
Le Mbalax : évolution et perspectives, entretien avec Papis Samba
Propos recueillis par Laure Malécot
Le Mbalakh est, sans conteste, la musique emblématique du Sénégal, au point de prendre le pas sur les autres genres musicaux, du moins dans le reflet médiatique local. Cette omniprésence est-elle un frein à la créativité, à l’évolution d’autres genres et donc de la musique sénégalaise en général ? Pour répondre à cette vaste interrogation, la journaliste Laure Malécot a rencontré Papis Samba, auteur de Musique sénégalaise : itinérance et vibrations édité chez Vives Voix, en 2014.
Papis Samba, organisateur de spectacle à l’origine, s’est consacré pleinement aux recherches sur le patrimoine musical national depuis une quinzaine d’années. Au départ, c’était simplement pour répondre à un manque de documentation auquel il a été confronté en tant que passionné. Encouragé par le regretté Oumar Ndao, à l’époque Directeur de publication de Vives Voix, Papis Samba a finalement écrit Musique sénégalaise : itinérance et vibrations, à ce jour le seul ouvrage exhaustif qui en retrace l’Histoire depuis les musiques et instruments traditionnels les plus anciens jusqu’aujourd’hui. D’après lui, le mbalax, qui prend racine dans une démarche d’affirmation culturelle identitaire vitale après la période coloniale, est une musique moderne par essence, qui n’a pas finit d’évoluer.
- Youssou N'Dour lors du festival d'ile de France en 2015 - Crédit olivier hoffschir. Source : www.festival-idf.fr
D’après vous le Mbalax est-il aussi omniprésent dans la culture sénégalaise qu’il ne semble ?
Papis Samba : Effectivement. Même si la musique sénégalaise est riche de sa diversité, avec le reggae, le hip-hop, l’acoustique, la variété, la musique religieuse, ce que j’appelle dans mon ouvrage « l’hégémonie du mbalax » est réelle, depuis très longtemps et pour beaucoup de raisons.
Les animateurs et journalistes sont plus enclins à parler des activités musicales ayant trait au mbalax. Par effet médiatique, à force d’entendre du mbalax sur tous les tons les gens finissent par y croire. Mais je tiens à dire que le mbalax n’est pas une « mauvaise musique ». D’ailleurs il n’y a pas de musique meilleure qu’une autre. Le jazz n’est pas meilleur que le mbalax. Une musique, quel que soit son genre, est juste bien faite ou pas.
Le mbalax se nourrit-il d’autres influences musicales, se modernise-t-il ?
Papis Samba : La capacité d’adaptation de cette musique est formidable. Malheureusement, les gens ne voient pas cela et disent souvent que le mbalax ne change pas, ce qui est faux. Le mbalax évolue de manière extraordinaire, pour qui connaît. En réalité c’est une musique de consensus au Sénégal, jouée aussi par les sérères, les al pulaar.
Comme c’est la musique la plus suivie au Sénégal, pour être mieux vus, ils adaptent ce genre musical à leur propre musique. C’est ce qui fait que la musique mbalax a de l’avenir ! Elle se modernise, tout en restant une musique essentiellement traditionnelle. Les gens utilisent de plus en plus d’instruments modernes, comme la guitare, la basse, les sonorités restent « mbalax ». C’est une transposition d’une musique traditionnelle avec des instruments modernes.
Quels sont les musiciens exemplaires de cette modernisation du mbalakh ?
Papis Samba : A mon avis, le meilleur en ce sens, c’est Youssou N'Dour, qui fait un mbalax très moderne. Il a eu la chance de travailler avec de grands musiciens, de tourner un peu partout dans le monde, de collaborer avec des artistes d’autres genres musicaux, ce qui a fait que son mbalax, qui est devenu plus ouvert, urbain, marche à l’international. La base du rythme est le même, mais avec des sonorités et harmonies modernes.
Le mbalax de Coumba Gawlo aussi est moderne, assez subtil, très aéré. L’album Crazy mbalax en est un bon exemple. Viviane a eu une très belle période quand elle travaillait avec Bouba N'Dour. Depuis c’est comme si elle se cherchait.
Wally Seck, jeune artiste intelligent qui a de l’avenir, a eu la chance de travailler avec de grands musiciens comme Habib Faye et Jimy Mbaye, et travaille ses orchestrations. Pape Diouf est très bien. Malheureusement il s’inspire un peu trop de Youssou N'Dour et manque un peu d’originalité. Feu Madou Diabaté avec le tube « Madame Johnson », au niveau des orchestrations et des harmonies, est l’un des meilleurs dans le mbalax, à mon avis.
Les deux genres musicaux les plus présents au Sénégal, mbalax et hip-hop, se rencontrent-ils ?
Papis Samba : Youssou N'Dour avait invité Daara J en featuring… Fata El Presidente a tenté d’exploiter cette veine, intègre le phrasé rappé, mais il est très incompris dans le milieu. Il innove, comme le font les nigérians et les ghanéens. Ceux-ci ont arrangés leurs musiques traditionnelles d’une manière très moderne en gardant leurs particularités. Ils jouent avec les talking drums (tama), les percussions, avec une véritable originalité.
A un certain moment c’était fréquent d’entendre des percussions, des tamas, dans leurs musiques mais cela se fait moins. Certains ont rappé sur de la kora, du djembé. Positive Black Soul (PBS avait repris un morceau d’Orchestra Baobab, un peu salsa…
L’hégémonie du mbalax empêche-t-elle la musique sénégalaise d’évoluer ?
Papis Samba : Au Sénégal, la culture wolof, très présente, utilise principalement comme instrument les percussions, qui en sont à la base. Le mbalax, musique moderne, dans laquelle la tradition est très présente, avec des percussions telles que jouées actuellement, ne va jamais, il me semble, être bien diffusé internationalement. C’est trop sénégalo-sénégalais ! Il faudrait qu’il s’ouvre un peu aux autres sonorités du monde.
La rythmique, que nous, sénégalais, nous comprenons, est bonne. Le grand problème se situe au niveau des arrangements, de la richesse des harmonies. C’est ce qui lie toutes les musiques du monde, l’harmonie. Nos musiques acoustiques s’exportent bien car elles sont légères et harmoniques, comme Ismaël Lô. On peut travailler sur des harmoniques traditionnelles en allant dans le sens des harmoniques modernes. C’est cela qui ferait évoluer le mbalax.
Certaines recherches en musiques électroniques vont dans ce sens (Ibaaku par exemple)…
Papis Samba : Certes, et c’est une tendance mondiale. L’électronique a envahit le monde de la musique, et apporte des couleurs nouvelles. Il ne faut jamais oublier qu’il faut partir de l’essentiel, de la base des percussions, des harmonies traditionnelles, pour aller dans le sens de la modernisation.
Comment, et quand, est né le mbalax ?
Papis Samba : Dans les années 60, le manager de l‘orchestre du Star Band, Ibra Kassé, disait aux musiciens d’intégrer des instruments traditionnels dans leur musique. C’était l’époque de la salsa. Les musiciens sénégalais aimaient bien reprendre ces rythmes afro cubains, qui avaient amenés un parfum de négritude.
Le Star Band a donc intégré des rythmes traditionnels, des percussions, des tamas (talking drums). Ils ont arrêté car il y avait des danses salaces, et c’était un peu de la « ratatouille », un mix qui allait dans tous les sens ! Après cela, des musiciens ont continué, avec la naissance du Number One, de l’Orchestra Baobab. Ils ont fait du mbalax, mais « soft », dans lequel les percussions n’étaient pas prédominantes.
Doudou Ndiaye Rose, cet excellent percussionniste qui connaissait la musique, avait appris le solfège, a par exemple joué dans certaines productions d’Orchestra Baobab. A cette époque les sénégalais ont eu besoin d’affirmer musicalement leur propre identité. En raison de la prédominance de la culture wolof, c’est le mbalax qui a pris le dessus.
La musique mandingue, depuis bien avant les indépendances, se jouait aussi, mais restait en marge des courants musicaux. L’introduction de la kora, djembé, bougarabou, dans la musique moderne, comme l’a fait Ousmane Sow Huchard, vient de là.
Le groupe Xhalam aussi a fait un travail de recherche particulier…
Papis Samba : C’est bien après, dans les années 80. Le Xhalam, qui a intégré pratiquement tous les instruments sénégalais, africains, un est un groupe constitué de musiciens passionnés, qui ont vraiment travaillé sur le patrimoine musical sénégalais. Ils ont joué un grand rôle. C’est une référence en tant que groupe africain. Ils ont joué du mbalax dans une perspective moderne.
Depuis, les Touré Kunda ont, eux, plutôt travaillé sur la musique mandingue. Il y a d’autres musiques que le mbalax, comme les musiques mandingue, sérère, qui ont participé au mouvement d’enracinent musical au Sénégal.
Quelles sont les perspectives d’avenir de la musique sénégalaise ?
Papis Samba : Comme pratiquement toutes les musiques du monde je ne cois pas d’autres perspectives que de s’enraciner dans nos propres valeurs culturelles, traditionnelles, en utilisant nos instruments, nos mélodies, et en se projetant vers le monde extérieur. On doit exploiter les nouvelles tendances internationales. Le monde est ainsi fait, il ne faut pas rester sur place ! Nous avons des richesses cultuelles extraordinaires. En faisant les recherches sur les musiques traditionnelles sénégalaises pour mon livre, j’ai découvert un vivier culturel extraordinaire, que les gens n’exploitent pas.
Quels musiciens vont dans ce sens d’évolution, d’ouverture vers le monde ?
Papis Samba : Jules Gueye, qui travaille des harmonies modernes, est dans la bonne direction, un peu tendance jazz et mbalax. La plupart des jeunes, s’ils ne font pas du hip hop sont dans la mouvance mbalax mais peu font de recherches.
Abdou Guité Seck, bon chanteur dont la musique est élaborée, fait un mbalax très nouveau. Il est connu des sénégalais, mais n’occupe pas la place qu’il devrait sur l’échiquier musical national. Les sénégalais aiment trop les musiques endiablées ! Il a eu une très belle période quand il travaillait avec Bouba N'Dour, mais actuellement c’est comme s’il se cherchait.
Titi a une belle voix qui rappelle un peu les grandes cantatrices africaines, mais devrait plus travailler sa musique, ses arrangements.
J’ai entendu un jour Cheikh Lô dire qu’au Sénégal nous avons de bons instrumentistes mais manquons de bons arrangeurs. Cheikh Lô fait partie des meilleurs. Il fait une musique très ouverte sur le monde, tout en étant très enraciné dans les rythmes africains, et rencontre un grand succès à l’étranger. Il a beaucoup travaillé pour cela. On néglige souvent cet aspect.
Dans la musique, la recherche est très importante. Les journalistes jouent un rôle aussi. On manque de vrais critiques, ils ne font que des comptes rendus. Or, le regard des critiques fait évoluer les artistes. Ils en ont besoin. Nous manquons aussi de studios performants, de belles émissions télévisées musicales…
Je crois aussi que ce serait bien que les artistes de toutes les disciplines dialoguent plus entre eux, prennent connaissance du travail qui est fait dans d’autres arts. Ce que fait un chorégraphe, un cinéaste, un artiste peintre, un sculpteur, peut inspirer un musicien.
Si on veut faire évoluer notre art au niveau mondial, il faudrait que les disciplines se rencontrent, dialoguent, que les artistes discutent ensemble, échangent des idées. Tous les arts sont liés. Nous sommes trop cloisonnés.
Comme disait Léopold Sédar Senghor, qui était poète, quand on lui demandait sa préférence en matière d’art, « j’aime l’art, donc j’aime tous les arts ». Tant que l’on n’est pas dans cette perception-là on ne peut pas atteindre un niveau international.
Cet entretien a été initialement publié le 30 août 2016 sur www.au-senegal.com
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