L’industrie du disque en Érythrée
L’absence de données économiques fiables affecte l’évaluation de l'industrie de la musique dans la plupart des pays africains. L'Érythrée ne fait pas exception. En effet, iI y a peu de données disponibles sur l'industrie du disque dans ce pays. Pour une nation qui a enduré des années de guerre, la production musicale qui débute à partir de 1950, a toujours été confrontée à de nombreux défis. Un espace politique restreint, l'absence de formation musicale et de l’infrastructure ne sont que quelques exemples. Ce texte explore l'industrie du disque en Érythrée.
Introduction
Avant les années 1980, il n'existe quasiment aucun studio d’enregistrement en Érythrée. Tewelde Redda, un guitariste érythréen célèbre dans les années 1960 et ce jusqu’au milieu des années 70, enregistre les spectacles d'Asmara Theatre Association (Ma.Te.A.). Osman Abdelrahim et Alamin Abdeletif, dont les arrangements musicaux modernes empruntent à l'influence occidentale, joueront un rôle important dans l'évolution de la musique de l'époque.
Dans les années 80, quand la musique éthiopienne, principalement la musique amhara, devient populaire, les quelques chanteurs tigrigna (Yohannes Estifanos, Tareke Tesfahiwet, Mulugeta Beyene et Berhane Haile) enregistrent leur musique au studio de l'Orchestre de la police à Asmara.
Tsegay Beraki, l'un des célèbres musiciens de l'époque, enregistre son album Afom Mear’yu à Addis-Abeba, Éthiopie en1990.
A l’époque, les musiciens engagés dans la lutte armée, enregistrent leur musique dans le studio clandestin Radio of the Broad Masses. La radio diffuse de la musique révolutionnaire au public érythréen vivant dans les zones sous contrôle éthiopien. La musique continue de faire partie de la campagne de lutte et fait appel au soutien populaire notamment des jeunes.
L’album Yikealo de Tekle Kiflemariam (alias Wedi Tukul) sorti après la victoire militaire de 1988 (après la libération de la ville d'Afabet de l’armée éthiopienne) et l’album Hayet Enta d’Ahmed Mohammed (alias Wedi Shiek) sont deux des albums enregistrés dans un studio clandestin.
Les musiciens érythréens exilés se rendent au Soudan et en Arabie Saoudite. Par exemple, l’album Zemen de Yemane Ghebremichael (Barya) est produit en Arabie Saoudite par le célèbre compositeur de musique érythréenne Abdallah Abubaker qui avait joué avec Ma.Te.A. et Rocket Band dans les années 70. Sami Berhane enregistre également son album Nabra Aykonen en Arabie Saoudite alors qu’Idris Mohammed Ali et Bereket Mengsteab enregistrent leur musique au Soudan.
Au cours de cette période, la plupart des compositeurs sont autodidactes et révolutionnent les rythmes traditionnels en les mélangeant aux genres populaires. Par exemple, le blues influence le jeu de guitare de Tewelde Redda. La musique traditionnelle érythréenne guayla est alors reléguée au second plan. Dans l’album Zemen de Yemane Barya, la plupart des morceaux sont ponctués de basses rythmiques avec le tambour en avant-plan. Il semblerait que ce soit le résultat d'improvisations et de formations intenses que des musiciens tels Abdallah Abubakar perfectionnent lorsque la musique funk était à la mode.
La plupart de la musique produite à l'époque, même si le thème de l’amour est souvent abordé, soulève la question de la conscience nationale érythréenne. Bien que certaines paroles comparent l'Érythrée à un amour perdu, d’autres la présentent comme la terre natale bien-aimée, qu’ils ont dû fuir pour échapper à la censure.
Les enregistrements informatisés
Au début des années 1990, le groupe Adulis enregistre sa musique à l’aide d’une console de mixage analogique 4 voies. Pour les artistes qui ne savent manier un équipement analogique, la seule option est d’enregistrer dans les pays voisins comme l'Éthiopie. Ainsi, le studio appartenant à Tekle Tesfazghi jouera un rôle important dans l'enregistrement des albums de musiciens érythréens. L’album Lidya de Fitsum Zemichael est produit en 1994 dans le studio de Tesfazghi.
Les studios d'enregistrement se multiplient avec l’arrivée des mixeurs 16 canaux à la fin des années 1990 lorsque Nahom, Natnael, Yoel et Lilly, des Erythréens de retour d’Allemagne, créent le studio Admas. Le studio enregistre les albums de Yemane Ghebremichael (Mesob Ade en 1994), Aron Abraham (Deki Hade Ruba en 1995) et Dashim Misgna (Liwam en1995).
A partir de l’an 2000, les studios de Yemane Kidane et Mega Mix [i] sont les plus connus. Alors que Mega Mix studio continue à fonctionner, Admas studio a été transformé en bar. Le studio, créé par Isaac Abraham au milieu des années 1990 (actuellement géré par Paulos T. Berhan), produit l’album Shilan de Dawit Teklesenbet qui sort en 1996 et autres artistes populaires érythréens.
Ces studios, munis de matériel numérique, introduisent le phénomène de l'enregistrement séparé. Cela fait place à la créativité des enregistrements d’instruments et de voix qui se font séparément.
Yemane Kidane produit quelques albums d’Helen Meles à savoir.
Resani (sorti en 2003) et Halewat (sorti en 2006) ; des albums arrangés par Muktar Saleh. La composition unique des rythmes guayla de Muktar inclue le saxophone dans le bridge, comme dans ‘Fikri Hamime’ d’Helen.
Dans le passé, les artistes utilisaient le krar dans le pont (bridge). Même après le départ de Muktar il y a plus de cinq ans, cette tendance continue et a fini par être surutilisée contrecarrant la créativité de ceux qui ont suivi ses traces. Cette tendance a cependant permis à Aron Berhe (alias Satir), le saxophoniste le plus connu des années 80, de laisser son empreinte sur toutes les chansons sorties à l’époque. Il semble aussi que la musique aux rythmes modernes, ait été abandonnée pour les chansons guayla répétitives qui sont difficiles à distinguer les unes des autres.
On constate, ces dernières années, l’évolution de nouveaux studios tels Tesfit Studio, Thomas Medhanie, GG (Ghideon) et Huruy Studio. Ces studios sont gérés par d’anciens musiciens, ce qui leur permet de produire de meilleurs arrangements musicaux.
Un exemple typique est l’album Derici, le premier album de Temesgen Gebreslassie (alias Taniqo Aykeseb) sorti en 2004 et arrangé par Thomas Medhanie. Les morceaux sont principalement des chansons d'amour modernes. L'album diffère de ce qui avait été produit auparavant et obtient le prix Raimoc [ii] en 2004.
On compte également Fewsi Libi [iii] (sorti en 2008) et Erythrea’s Got Soul [iv] produits par le musicien français Bruno Blum en collaboration avec une douzaine de musiciens de l'Érythrée. De la diaspora, Fitsum Zemichael a réussi à pénétrer le marché international avec ses compositions de divers genres musicaux qui mélangent rythmes traditionnels de l'Érythrée et de l'Éthiopie comme en témoigne son album Shabu (l'amour est universel) sorti en 2014.
Outre la musique produite en Érythrée, en 1991, Abraham Afewerki publie son premier album intitulé Kozli Gaba, considéré le premier album érythréen à être distribué en format numérique et enregistré par un label en Europe (Virgin Records) [v]. Abraham reprend la formule qui a fait le succès de son premier album ( qui consiste à mêler musique traditionnelle et rythmes modernes ) sur l'ensemble de ses cinq albums. Son dernier album Semai est sorti en 2006. Il décède peu après, alors qu’il travaillait sur la production d’un clip.
La distribution
Les studios basés à Asmara ne se chargent que de l'enregistrement et n’ont aucune présence en ligne ni ne disposent de mécanismes de distribution. Cependant, de nombreux musiciens collaborent avec des plates-formes de distribution en ligne telles que LYE.tv, Halenga Records, Ella Records, ATA et Amen Entertainment pour atteindre leur public hors du pays.
Conclusion
La production musicale en Érythrée évolue en termes d'appropriation des instruments modernes. L’enregistrement séparé que proposent les différents studios affecte cependant la qualité du produit. La créativité d’un travail collectif et l'improvisation ne sont plus possibles.
De plus la relève artistique emploie uniquement des rythmes traditionnels joués à l’aide d’un synthétiseur et autres instruments électriques laissant peu ou pas de place à l'innovation.
[i] http://www.soundmuseum.com/gallery/Eritrea/source/berhane_tekeste_teklu_a.html
[ii] http://www.musicjinni.com/aveMTXpKJr2/festival-eritrea-top-10-songs-of-2008-raimoc-awards.html
[iii] http://soyra.blogspot.se/2014/04/fewsi-libi-long-awaited-album-paid-off.html
[iv] https://outhererecords.bandcamp.com/album/eritrea-s-got-soul
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