acoustique. Il a été enregistré en à peine 2 jours, une véritable gageure, et dans les conditions du live, dans un studio de région parisienne.
Acoustic s’inscrit en fait dans une trilogie qui comporte deux précédentes œuvres : Mogoya sorti en 2017 et Mogoya remixed en 2018. Musicalement, cette œuvre prolonge la direction artistique de l’artiste fortement influencée par les 3 chanteuses Coumba Sidibé, Sali Sidibé et Flan Saran, mais également marquée par le patrimoine musical et les techniques vocales de la région du Wassoulou : une approche à la fois modernisée et acoustique construite sur des instruments du terroir qui lui a valu un succès immédiat en 1989, dès la sortie de son premier album Moussolou.
Durant ces trois ans, la diva malienne y a adjoint quelques autres aventures musicales notamment avec Brian d'Souza alias Auntie Flo, un artiste électro aux sons afro-futuristes, et avec le grand auteur-compositeur congolais Ray Lema.
Auntie Flo qui a remixé l’année précédente son titre « Djoukourou » sorti en format single, est un artiste britannique originaire de Glasgow, couronné de nombreuses récompenses et auteur de l’album Radio Highlife sorti en 2018. « Djoukourou » se trouve cette fois revisité dans une version quelque peu psychédélique, où les instruments mandingues prennent des accents métalliques et futuristes et la voix de la diva se retrouve enveloppée de nappes de synthés déclinées en de multiples variations.
Pour l’année 2019, Ray Lema a décidé de collaborer avec la diva malienne, fasciné par sa voix particulière. Il propose donc de l’inviter dans un projet original, Les Session Unik 2019, une aventure musicale initié par l’ADAMI, la radio française FIP et le Calif (association des labels indépendants de France) qui s’unissent, à l’occasion du Disquaire Day, pour organiser des duos inédits (Fred Pallem & Le Sacre du Tympan et MC Solaar, Angélique Kidjo et Catherine Ringer, Laurent de Wilde et Yael Naim, Ray Lema, Oumou Sangaré). Il en résultera une série de vinyles enregistrés à Radio France et surtout un dialogue vocal savoureux et insolite dans les titres « Ami » et « Mogoya » entre le pianiste et maître tambour congolais et la diva malienne. Le maître d’œuvre n’oublie pas de mettre en place une orchestration jazz, les cuivres et le piano servant fidèlement, à travers des respirations, le timbre de la chanteuse.
Pour Acoustic, cette nouvelle œuvre enregistrée « sans filets », la chanteuse s’est entourée de ces plus fidèles complices, Brahima « Benogo » Diakité, virtuose du kamélé ngoni, (un instrument remis au gout du jour par les artistes de la nouvelle vague wassoulou) qui la suit depuis 1989, le guitariste Guimba Kouyaté et les choristes Kandy Guira et Emma Lamadji. Cet enregistrement spontané, live, sans fard, se présente comme une œuvre lumineuse signant le retour de la diva du wassoulou après un an d’absence et surtout offrant sa salutaire beauté au cœur d’une rare crise sanitaire, qui a vu l’annulation des tournées internationales et des festivals. Sa voix à la fois puissante et modulée, glisse avec aisance sur des titres comme « Bena Bena », « Minata Daraba », « Saa Magni » et l’incontournable « Diarabi Nene », un grand classique de la tradition mandingue.
Grande militante de la cause des femmes dans son pays natal, Oumou a sélectionné soigneusement ces titres dont les messages sont autant de conseils et d’appels à la prudence aux jeunes femmes du continent africain. Elle dénonce volontiers tout au long de son œuvre, les problèmes spécifiques que rencontre la femme africaine au quotidien.
Dans « Djoukourou », elle reprend notamment un de ces thèmes de prédilection devenu le combat de sa vie, la lutte contre l’excision, mais c’est « Minata Waraba » qu’elle reprend souvent dans ses concerts, un hommage vibrant à sa mère. C’est cette dernière, la chanteuse Aminata Diakité, souffrant de sa situation d’épouse de polygame, qui l’a encouragée à s’émanciper. « Quand j’ai débuté ma carrière je n’avais qu’une idée en tête : venger ma mère », confie-t-elle volontiers.
Dans « Kamelemba », Oumou se tourne vers la jeunesse en prévenant les jeunes filles de se méfier de la fourberie de certains garçons dans une partie du monde où le phénomène des maternités précoces est dramatique. Quant à « Mali Niale » et « Fadjamou », ce sont des remises en cause de coutumes ancestrales, un appel aux forces vives du Mali, un pays qui traverse de multiples crises, où encore les mérites de l’appartenance, ethnique ou dynastique, dans une société édifiée sur l’interdépendance entre groupes et familles.
Sa voix remarquable et sa musique s’appuyant sur une orchestration originale lui valent l’admiration d’artistes occidentaux comme Alicia Keys qui déclare à son propos : « Sa voix me captive. Même si je ne comprends pas ce qu’elle chante, je comprends ce qu’elle dit ».
Acoustic est définitivement une vraie cure de bonheur, en ces temps de pandémie.
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