Pourquoi l'afrobeats a conquis le monde - partie 1
L'expansion planétaire de l'afrobeats n'est pas un fait du hasard mais le résultat d'un long processus. En effet, l'hégémonie de la pop nigériane sur le continent et sa popularité de plus en plus grandissante dans le monde s'appuie sur de nombreux aspects que décortique dans cette riche contribution, l'expert musical Camerounais Jake Daniel, Talent Scout chez Interscope basé à Los Angeles (États-Unis).
Cette réflexion, partie d'une polémique suscitée par certains qui souhaitaient l'interdiction de la musique nigériane au Cameroun dévoile les recettes du succès de l'afrobeats et prédit que le modèle najia est appelé à rayonner pour bien longtemps encore.
Découvrez la première partie de sa réaction.
Par Jake Daniel
Cette histoire que je lis partout depuis quelques semaines m’amuse beaucoup et pour moi, ce n’est rien d’autre qu'une vaine agitation...
Les gens font comme si c’est en bannissant la musique nigériane du Cameroun, que les artistes locaux auront plus de places et que la musique locale sera plus épanouie ; comme si c’est en prohibant la musique nigériane que le catalogue musical urbain presqu'inexistant au Cameroun va tout de suite s'enrichir ; comme si le problème de production et de développement des talents au Cameroun va enfin trouver une solution.
Tout ceci me fait rire parce que, non seulement c’est d’un ridicule absolu, mais surtout, d’une naïveté consternante...
Cela prouve encore à suffisance, combien nous avons une faible connaissance, compréhension et analyse de ce que devrait être le business musical dans notre pays.
Je vais planter le décor pour ceux qui ignorent encore les raisons de ma réaction.
Il y’a quelques semaines, le promoteur camerounais Bonteh Engelbert, qu’on ne présente plus, a invité la rising star de la musique naija, Naira Marley, à se produire à Kumba (Cameroun). À l’annonce de son arrivée, plusieurs personnes se sont manifestées, notamment un comédien/acteur/influenceur, communément appelé CY.
À peine descendu à l’aéroport de Douala (Cameroun), Naira Marley a appris l'annulation de son show ; pression aurait été faite par certains artistes et acteurs locaux auprès du ministère de la culture, pour que le spectacle soit suspendu, prétendument parce que l'invité proposerait une musique qui corrompt les mœurs.
(Rires) cela a provoqué mon hilarité ; c’est d’une hypocrisie consternante ! Un autre argument aurait pu rendre cette action crédible, mais celui-ci...
Si l'on devait lister tous les artistes camerounais qui corrompent les mœurs, y parviendrait-on ? Leurs spectacles ou show ont-ils déjà été annulés une seule fois ? Ou le privilège de corrompre les moeurs serait-il exclusivement réservé aux artistes locaux ?
La situation fait couler beaucoup d’encre et de nombreux acteurs de la musique urbaine à travers l’Afrique ce sont exprimés sur Twitter et YouTube, de l’Afrique du Sud au Nigeria, en passant par le Ghana, la Côte d’Ivoire, etc.
D’ailleurs, beaucoup de pays ont suivi l’exemple du Cameroun (si ce n'est le contraire), en initiant un mouvement contre les musiques naija. Personnellement, je ne débattrai pas sur la valeur de ce mouvement, selon qu'il soit justifié ou non, puisque pour moi, le problème est ailleurs.
Lorsqu’on veut résoudre un problème de façon efficace et permanente, on doit l'aborder de façon scientifique, avec une certaine épistémologie. Cela passe par la circonscription du contexte, la pose d’une problématique pertinente, l’état des lieux, une collecte de données sur un échantillon, un traitement des données, un résultat, puis une interprétation pour déboucher sur des recommandations efficaces, en réponse à la problématique posée.
La musique urbaine naija actuellement est comme une force de la nature, un vrai Tsunami, ou encore un tremblement de terre...
Il n'y a rien que l'on puisse faire en ce moment, pour bloquer ou freiner l’expansion de cet afrobeats. Pire, je dirais même que la musique naija brillera encore plus, car le succès a été préparé depuis des décennies et il ne fait que commencer à porter ses fruits.
Ce que les gens doivent savoir, c’est que les naijas ont déjà un énorme marché local, qui offre assez d'opportunités aux créateurs. Mais cet argument basé sur leur puissance démographique, je l'avoue, ne suffit pas à expliquer leur suprématie. S'il ne fallait s'en tenir qu'à la taille de l'audience locale, la Chine et l’Inde seraient les leaders de l'industrie musicale mondiale.
Le Nigeria, contrairement à ce que l'on imagine, était envahi au cours des 30 dernières années, par des musiques et des créations étrangères. Cela vous surprend ? C'est pourtant la vérité !
Dans les années 1980 - 1990, comme c'était le cas pour beaucoup d'autres pays à travers le monde, le Nigeria était sous l’emprise du rnb et du hip hop américain, jusqu’à environ 2010. Je ne sais pas s’il y a un pays en Afrique qui a vécu le lifestyle G-Unit à l’époque comme les Nigérians....
Alors que la musique américaine dominait le paysage urbain naija à la fin des années 1990, le makossa s'est lui aussi invité sur la scène culturelle nigériane ; on le diffusait régulièrement dans les médias locaux.
Le chanteur Awilo Longomba était si écouté que la Nigérians le considèrent aujourd'hui comme une vraie légende. D’ailleurs il y a 5 ans, le célèbre duo P-Square s'est invité sur son single « Enemy Solo », que Clarence Peters s’est porté volontaire de réaliser, pour rendre hommage à l'artiste et saluer son influence sur le public nigérian.
Le vent du coupé-décalé qui a balayé quasiment toute l'Afrique, n'a pas non plus épargné le Nigeria, qui baignait bien dans son rythme festif et envoûtant.
Ce n'est que récemment, il y a un peu plus d'une décennie, que 2face Idibia a commencé à s'illustrer avec des créations authentiques, propulsant la chanson nigériane sur les radios du monde. Il a été suivi par des créateurs comme Wandecoal ou D’Banj, annonciateurs du succès de la musique urbaine naija.
Retenons donc que l'histoire n'a pas commencé avec Davido, Wizkid, Burna Boy ou encore Tiwa Savage, qui ont juste amplifié ce que d’autres avaient déjà commencé.
Le Nigeria n'a jamais dit non aux influences étrangères ; bien au contraire, il a ouvert son marché pour permettre aux mélomanes de découvrir de la bonne musique et pour aider les créateurs locaux à s'en inspirer.
À mon sens, le succès international de la musique nigériane repose essentiellement sur cette trinité :
- Un son urbain très identifiable avec une qualité musicale et visuelle améliorée.
- Une démographie importante et un taux de pénétration d’Internet très conséquent.
- Une diaspora active, qui sert de relais et d’écho partout où elle se trouve à travers le monde.
Pour mieux se développer, les naijas ont compris qu’ils leur fallait un son urbain identifiable, un son selon leur convenance et leurs mesures, qui puisse être mainstream partout !
Toutes les années d'écoute de ce que leur proposait l'extérieur, leur a permis de s’approprier les diverses sonorités du monde et de créer ce qu’on appelle donc aujourd’hui l’afrobeats, qui n’est rien d’autre qu’une fusion des rythmes pop africains les plus en vogue au cours des dernières décennies.
Quand Davido et sa bande lâchent des hits, ils cartonnent systématiquement sur le continent parce que sur le plan sonore, tous les africains se retrouvent dans leurs propositions. Cela n’est pas fortuit, le succès a été savamment pensé.
Aussi, je reviens à mon argument initial, le Nigeria a une population de plus 200 millions d’habitants, et plus de 50% de cette population a moins de 19 ans ; le taux de pénétration d’Internet a quant à lui avancé de plus de 30% au cours de la dernière décennie.
L'utilisation massive des réseaux sociaux par les jeunes, a sans conteste favorisé l'explosion du phénomène « pop naija » en Afrique, mais aussi à travers le monde.
Enfin, le Nigeria a de grandes communautés dans plusieurs pays anglo-saxons de cette planète. Ils sont partout, ce sont les « chinois d’Afrique » !
La présence des nigérians aux États-Unis et dans la partie anglophone de l'Europe est juste très forte. Ils ont massivement immigré vers ces pays, il y a plusieurs décennies, et s'y sont bien implantés. On comprend mieux pourquoi les hits nigérians se répandent comme une traînée de poudre à travers le monde, sans que les frontières ne les retiennent.
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