Les Grammys snobent-ils l'Afrique?
Comme cela a été le cas au cours de ses dernières éditions, les Grammys font une fois de plus l’objet de controverse. Le débat de cette année porte sur le manque d’artistes noirs récompensés dans les catégories telles que le meilleur album ou la meilleure chanson de l'année. Cela ne touche cependant pas que les artistes américains.
Les musiciens africains sont généralement relégués à la catégorie musique du monde – en d’autres mots la catégorie des compromis - et ils font de leur mieux. L’impressionnant parcours de la sud-africaine Ladysmith Black Mambazo en témoigne. Alors que le groupe reste fidèle à ses valeurs au fil des ans, la catégorie adaptée pour les artistes africains connaît un certain nombre de changements.
Les changements de catégories
Les Grammy Awards ont été créés en 1958 par la National Academy of Recording Arts and Sciences (aujourd’hui connu sous le nom de Recording Academy) en réponse aux Oscars et aux Emmy Awards.
La première cérémonie a eu lieu l'année suivante mais ce n'est qu'en 1992 que la catégorie du meilleur album est instituée. Bien que les Américains remportent le trophée, la catégorie honore spécifiquement la musique ‘traditionnelle non européenne’.
En 2004, la catégorie est divisée en deux : meilleur album traditionnel de musique du monde et meilleur album contemporain de musique du monde. De 2004 à 2011, plusieurs artistes africains dominent la catégorie de la musique traditionnelle du monde. La Sud-africaine Ladysmith et le Soweto Gospel Choir ou encore les Maliens Ali Farka Touré, Toumani Diabaté et Mamadou Diabaté se partagent les honneurs. En 2012, les catégories sont combinées.
Avant et après ce remaniement des catégories, des artistes tels que Majek Fashek, King Sunny Ade, Fela Kuti et Brenda Fassie ne sont quasiment pas représentés aux Grammys. En effet, ce n’est qu’avec l'album Graceland de Paul Simon, paru en 1986, que Ladysmith, dont la carrière a commencé dans les années 1960, se fait reconnaitre de la Recording Academy. Deux ans plus tard, le groupe obtient un Grammy pour le meilleur enregistrement folk traditionnel, une catégorie qui n'existe plus aujourd’hui.
Les modèles gagnants
Les Grammys semblent reconnaitre les œuvres des artistes africains bien après leur succès. Le Sénégalais Youssou N'Dour ne remporte son premier Grammy qu’en 2005 alors qu’il forme son premier groupe en 1979. Le flûtiste sud-africain Wouter Kellerman remporte un Grammy en 2014. Il a alors la cinquantaine. Le groupe malien Tinariwen, formé à la fin des années 1970, décroche son premier Grammy il y a quelques années.
Une partie du problème réside dans le fait qu’il faut des années pour qu’un artiste africain ne soit reconnu sur la scène musicale internationale. L’Internet et l'arrivée des grands tels que Sony et Universal Music sur le continent, atténueront, on l'espère, ce problème.
La deuxième tendance est la dépendance des artistes africains sur une entité occidentale pour obtenir l'attention des Grammys. Le Malien Ali Farka Touré remporte son premier Grammy en 1994 pour sa collaboration avec le producteur américain Ry Cooder. L'édition 2017 voit le Nigérian Wizkid se glisser dans la liste des nominés pour son travail sur Views, l’album de Drake paru en 2016. Son compatriote Kah-Lo est également nominé pour sa participation au mix ‘Rinse and Repeat’ de DJ Riton du Royaume-Uni.
La victoire sans doute la marquante survient lorsque le Soweto Gospel Choir remporte un Grammy dans la catégorie de musique traditionnelle du monde en 2007 et 2008. La chorale n’est alors qu’en début de carrière. Seul avantage, leur premier album, Voice of Heaven sort aux États-Unis et se retrouve en tête du Billboard World Music Chart en quelques semaines.
De la nécessité des Grammys
Les Grammys sont synonymes de politique, et invariablement, la question des non-adeptes à la remise des prix est de savoir si l'Afrique a besoin des Grammys. Elle n’en a pas besoin. Mais elle les veut. Plusieurs artistes, notamment les rappeurs, en font mention dans leurs chansons. Alors que d’autres en parlent dans des interviews. Raison pour laquelle la question est soulevée.
Il importe également aux fans. Il y a d’une part les amateurs de musique qui n'arrivent pas à croire que Fela n’ait jamais gagné et pensent que Hugh Masekela mérite un trophée et d’autres qui penchent pour Salif Keita. L'année dernière, lors d’un entretien avec Lekan Babalola, qui n'a pas gagné mais a travaillé sur deux albums primés aux Grammys aux côtés de Cassandra Wilson et Ali Farka Touré, a fait le tour des médias nigérians.
Même s'il est nécessaire que les pays africains développent leurs propres systèmes de prix crédibles, il faut dire que le désir pour un Grammy, comme exprimé par les artistes Africains, est légitime. L’hypothèse est que les Africains recherchent une certaine validation de l’Occident, mais rien de plus faux.
Les artistes africains recherchent l'intégration mondiale et la reconnaissance. Bien qu'essentiellement Américains, les Grammys sont le rendez-vous de la musique du monde et les artistes Africains, comme leurs confrères, veulent être vus. C'est autant un besoin élémentaire que professionnel.
Une fois de plus, le succès de l'artiste sur cette scène hausse la barre pour les autres. Au cours d'une conversation avec l'artiste reggae Rocky Dawuni au récent festival Sauti za Busara à Zanzibar, le vainqueur du Grammy 2016 déclare « Ma nomination aux Grammy Awards est symbolique. Grâce à cette désignation, de nombreux artistes au Ghana travaillent dur. Ils croient maintenant qu'ils peuvent y parvenir ».
Les artistes africains se tournent vers l'extérieur. Et même si les Grammys sont américains, ils sont d'un grand intérêt pour le reste du monde. Les Grammys, gagneraient, tout comme pour certaines catégories, à se tourner vers l’extérieur et défier les modèles obsolètes.
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