Le Reggae au Sénégal
Par Fadel Lo
Un style venu de la lointaine Jamaïque, adopté et très apprécié au Sénégal mais qui peine à s’imposer sur la scène locale.
Les influences
Notre pays, poreux à toutes les formes de musique, a très vite adopté ce style musical venu de la lointaine Jamaïque. Bien avant l’avènement de Bob Marley au milieu des années 1970, un artiste comme Jimmy Cliff était très aimé du public national. D’autres ténors comme « Toots and the Maytals », Johnny Nash et Lee Perry n’étaient pas inconnus non plus des mélomanes sénégalais. Cependant force est de constater que Bob Marley a été littéralement adopté et plébiscité par notre public. Bob Marley a su apporter un punch et une fraîcheur qui avaient longtemps fait défaut à ce genre.
De l’avis d’Alioune Diop, notre confrère de la RTS, « Bob Marley était un artiste exceptionnel et son talent ne faisait l’ombre d’aucun doute. Il a su saisir sa chance et par la force des choses il est devenu la première star du tiers-monde. Ce qui n’est pas une mince affaire. Son engagement, son charisme et sa clairvoyance ont fini par faire le reste. Il a rapidement éclipsé tous les autres chanteurs de reggae, à l’entame des années 1970. Après la dislocation des Wailers, il a réellement pris son envol ». Il a vite fait de devenir une star et, de faire connaître cette musique des sans-voix aux quatre coins du monde.
Le Sénégal n’a pas échappé à cette vague déferlante et Bob Marley devint une référence, pour nos artistes. Bien qu’étant un pays francophone, le Sénégal à immédiatement été conquis par ce genre musical. La proximité avec la Gambie y est certainement pour quelque chose. La Radio Syd de Banjul, passait régulièrement du reggae. Paradoxalement les premières grandes figures du reggae sénégalais connus du grand public furent les Frères Touré Kunda. À l’entame des années 1980, ils sortent un premier disque qui ne contient que des titres reggae. À l’époque, les deux frères Ismaëla et Sixu Tidiane ont réussi une parfaite symbiose entre le Djambandong et le Reggae. Malheureusement ce succès leur ayant ouvert la porte des majors, ils changèrent radicalement d’orientation.
Les précurseurs
Max Adioa prendra le relais. En compagnie du bassiste Etienne Fall (devenu plus tard Ousmane Kara Noreyni Fall ndlr), il a monté ce groupe Adioa qui a cartonné fort en Europe. L’album Toubab bi lé a fait un malheur en 1983 et les deux Sénégalais faillirent même signer chez une grande firme discographique. Cependant, malgré tous ces succès engrangés à l’extérieur, la scène locale tardait à bouillonner. La faute revient principalement à une mauvaise image de ce genre musical dans le public sénégalais. Il faut le dire, à cette époque beaucoup de personnes assimilaient les reggaemen à des fumeurs de ganja et à de dangereux anticonformistes.
Cette fausse idée a longtemps plombé la bonne progression du reggae au Sénégal. Il a fallu attendre le début des années quatre-vingt-dix pour voir de jeunes artistes essayer de sortir du lot. Des groupes comme Arra, Safara Bi, Ndiaga Diop et le Be One Africa et plus tard Amandla,Thiandoum Brothers, Dread Maxim, Jah Milk, Marcel Salem, Iba Gaye Massar, Timshel et tant d’autres ont tous essayé de faire décoller le reggae mais le résultat est toujours resté le même. Chaque année, on attend le 11 mai pour sentir une certaine animation au sein des artistes adeptes du reggae au Sénégal. Des sounds systems et des concerts sont alors organisés un peu partout.
Toujours à la pointe du combat, Iba Gaye Massar, très actif sur la scène du reggae local, analyse froidement la situation et donne son avis sur la question: « C’est une musique délaissée et il n’y a pas de producteurs de reggae. Parce que nous ne chantons les louanges de personne, Le reggae n’étant pas très populaire dans notre pays, les Sénégalais ne le consomment pratiquement que le 11 mai de chaque année, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire du décès de Bob Marley. Ceci, alors même qu’il y a pas mal de reggaemen, bien qu’ils ne sortent pas beaucoup d’albums » a affirmé avec force l’ami d’Ousmane Fall Noreyni qui s’est beaucoup investi pour le rayonnement du reggae au Sénégal.
À son retour de France à la dislocation du groupe Adioa, il a initié de nombreux projets pour faire décoller cette musique marginalisée. Il a organisé des festivals, enregistré des compilations, mis sur pied un backing band etc. Feu Abdourahmane Wone alias Countryman avait aussi suscité un énorme espoir avec la création d’Akiboulane un autre backing band qui a accompagné de grands chanteurs comme Dread Maxim, Ass Malick, Sun Souley et tant d’autres. Malheureusement la mort de Countryman va freiner l’élan du groupe. On peut donc noter que toutes ces initiatives connurent la même issue, à savoir un échec patent. Le public n’adhérait pas facilement. Le reggae était plutôt victime de sa mauvaise image. Non seulement le reggae n’est pas souvent diffusé sur nos ondes mais même les lieux où il était régulièrement joué ferment les uns après les autres. Des boîtes comme Abyssinian House qui était en face du Stade Léopold Sédar Senghor et le Walamé sur l’avenue Bourguiba, ont laissé un grand vide.
Mais bien qu’obligés de se rabattre sur le centre Culturel Blaise Senghor et les autres centres socioculturels, les organisateurs de sound system continuent de se battre avec conviction. Cette marginalisation est constatée par Alioune Diop, qui est un grand connaisseur et adepte du reggae: «Certes, les sorties d’albums ne sont pas très fréquentes, il faut le reconnaître. Mais elles sont là quand même. Seulement la bande Fm ne les met pratiquement jamais et c’est déplorable. Ce sont les Sénégalais, les radios sénégalaises qui peuvent faire la promotion de ces artistes de reggae sénégalais. Cela afin que leur musique soit connue des Sénégalais.» affirme t-il.
La nouvelle génération
Des jeunes comme Ombre Zion, African Dingkelu, Gun Man Xuman ou encore Naby essayent toujours de maintenir la flamme. Dread Maxim, qui s’est exilé en France, était pourtant très aimé du public. Ombre Zion, lui, est d’avis que le reggae ne mourra jamais: «C’est une musique qu’on a importée, c’est normal que cela prenne du temps à évoluer car il y a nos cultures et nos religions. Mais nous sommes des jeunes conscients avec nos croyances; on ne fait rien de mal. Or les gens parlent de ganja et ont des préjugés. Il n’y a pas une musique plus pure que le reggae avec ses «vibes», ses paroles, sa vérité, le reggae ne mourra jamais. Il n’y a pas au monde un artiste qui a plus de renom que Bob Marley» affirme le jeune chanteur de Pikine. Le hip hop aurait pu servir de locomotive pour lancer le Reggae mais la jonction n’a pas été réussie. Didier Awadi, un des précurseurs du rap au Sénégal s’est essayé au genre dans son dernier album et Gunman Xuman ne fait presque plus que du reggae mais le succès populaire tarde à venir.
Le Timshel est l’un des rares groupes de reggae qui joue régulièrement. Ils ont même réussi la prouesse de jouer au centre Culturel Français en tête d’affiche. Alex Coulibaly qui est un membre de ce groupe livre sa vision des choses: «Le problème du reggae est aussi lié à l’insuffisance des albums. Et c’est par manque de producteurs de reggae et de concerts. Mais je crois en l’avenir du reggae parce que demain, c’est la vérité qui primera sur tout » affirme t-il, confiant. Il est établi que le reggae est très prisé au Sénégal. Cependant force est de constater que le public n’est pas encore prêt à le consommer à grande échelle. Ce qui constitue un énorme frein à son essor. Les artistes adeptes du genre ne sont pas soutenus. Ils ne reçoivent pas de subventions et l’État semble les snober. Pourtant Dakar a accueilli de grandes stars du reggae comme Burning Spear, Aswad, Still Pulse, Richie Spice, Morgan Héritage, Midnight, Gyptian, Luciano, Capleton, etc. Mais cela n’a pas servi à grand-chose. Tous les ténors de notre musique ont tâté du reggae. Baba Maal est convaincu que le reggae est issu du Yéla. Il l’a chanté dans un mémorable duo avec Machaby. Youssou N'Dour lui a carrément franchi le pas en produisant un album entièrement consacré au reggae pour rendre hommage à Bob Marley.
Pour conclure il faut constater que le reggae n’a pas encore pris son envol au Sénégal. Les amateurs, qui se plaignent de cette marginalisation, sont les premiers à se rendre compte de cette situation mais leurs efforts pour changer la donne sont toujours restés vains. Des artistes talentueux comme Sista Ouly, Daddy Maky, Max U-Sufa, Sangue Bi, Ras Senghor, Mr Exodus, Gunman Xuman, Hady Muhammad, Lan Nuttea, Mensah Julio, Maam Marème Kara, Natty Jean, essayent tant bien que mal de maintenir cette flamme que rien ne pourra jamais éteindre comme le stipulait le prophète du reggae, Bob Marley…
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